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La ColDEFF et l’institution judiciaire : Concurrence ou complémentarité ?

Lles membres du coldeff renvoyes a leurs fonctionsL’assainissement des finances publiques désigne l’ensemble des mesures correctives apportées par l’Etat pour réduire le déficit budgétaire[1], lesquelles peuvent être judiciaires ou purement administratives. La question de la maitrise de la dépense publique ne date pas d’aujourd’hui[2] et la recherche de la transparence budgétaire est une préoccupation constante en Afrique.

Au Niger, depuis l’ouverture démocratique des années "1990", plusieurs atteintes à la régularité budgétaire ont été dénoncées par les médias et l’opinion publique mais dont les traitements connurent des fortunes diverses, provoquant l’indignation des citoyens. Les scandales politico-financiers emblématiques sont entre autres : l’Uranium gate, l’affaire dite du Ministère de la Défense Nationale[3] relative à l’acquisition de divers matériels militaires, l’achat de l’avion présidentiel pour ne citer que ceux-là.

La première proclamation au soir du 26 juillet 2023 des nouvelles autorités militaires révèle que le renversement du régime civil dit "démocratique" a été provoqué par la gestion désastreuse des finances et le développement grandissant de l’insécurité malgré les moyens et la présence des partenaires occidentaux.

 On retrouve dès lors, la raison d’être d’une institution administrative en vue de faire la lumière et au besoin, remettre l’Etat du Niger dans ses droits. La mise en place de la Commission de lutte contre la délinquance économique financière et fiscale [4] dénommée (CoLDEFF) a été accueillie avec un regain d’enthousiasme. Aussi, depuis son installation, a-t-elle fait couler beaucoup d’encre et de salive aussi bien dans les milieux politiques, de la société civile que des médias. Alors que les uns acclament son avènement, les autres la critiquent fort en estimant qu’il ne s’agit juste que d’une institution de plus, à l’instar de ses prédécesseures.

Une foultitude de services et institutions étatiques, en dehors de l’institution judiciaire, concourent à la transparence dans la gestion des finances publiques notamment, l’inspection des finances, l’inspection générale d’Etat, la Cour des comptes. A ceux-ci vient s’ajouter la CoLDEFF, une institution singulière, dont la création en période d’exception, suscite beaucoup d’espoir au sein des populations.

L’intérêt de l’étude, la première du genre sur la CoLDEFF, permettra d’analyser cette institution à travers ses forces et ses faiblesses, passer en revue les rapports qu’elle entretient avec l’institution judiciaire, tout en abordant le rôle de chaque acteur.  Car, si à travers les textes de la CoLDEFF, on peut y voir une certaine complémentarité avec l’institution judiciaire, force est de constater qu’à l’épreuve des faits, les rapports sont plutôt tendus, voire conflictuels avec le syndicat Autonome des magistrats du Niger et le barreau.

A l’évidence, la CoLDEFF dispose d’atouts nécessaires lui permettant de mener à bien l’assainissement des finances, à en juger par l’étendue de sa mission et les moyens d’action légaux dont elle dispose (I). Inversement, de son texte de base, il ressort la mainmise de l’exécutif à laquelle s’ajoute dans son fonctionnement des difficultés de collaboration avec les acteurs judiciaires (II).

  • Les points forts de la lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale 

Les points forts de la lutte contre la délinquance économique et financière[5] se déclinera sous deux axes : d’une part, la CoLDEFF est une institution administrative ad hoc disposant d’une compétence étendue et des pouvoirs exorbitants de droit commun (A) pour s’acquitter la mission à elle assignée. D’autre part, il existe un continium entre elle et d’autres institutions étatiques sur lesquelles elle pourrait s’appuyer une fois ses rapports d’enquête ficelés (B).

  • La CoLDEF : une institution administrative ad hoc dans le champ de la délinquance économique, financière et fiscale.

La compétence étendue de la CoLDEFF dans le domaine de la délinquance économique, financière et fiscale lui a permis en un laps de temps de réaliser d’importants recouvrements.

  1. La CoLDEFF a compétence pour connaitre des infractions de nature à la fois économique, financière et fiscale.

La CoLDEFF peut connaitre de tous les comportements fautifs dans le champ de la délinquance économique, financière et fiscale, peu importe la qualification juridique.

Qu’entend –t-on par ce terme d’infraction économique ?

