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L’Insuccès judiciaire du Niger de trop : Par Me Yahouza AMANI/Avocat à la Cour

Depuis les événements du 26 juillet 2023 entrainant la prise de pouvoir politique par le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, le Niger ne cesse d’occuper l’actualité publique internationale. Partout, on parle du Niger en diplomatie, dans les espaces communautaires, dans les Universités, dans les forums, bref dans les centres des décisions diverses et variées.

Les nouvelles autorités marquent des points importants pour la défense de la souveraineté du pays dans leurs rapports avec l’Organisation des Nations Unies, l’Union européenne et la France. La solidarité du Mali, du Burkina Faso, du Togo, du Tchad, de l’Algérie et la résilience du peuple nigérien ont continué à atténuer les effets pervers des mesures et sanctions prises par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernements de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Si ces points restent positifs, il n’en est pas de même sur le plan judiciaire tant à l’interne qu’à l’international. En effet face à l’insuccès judiciaire du Niger, il m’a paru légitime de faire part de mes quelques réflexions sur des aspects politiques et judiciaires de la situation du "Président déchu"

  1. Les aspects politiques de la situation du "Président déchu"

Les nouvelles autorités du pays ne cessent d’affirmer que Mohamed Bazoum vit en toute sécurité et se trouve des bonnes conditions de vie dans son palais présidentiel. Peut-être une erreur de communication politique, car Mohamed Bazoum dès lors qu’il a perdu son pouvoir n’a plus de palais présidentiel pour continuer à l’occuper. Les déclarations répétées sèment une confusion sur son statut réel ou apparent d’où une exploitation politique par la France, par certains pays membres de la CEDEAO  et par la Cour de  justice de ladite Communauté en référence à ses récentes décisions sur les requêtes du Niger.

Le changement dans les exigences pour la levée des mesures inédites contre le Niger en est la parfaite illustration. On entend ici et par-là que Mohamed Bazoum doit être libéré et il revient aux nouvelles autorités de choisir le pays de destination.

Le nouveau discours de la CEDEAO  et de la France sur le Niger est dénué de tout fondement juridique. En effet, le Niger ne peut légalement être demandeur d’asile politique pour Mohamed Bazoum. Toutefois, il peut exister d’autres alternatives légales et exceptionnellement sur le plan politique comme la désignation d’un médiateur national.

 La focalisation de certains dirigeants politiques étrangers sur la situation personnelle de Mohamed Bazoum est un leurre pour compliquer la gouvernance de la transition politique en cours au Niger. Le levier employé se trouve porté par la juridiction communautaire de la CEDEAO. Cette dernière a déterminé dans ses récentes décisions l’absence d’urgence pour la suspension des mesures contre le Niger dans un premier temps avant de nier complètement la qualité de sujet de droit international aux nouvelles autorités politiques nigériennes.

Une telle situation se justifie par l’absence de cohérence des décisions politiques majeures sur le sort de Mohamed Bazoum et la détermination d’un cadre interne de dialogue politique avec la présidence de la CEDEAO. Le statut juridique de Mohamed Bazoum est indéfini et aucune inculpation pour quelque infraction que ce soit n’a été opérée. Il n’est ni en résidence surveillée par une décision administrative actée ni en détention préventive par l’exécution d’un mandat de justice.

 Les nouveaux gouvernants agissent en omettant que le Niger est sous un régime d’exception, lequel doit être marqué par une production du droit partout où les faits l’exigent. Ils peuvent en conséquence poser tous les actes requis dans la légalité et sans aucune responsabilité pénale et civile. L’absence des décisions politiques majeures a aussi des répercussions sur les aspects judiciaires de la situation de Mohamed Bazoum.

  1. Les aspects judiciaires de la situation du Président déchu

Le département ministériel de la justice et l’Agence judiciaire de l’Etat du Niger ont un bilan non satisfaisant dans la gestion de la situation judiciaire de Mohamed Bazoum et de ses suites. En effet, il est difficile de comprendre les trois échecs judiciaires successifs.

On peut citer à titre illustratif la procédure de référé d’heure à heure initiée et gagnée par les avocats d’un des enfants de Mohamed Bazoum relativement à la question de la séquestration ;  l’insuccès judiciaire par devant la Cour de justice de la CEDEAO  tant sur le plan de la procédure d’urgence que sur celui de la requête au fond.

L’insuccès judiciaire n’est nullement fortuit si tant que les tâches dévolues ont été correctement accomplies. Il y a lieu  dans le cas d’espèce de situer les responsabilités avec la prise des mesures appropriées. Il s’agira d’apporter des corrections dans l’initiation des procédures judiciaires au nom de l’Etat du Niger et surtout d’améliorer leurs rendements pour l’avenir.

L’Etat du Niger doit avoir une défense de qualité soutenue par des ressources humaines et financières  à la hauteur des procédures initiées. Il reste encore des actions à engager notamment :

  • contre la France, le Sénégal, La Côte d’Ivoire, le Bénin et le Nigéria entre autres pour le crime d’agression par la saisine de la Cour pénale internationale ;
  • contre le Bénin pour violation de ses obligations internationales à l’égard du Niger, pays sans littoral ;
  • et contre le Nigeria pour les mêmes obligations et aussi pour l’inexécution des obligations contractuelles dans la fourniture électrique par la société fédérale liée sur les injonctions des dirigeants politiques nigérians.

Le Niger doit agir conséquemment avec une volonté politique plus poussée pour assurer la défense de qualité des intérêts de son peuple sur le plan judiciaire tant au niveau des juridictions nationales qu’internationales.

Par Me Yahouza AMANI, Avocat à la Cour