D’abord, l’infraction économique peut être définie à travers son auteur. A ce titre, l’auteur est un agent public impliqué, soit dans le processus de l’ordonnancement de la dépense publique ou de l’exécution de celle-ci (paiement), soit dans la procédure de passation des marchés publics ou de délégations de services[6].

Ensuite, elle peut être définie au travers de ses résultats. On relèvera qu’une infraction économique créé beaucoup d’émois, un trouble exceptionnel à l’ordre public et social et coûte cher à l’économie : on la traite souvent de scandale. Elle retarde le développement des Etats en amplifiant les inégalités sociales, freinant ainsi les efforts de financement des secteurs sociaux de base (santé, éducation, d’hydraulique etc.).

Enfin, l’infraction économique peut aussi être appréhendée à travers ses victimes. Celles-ci sont : l’Etat, les collectivités territoriales et les sociétés d’Etat et les Etablissements publics à caractère administratif. De toute évidence, il s’agit d’une entité généralement consacrée à la réalisation d’une mission d’intérêt général.

Comme supports de travail, la CoLDEFF peut s’appuyer sur deux types de rapports. D’abord, ceux préexistants à sa création que sont les dossiers pendants devant la HALCIA, les rapports d’inspection et d’enquêtes économiques, financières et fiscales ou de passation de service non encore traités par les différents corps de vérification et de contrôle, qui doivent lui être transférés. Ensuite, les rapports de la Cour des comptes[7] notamment ceux des années 2021 et 2022 faisant état de non-respect et non application des textes en vigueur, au niveau de l’Etat, des collectivités territoriales, des sociétés d’Etat et établissements publics ainsi que de la mauvaise exécution de la dépense publique en leur sein. Ils mettent à nu les malversations commises dans le cadre de la gestion de la pandémie de la Covid 19 considérée comme un cas de force majeure ayant cependant donné lieu malheureusement à des multiples violations des procédures de passation des marchés publics ou de délégation des services publics.

Les rapports d’inspection et d’enquête économique, financière et fiscale ou de passation, bouclés après sa création, dont elle est ampliataire, constituent le second type de dossiers dont la CoLDEF peut valablement traiter.

A présent quels sont les pouvoirs de la CoLDEFF dans les enquêtes qu’elle conduit ?

  1. La CoLDEFF dispose de prérogatives exorbitantes en matière d’enquête.

Dans le cadre de sa mission, la CoLDEFF dispose de moyens procéduraux élargis et de la compétence ratione temporis, toutes choses qui font s’interroger sur la qualité de ses membres.

  1. Des moyens procéduraux élargis
  • Les pouvoirs de perquisition.

La perquisition est une mesure d’enquête grave visant la recherche de preuve lors de la commission d’une infraction pénale. La procédure est strictement encadrée et se déroule sous le contrôle d’un juge ou d’un officier de police judiciaire. Elle ne peut avoir lieu à certaines heures et requiert l’assentiment exprès de celui chez qui elle se déroule[8]

  • Les pouvoirs de transaction

La transaction est une procédure alternative aux poursuites qui constitue, une des modalités d’extinction de l’action publique. L’objet consiste dans le versement d’une somme d’argent dont l’auteur de l’infraction devra s’acquitter. Toutefois en droit nigérien pour qu’il ait transaction, il faut qu’une disposition expresse de la loi l’autorise. 

  • Les autres pouvoirs

La CoLDEFF peut se faire communiquer tout document nécessaire à son enquête. Le secret bancaire ne lui est pas opposable, de même qu’elle peut faire ses constatations sur place ou sur pièces à l’image des différentes inspections de services publics.

  1. La compétence ratione temporis

Les actes et omissions que peut connaitre la CoLDEFF n’ont pas fait l’objet d’une limitation dans le temps. Ce qui fait qu’elle n’est pas tenue par la prescription de l’action publique à l’instar des juridictions[9]. Toutefois, même si son texte fondateur n’est pas explicite, l’exécution de sa mission sera logiquement circonscrite à la période de la transition puisqu’elle est rattachée au Président du CNSP.

A présent, il convient de s’interroger sur la qualité des membres de la CoLDEFF ; tout laisse à penser qu’ils ne sont pas des fonctionnaires ordinaires.

  1. Quelle qualité pour les membres de la COLDEFF ?

Nous venons de voir que la CoLDEFF disposent de pouvoirs exorbitants d’investigations, de prises de mesures conservatoires (interdiction de sortie du territoire national de tout suspect, retrait provisoire de tous documents de voyage), d’inventaire des valeurs et des biens meubles et immeubles du débiteur, de gel des avoirs financiers dans les comptes bancaires, de perquisitions et de réquisition de la force publique. Ces pouvoirs n’étant pas donnés à n’importe quel organe administratif, il y a lieu alors de s’interroger sur la qualité des membres de la CoLDEFF. Même si son texte fondateur ne l’indique pas explicitement, ces pouvoirs sont ceux de la police judiciaire dans le champ des infractions relevant de la délinquance économique et financière. Il ressort de l’article 28 du code de procédure pénale que : « les fonctionnaires et agents des administrations et services auxquels des textes spéciaux attribuent certains pouvoirs de police judiciaire exercent ces pouvoirs dans les conditions et limites fixées par ces textes ».

Par conséquent, au vu des attributions conférés par l’Ordonnance No.2023-09 du 13 septembre 2023, précitée, à la CoLDEFF, on peut dire que ses membres peuvent être rangés parmi les agents chargés de fonction de la police dans leur domaine de compétence. C’est sans doute cette qualité qui leur a permis de réaliser d’importants recouvrement en un laps de temps.

  1. Les réalisations de la CoLDEFF

Le rôle de recouvrement de la CoLDEFF en matière de recouvrement n’est plus à démonter ; à travers un aperçu des résultats présentés la situation à la date du 15 mars 2024, c’est-à-dire trois mois seulement après son installation le 16 novembre 2023, elle a pu recouvrer plus de 25. 466. 211. 692 FCFA dont 20. 656.962. 024 FCFA recouvrés et 4. 809.9519 668 FCFA pour les encours[10]. Sur une période d’un mois, soit du 15 février 2024 au 15 mars 2024, les réalisations s’élèvent à un montant de 8 389 983 247 FCFA.

Cette action de la CoLDEFF ne se limite pas aux retombées mesurables, elle se situe sans doute aussi dans le domaine de la dissuasion et de la pédagogie pour tout responsable qui venait à être nommé durant cette période de transition et même après le retour à une vie constitutionnelle normale.

Par ailleurs, l’action salvatrice de la CoLDEFF se situe dans le domaine de la bonne gouvernance. En effet, au vu des enseignements tirés à l’occasion du traitement des rapports, elle peut formuler des recommandations pertinentes aux autorités dans la gestion des finances publiques.

En définitive, la CoLDEFF et ses membres disposent des outils nécessaires pour s’atteler à la lutte contre la délinquance économique et financière, leur efficacité serait d’autant plus accrue dans la réalisation de leurs missions, si les incompréhensions avec la justice étaient aplanies.

  • La justice : une institution permanente chargée de la régulation sociale

La justice désigne au premier abord une valeur, une vertu, un idéal moral et un concept philosophique. Elle est à la fois instinctive (le sentiment d'injustice ou de justice s'impose à nous) et complexe (il est impossible de définir abstraitement les critères du juste).

Mais, cette définition large ne rend pas compte entièrement de l’essence de la justice. Le passage de ce sens large de la justice à une signification plus précise et plus juste est, en quelque sorte, naturel et nécessaire pour l’esprit. En effet, « ordre », « harmonie », et même « perfection » impliquent, virtuellement, rapprochement de termes distincts[11], ce qui laisse déjà entrevoir le concept de la justice vu comme critère régulateur des rapports entre sujets opposés : « déjà, par un processus dialectique naturel, on devait passer de cette première détermination générique à celle-ci plus précise, et cela presque nécessairement.

 Le pouvoir judiciaire quant à lui est l’un des trois pouvoirs de l’Etat. Plusieurs principes ayant désormais acquis une valeur coutumière président à la mise en œuvre de la justice.

En premier, on retrouve l’indépendance. Ce principe postule que les magistrats rendent leurs décisions sans pression ni instruction ou intrusion aucune. L’Ordonnance No.2023-09 du 28 juillet 2023, portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition traite à son article 5 des pouvoirs exécutif et législatif dont est investi le Conseil national pour la restauration de la patrie jusqu’à la mise en place de nouvelles institutions démocratiques est muette sur le sort réservé au pouvoir judiciaire. Cependant, il ne revient dans l’esprit de personne de remettre en question le principe de l’indépendance de la justice même sous un régime d’exception. La référence aux accords et traités internationaux antérieurement souscrits et régulièrement ratifiés suffit à consacrer le principe. Rien que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples[12] qui à son 26 dispose que :« Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des tribunaux […] ».

L’indépendance est donc une sérieuse garantie pour les justiciables qui participent au procès.

Le deuxième est principe est l’impartialité. Elle garantit que les magistrats ne se laissent pas influencer par leurs opinions et autres préjugés. Il implique que l’ensemble des arguments des parties fera l’objet d’un examen objectif.

La publicité est le troisième principe de fonctionnement de la justice. Les audiences sont sauf exceptions prévues par la loi tenues en public et sont accessibles à tous. Le public et les hommes de médias ont libre accès aux salles d’audience. Les jugements sont écrits et les juges ont une obligation de motivation de leurs décisions.

 Ce principe va de pair avec la permanence et la fixité des juridictions. La permanence de la justice traduit que son cours et sa mise en œuvre ne peuvent faire l’objet ni de suspension, ni d’interruption. Ce qui se constate amplement dans le fait que le pouvoir judiciaire n’a pas été mis entre parenthèse à l’image du gouvernement, de la constitution ou des autres institutions constitutionnelles suite au renversement du régime le 26 juillet 2023.

On remarque aisément que la justice n’est rattachée ni à l’exécutif, ni au législatif. Dans l’exercice de leur fonction, les magistrats dont l’office est permanent tranchent les litiges en étant soumis qu’à la seule autorité de la loi ; leurs décisions sont exécutoires sur l’ensemble du territoire national. Au-delà de tout, c’est le pouvoir judiciaire qui en dernier ressort est le garant des droits, libertés individuelles et collectives et surtout de la propriété.

La justice n’est pas une institution de recouvrement, mais un cadre de débat contradictoire avec toutes les garanties[13]pour la manifestation de la vérité.  Elle comporte plusieurs paliers à travers l’exercice des voies de recours qui donne la possibilité de critiquer les décisions dans les formes et conditions autorisée par la loi. Toutes ces garanties ne figurent pas dans l’ordonnance de la CoLDEFF.

Sans qu’il soit besoin de saisir les juridictions suprêmes, tout juge, à commencer par le plus proche des citoyens comme les tribunaux de proximité, assure le respect des textes, qu’ils soient nationaux, internationaux.
L’existence de juges indépendants, disposant de réels pouvoirs, est un moyen important de protéger les droits des citoyens. En effet, il est essentiel, lorsqu'un droit fondamental n’est pas respecté, que la personne qui s’estime lésée puisse se tourner vers une autorité capable de constater cette violation et, le cas échéant, de la sanctionner. La saisine de la justice est en principe compétente pour tous les litiges et sa saisine est ouverte à tous ceux qui disposent de la capacité juridique (personnes physique ou morale), ce qui n’est pas le cas de la CoLDEFF, limitée à exploiter des rapports portant sur des malversations.

  1. Les points faibles de la lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale résultant de l’Ordonnance No.2023-09.

Les faiblesses peuvent être appréciées tant par rapport à l’ancrage auprès de l’exécutif (A), ainsi que des difficultés de collaboration relevées entre la CoLDEFF et les acteurs judicaires (B).

  1. Les faiblesses liées à l’ancrage institutionnel de la CoLDEFF

L’efficacité des organismes de lutte contre la délinquance dépend notamment de l’indépendance de l’organe. Force est de constater que la CoLDEFF, créée en période d’exception, est directement rattachée à l’organe exécutif de la transition.

Vu sous cet angle, des critiques peuvent être formulées par rapport à la marge de manœuvre dont dispose elle dispose pour mener sa mission à bien.

  1. La CoLDEFF est une structure créée sous un régime d’exception

De manière générale au Niger, les organismes de lutte contre la délinquance sont créés pendant les périodes de transition où la constitution et les institutions qui en découlent sont dissoutes. Dans ces conditions, même si le respect de tous les engagements souscrits est proclamé, il n’en demeure pas moins que le contexte n’est pas semblable à celui d’un Etat de droit.

La présence massive des hommes/femmes en uniforme au sein de la CoLDEFF, et la présidence confiée à un militaire sont-elles de nature à rassurer les mis en cause ? Certes, le militaire est un agent de l’Etat comme tout fonctionnaire dont l’on ne peut douter de la compétence mais il dispose tout de même d’un statut à part. La seule convocation d’un civil à comparaître devant des militaires, sous un régime d’exception peut susciter la frousse.

  1. La CoLDEFF est une structure administrativement rattachée auprès de l’exécutif

L’article 5-3 de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et lutte contre la corruption (CUAPLC)[14] recommande aux Etats membres de "mettre en place, rendre opérationnelles et renforcer des autorités ou agences nationales indépendantes chargée de lutter contre la corruption[15] ». Cette indépendance s’entend sur le plan organisationnel, financier et fonctionnel. Etant donné que les deux premiers aspects n’intéressent guère la présente analyse, l’analyse sera axée sur l’indépendance fonctionnelle. Elle signifie que dans l’exercice de ses fonctions, une structure doit être soustraite aux interférences politiques, ne pas être soumise au contrôle d'une quelconque autorité.

Rattachée, conformément à l’article 1er de l’Ordonnance No.2024-09 au Président du CNSP, il est par conséquent légitimement permis de douter si elle a « les coudées franches » pour traiter de tout dossier sans l’assentiment de l’exécutif. 

Dans le même ordre d’idées, les membres des organes de lutte contre la délinquance doivent avoir un mandat clair, ce qui n’est pas le cas des membres de la CoLDEFF dont la nomination et la révocation restent à la discrétion du Président du CNSP. Afin d’assurer une représentativité "démocratique" auprès de la CoLDEFF, il eut fallu prévoir une composition par catégories socio-professionnelles et permettre à celles-ci de procéder à des désignations en leur sein.

  1. Le tempérament de l’ancrage de la CoLDEFF auprès du Président du CNSP

Les inquiétudes suscitées par le rattachement de la CoLDEFF auprès de l’exécutif peuvent être atténuées par un soutien politique sans faille et l’engagement pris par le chef de l’exécutif de ne pas protéger les personnes mises en cause dans les différentes procédures. Par ailleurs, la prestation du serment confessionnel des membres de l’institution qui jurent notamment d’exercer leurs fonctions en toute impartialité est une garantie supplémentaire.

Le rattachement de la CoLDEFF à l’exécutif n’est pas le seul handicap de nature à plomber l’institution ; dans son fonctionnement, il est apparu que les rapports avec les acteurs judiciaires ne sont pas au beau fixe.

  1. Les difficultés de collaboration entre la CoLDEFF et les acteurs judicaires

Il ressort de la première sortie médiatique du Président de la CoLDEFF que la HALCIA n’aurait pas transmis des données informatiques à son institution. Or cette mésentente n’avait pas sa raison d’être car, conformément à l’article 29 alinéa 2 de l’Ordonnance précitée : « les dossiers pendants devant la HALCIA sont transférés à la CoLDEFF ». Dossier s’entend au sens physique et électronique. Alors que cette incompréhension est en passe d’être réglée, d’autres difficultés de collaboration sont apparues entre la CoLDEFF et les acteurs judiciaires, à savoir les magistrats et les avocats.

  1. Les difficultés de collaboration avec la Magistrature

Aux termes de l’article 22 alinéa 2 de l’Ordonnance 2023-09, précitée, lorsque le traitement d’un dossier fait apparaître des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, la CoLDEFF transmet le dossier au Procureur de la République aux fins de poursuites. A l’analyse, cette disposition porte en elle-même des germes de conflits car cela veut dire qu’en dépit de son dessaisissement, la CoLDEFF peut encore continuer à gérer un dossier jusqu’à conclure une transaction laquelle éteint l’action publique. Mieux, le résultat est le même lorsque la transaction intervient alors qu’une information judiciaire est ouverte.

Il faut en déduire qu’à toutes les étapes de la procédure, du fait de la transaction, les mis en cause peuvent échapper à l’action de la justice.  La transaction prime donc sur l’acte de juger.

Quand on sait que l’effet du dessaisissement en droit est de faire perdre le pouvoir de statuer sur une affaire, on peut en conclure qu’il s’agit là d’une intrusion grave dans les affaires judiciaires tout comme l’inversement des rôles entre les deux institutions.

  • La transmission souhaitée des dossiers de la justice vers la CoLDEFF ou l’inversement des rôles.

Il ressort de l’article 29 alinéa 2 de l’Ordonnance No.2023-09, précitée, que les dossiers de la CoLDEFF sont transmis à la justice sous certaines conditions. Une inversion des rôles, à savoir la transmission des dossiers de la justice vers la CoLDEFF emporte au moins deux inconvénients majeurs.

  • Le premier fait perdre à la justice sa qualité de dernier rempart

Prenons le cas où un dossier transmis par la justice à la CoLDEFF ne reçoive pas un traitement satisfaisant, la question qui se pose est de savoir quel sort lui réservé ? D’emblée, il faut exclure, pour une question de cohérence, de le retourner vers la justice. La CoLDEFF risquerait de s’enfermer dans une procédure sans issue avec un dossier sans traitement administratif (CoLDEFF), ni judiciaire (Juridictions). 

En somme, envisager que la justice transmette les dossiers pendants devant elle reviendrait à ôter à cette institution sa qualité de dernier rempart de la protection des droits fondamentaux et de garante de l’égale application de la loi.

  • Le deuxième est de nature à créer l’insécurité juridique.

Le rapport public de 2006 du Conseil d’Etat français relève que : « le principe d’insécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles[16] »

La sécurité juridique est une valeur essentielle de protection des citoyens, qui figure dans les principaux instruments des droits de l’homme. L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme place le droit à la sécurité juridique, sous l’appellation de droit à la sûreté, parmi les droits de l’homme.

Dessaisir la justice au profit de la CoLDEFF est susceptible d’entraîner des effets négatifs pour les citoyens. Et des questions peuvent se poser : quels dossiers renvoyés, selon quels critères ? Faut-il l’accord du justiciable ou bien le renvoi se fait d’autorité ? Le justiciable renvoyé ou auquel le renvoi est refusé peut-il aller en contentieux, si oui devant quelle juridiction ? Comme on le voit, le transfert de dossiers à la justice est susceptible de provoquer une rupture d’égalité entre les justiciables.

  1. Les difficultés de collaboration de la CoLDEFF avec le barreau

Les incompréhensions avec les avocats ont été révélées lors d’une déclaration rendue publique par le barreau qui s’est insurgé contre le « non-respect des droits humains » auprès de la CoLDEFF. La question qui se pose consiste à déterminer le statut juridique de la CoLDEFF, ce qui permettra de se prononcer sur le bien-fondé d’une telle déclaration.

  • Le statut de la ColDEFF

Le statut de la ColDEFF ne ressort pas clairement dans son texte fondateur. D’évidence, il s’agit d’une institution créée dans des circonstances particulières, c’est-à-dire en période d’exception, dont la nature sera recherchée par analogie aux structures similaires existantes. La CoLDEFF est un organe qui s’inscrit dans un but répressif à travers la lutte contre la corruption et infractions assimilées[17]. D’où, en examinant ses caractéristiques, elle ne peut échapper à la classification réservée à de tels organismes qui ne sont pas des institutions judiciaires mais bien des autorités administratives censées être indépendantes, qui disposent de prérogatives exorbitantes.

Généralement pour les institutions de lutte contre la délinquance économique, les Etats ont le choix entre la mise en place d’une structure spécialisée et le renforcement des structures déjà existantes ou le mixage des deux. Au Niger, le choix de tous les régimes d’exception fut de créer une institution séparée du pouvoir judiciaire[18].

Le statut des autorités administratives indépendantes se distinguent par entre autres par :

  • Leur indépendance dont nous avons déjà parlé ;
  • Leur nature administrative, c’est-à-dire qu’elles agissent au nom de l'Etat et engagent sa responsabilité.
  • La place du barreau auprès de la CoLDEFF

L’Ordonnance No. 2023-09 est muette sur le rôle du barreau auprès de la CoLDEFF. Si le droit d'être assisté par un conseil était expressément reconnu, la CoLDEFF saurait à quoi s’en tenir. Cette insuffisance oblige à se référer aux textes communautaires et nationaux pour mener l’analyse.

L’article 3-2 de la CUAPLC dispose que les Etats parties s’engagent à se conformer aux principes suivants :« respect des droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux instruments pertinents concernant les droits de l’homme. »

On pouvait estimer que le visa de l’Ordonnance No.2023-02 du 28 juillet 2023, portant organisation des pouvoirs publics pendant la transition, qui elle-même à son article 1er réaffirme la garantie des droits et libertés de la personne humaine et du citoyen tels que définis par les principaux instruments internationaux, pallie ce vide , et suffit à déduire que ceux-ci  sont applicables à la CoLDEFF, et ainsi lever toute équivoque. Il n’en est rien. Pas plus que le Règlement No.05/06/CM/UEMOA du 2 juillet 2006 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession de l’avocat qui dispose à son article 5 alinéa 1 que : « les avocats assistent leurs clients dès leur interpellation durant l’enquête préliminaire, dans les locaux de la police et devant le parquet », n’aborde pas le rôle des avocats devant les instances administratives.

En plus, cette disposition concerne la matière pénale où l’avocat assiste son client, et on sait qu’en matière civile, il le représente. Il faut alors se référer à la Loi n° 2004-42 du 8 juin 2004 réglementant la profession d’avocat au Niger qui à l’article 3 dispose : « sous réserve des dispositions des articles 6, 7 et 8 ci-dessous, et sauf cas prévu par la loi, nul ne peut, s’il n’est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions.

Toute personne peut recourir à l’assistance d’un avocat tant devant les instances juridictionnelles ou disciplinaires que devant les administrations publiques ou privées. »

Il ressort de cette disposition que l’on peut recourir à un avocat devant notamment les administrations publiques ou privées. La CoLDEFF, autorité administrative, entre bien dans la catégorie des administrations publiques. Cette disposition consacre un champ d’application assez large en permettant à l’avocat d’intervenir même auprès des administrations privées.  Il faut se féliciter de la large consécration du droit à l’avocat devant toutes instances au Niger, ce qui garantit les droits du citoyen y compris devant la CoLDEFF, astreinte par conséquent au respect des garanties procédurales.

  • Les garanties procédurales applicables.

Le non-respect des droits fondamentaux a lourdement entaché les résultats obtenus par certaines commissions de lutte contre la délinquance dans le passé. L’on se rappelle qu’il est arrivé que des biens confisqués ont fait l’objet de restitutions plusieurs années après, tout simplement parce que des droits fondamentaux avaient été méconnus.

Rappelons quelques droits fondamentaux dont le barreau a pu relever la violation :

  • Les droits de la défense 

L’intérêt de la société à vouloir châtier les délinquants ne doit pas se faire au détriment de l’intérêt de l’individu, qui doit en toutes circonstances avoir la possibilité de se défendre. Les droits de la défense sont des prérogatives que possède une personne pour se défendre. Au titre des mesures destinées à assurer le respect des droits de la défense figurent en bonne place le droit à l’avocat qui peut être considéré comme sacré et fondamental. Les mis en cause ont donc le droit de se présenter avec leurs conseils constitués devant la CoLDEFF, ces derniers pouvant dès ce stade assister dans les procédures ; ce le cas notamment dans les transactions.

La violation des droits de la défense entraîne la nullité de l’acte ou de la procédure lorsqu’elle a effectivement porté atteinte aux droits de la défense[19]

  • La présomption d’innocence

Le principe de la présomption d’innocence est proclamé tant en droit interne qu’international. Selon Renée Koering-Joulin, « La présomption d’innocence désigne l’état à la fois provisoire et ambigu de celui qui, qu’on le veuille ou non, n’est plus tout à fait innocent mais n’est pas encore un coupable »

En vertu de ce principe, « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Cette présomption doit entraîner une dispense de preuve pour celui au profit de qui elle existe ; il en résulte, d’une part, qu’un individu, suspect ou poursuivi n’a pas à prouver qu’il est innocent, et d’autre part que si la preuve de sa culpabilité, faite par le Ministère public ou la partie civile, est insuffisante et qu’il subsiste un doute, il doit être acquitté ou relaxé.

Aussi, certaines expressions sous forme de menaces, adressées à des mis en cause, en d’autres circonstances, comme : « tu rembourses ou on transmet le dossier à la justice » ou « tu risques la prison » ne doivent pas avoir droit de cité devant la CoLDEFF, parce qu’ils sont toujours considérés comme innocents, jusqu’à preuve du contraire.

Au total, dans un contexte marqué par la volonté politique de mener une lutte implacable contre la délinquance économique, financière et fiscale, la clé de la réussite réside dans l’exercice de leurs attributions légales par tous les acteurs impliqués ; dès lors, on se rendra aisément compte que les différents rôles, loin d’être concurrentiels sont en réalité complémentaires.

Article co-rédigé par :
Abdourahamane Oumarou LY
Juriste

Mamoudou Idrissa BARRY
Doctorant en Droit public et
Magistrat

 

[2] L’histoire du droit nous livre l’exemple typique de lutte contre la prévarication des ressources publiques dans la Rome antique à travers le procès contre le gouverneur Verrès accusé d’abus de pouvoir, de détournement des fonds et de vol d’œuvres d’art. Ce procès fut emblématique, car l’accusateur était Cicéron dont les plaidoiries sont restées célèbres et le droit et la justice finiront par triompher.

[3] Il s’agissait d’un réseau de fausses factures (surfacturations, commandes payées non livrées d’un montant de 76 milliards de FCFA soit 116 millions d’Euros en 2020 au Ministère de la Défense Nationale – source Jeune -Afrique). Par ailleurs, la presse fait état des dossiers d’inspections d’Etat transmis dans lesquels les atteintes aux biens publics ont été estimés à 150 milliards de FCFA soit 228 658 536 millions d’Euros.

[4] Ordonnance n°2023-09 du 13 septembre 2023 portant création, missions, composition et modalités de fonctionnement d’une commission dénommée, Commission de la Lutte contre la Délinquance Economique Financière et Fiscale en abrégé.

[5] La délinquance économique et financière (à laquelle on peut adjoindre le terme "fiscale"), la corruption et les infractions assimilées, l’assainissement des finances publiques ou la moralisation constituent en réalité des expressions qui comportent très peu de nuances sur lesquelles il n’y a pas lieu de s’attarder. C’est pourquoi dans le cadre de la présente étude, ils seront employés indistinctement. On peut utilement se référer à l’article 20 de la Loi n ° 2015-02 du 13 janvier 2015, portant création, composition, organisation et compétence d’un pôle judiciaire et des chambres spécialisés en matière économique et financière, qui cite les infractions en la matière.

[6] Gilbert Ahouandjinou, Leçon inaugurale de la chaire UNESCO des droits de l’homme et de la démocratie de l’Université d’Abomey-Calavi, février 2015, centre de conférence Chants d’oiseau, inédit.

[7] Les rapports 2021 et 2022 de la Cour des comptes du Niger font état de non-respect et non application des textes en vigueur au niveau de l’Etat, des collectivités territoriales, des sociétés d’Etat et établissements publics ainsi que de la mauvaise exécution de la dépense publique en leur sein. La prise en compte de la pandémie de la Covid 19 considérée comme un cas de force majeure a été une occasion ouverte et malheureuse pour les multiples violations des procédures de passation de marchés publics ou de délégation des services publics.

[8] Exceptionnellement en droit comparé français, le juge de libertés peut sur la base de l’article 76 du code de procédure pénale, autoriser la perquisition sans l’assentiment de la personne perquisitionnée, si l’infraction est passible d’une peine supérieure ou égale à 5 ans d’emprisonnement.

[9]Au Bénin, les infractions de nature criminelle de la compétence de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) sont imprescriptibles, conformément à l’article 8 Al 3 du code de procédure pénale du Bénin. 

[10] A cela, il fait ajouter la mise en gage des milliers de parcelles, des titres fonciers, des stations d’essence et des villas.

[11] Alain Gourd, le concept de la justice dans la philosophie du droit de Giorgio Del Vicchio, revue générale de droit no 1 (2), 1970, pp 332-368.

[12] Ladite Charte a été adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi, au Kenya, et est entrée en vigueur le 21 octobre 1986. Le Niger l’a ratifiée le 15 juillet 1986/

[13] L’égalité des armes, le délai raisonnable et l’équité procédurale sont des garanties d’une bonne justice.

[14] Ladite Convention a été adoptée le 1er juillet 2003 à Maputo, Mozambique, et est entrée en vigueur le 10 mai 2006. Le Niger l’a ratifiée le 10 mai 2006.

[15] L’article 1er la Convention définit la corruption, comme étant les « actes et pratiques, y compris les infractions assimilées à la présente Convention ». 

[16]hptts//www.conseil-etat.fr, consulté le 03/03/24

[17]Ce genre d’organes prennent des dénominations différentes selon les pays et les époques.

[18] Seul le régime de la VIIème République, donc sous une vie constitutionnelle normale, a mis en place une institution permanente de lutte, indépendamment des institutions judiciaires, à savoir la HALCIA.

[19] Crim.12 juin 1952, J.C.P. 1952. II. 7241 ; note Brouchot ; Crim.22 janvier 1953.