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Gestion des ressources publiques : Le pétrole nigérien, géré de père en fils

Véritable pièce indéboulonnable du puzzle mis en place par le régent qui a régné de main de fer sur le Niger pendant 10 ans, Pierre Foumakoye Gado était perçu depuis le début comme une sorte de faire-valoir, un homme agissant par procuration au nom d’Issoufou Mahamadou. En s’assurant de placer à la tête de l’Etat un homme totalement dévoué et prêt à tout pour accéder à la magistrature suprême, Issoufou voulait sans doute continuer à garder la haute main sur le pétrole, la manne devenant, à l’orée de 2021, encore plus intéressante. De 20 000 barils par jour, le Niger, selon les prévisions d’exploitation, passerait en fin avril 2021, à 120 000 barils par jour. Une rente multipliée par 6 qui ouvre de nouvelles perspectives d’enrichissement pour ceux qui, depuis 10 ans, ont mis les ressources du pays sous coupe réglée. Issoufou Mahamadou, manifestement, n’entendait laisser à personne l’opportunité de…

Pas même à Bazoum Mohamed, son protégé et partenaire politique. Le tout premier gouvernement formé par celui-ci l’a confirmé. Au poste stratégique du Pétrole, c’est le fils d’Issoufou, Sani Issoufou dit Abba, qui se fait nommer.

Auréolé de nouveaux pouvoirs que n’avait pas Pierre Foumakoye Gado, le rejeton de l’ancien président aurait également à gérer les énergies renouvelables.

Un vaste éventail de pouvoirs qui permet à la famille Issoufou de garder la main sur les secteurs porteurs et générateurs de flux d’argent considérables.

Alors que le gouvernement n’a jamais informé sur l’usage fait de cet argent, subitement, des dignitaires du régime sont devenus riches comme Crésus. Après, donc, la décennie passée au cours de laquelle les Nigériens se demandent ce que sont devenues les ressources tirées de l’exploitation pétrolière, c’est une nouvelle phase, tout autant opaque, qui va s’ouvrir. Pour la plupart, les Nigériens estiment d’ailleurs que Issoufou, en imposant son fils à ce poste, entend garder secrets les micmacs éventuels qui ont marqué la gestion du pétrole. Très tôt, le gouvernement Issoufou a contracté auprès d’Eximbank de Chine, un prêt de 1000 milliards de francs CFA. Un prêt de 1000 milliards révélé par Hama Amadou mais contesté dans son montant avec véhémence par le pouvoir avant que Brigi Rafini, le Premier ministre, ne reconnaisse officiellement, probablement sous la pression de la Chine, que ledit montant était bel et bien exact. On apprendra par la suite qu’en contractant ce prêt de 1000 milliards, Issoufou Mahamadou qui n’a jamais requis l’avis de l’Assemblée nationale, a hypothéqué des années de production pétrolière. Où sont passés ces 1000 milliards de francs CFA ? C’est l’opacité totale. L’utilisation de cette manne est des plus incertaines. Alors que le gouvernement n’a jamais informé sur l’usage fait de cet argent, subitement, des dignitaires du régime sont devenus riches comme Crésus. Des immeubles de grand standing poussent aux quatre coins de Niamey, voire du Niger. La fête tournante du 18 décembre est devenue l’occasion et le créneau d’investir, à pas feutrés, dans l’immobilier.

Peut-être qu’après le père, avec les 1000 milliards d’Eximbank de Chine, le fils aussi contractera son prêt.

Celui qu’on appelle, à Niamey, Abba Issoufou, est le nouveau maître d’ouvrage désigné par le véritable maître d’oeuvre qu’est Issoufou Mahamadou. Un nouveau maître d’ouvrage qui va se charger de veiller sur les intérêts du petit cercle qui gère le pétrole nigérien. S’il est là pour garder la main familiale sur les petits secrets malodorants de ce portefeuille, Abba est là également pour permettre à la famille de garder sous son contrôle ce secteur dont la production connaîtra bientôt, si les échéances annoncées sont respectées, un bond prodigieux. Le pétrole nigérien est, donc, géré de père en fils. Peut-être qu’après le père, le fils aussi contractera son prêt. Les perspectives de passage de 20 000 barils par jour à 120 000 barils annoncées de longue date le lui permettent. L’hypothèse n’est pas exclue. Bazoum Mohamed, le tout nouveau régent, pourrait en avoir besoin. Ferré comme il l’est dans un gouvernement aux fondations issoufiennes, Bazoum Mohamed ne peut refuser ce qui lui sera présenté comme une aubaine à saisir.

En a-t-il d’ailleurs le choix ?

Ouhoumoudou Mahamadou au poste de Premier ministre, Abba au Pétrole Bazoum Mohamed dispose de peu de marges de manoeuvre pour s’émanciper de son mentor. Selon une source politique proche du pouvoir, « il n’en a ni la possibilité, ni la prétention, son pouvoir dépendant entièrement de celui qui l’a créé ».

Géré ainsi de père en fils, le pétrole nigérien risque de pas profiter au peuple nigérien mais à ce que Mahamane Ousmane a dénoncé sous le vocable d’oligarchie. En contrôlant le portefeuille du pétrole, désormais doté de 120 000 barils par jour et l’exportation rendue possible grâce au pipeline en cours de réalisation, la famille Issoufou détient toujours les clés du pouvoir, même après le départ du père.

L’argent, dit-on, est le nerf de la guerre. Le pétrole nigérien va en fournir abondamment à partir de ce mois d’avril 2021. Issoufou Mahamadou, qui tient à ne pas s’éloigner afin d’avoir un oeil sur tout, sera pour le pouvoir en place une sorte de pôle de décision informel mais déterminant. En conservant par personnes interposées (Abba et Ouhoumoudou) le contrôle de la Primature et du Pétrole, le surprenant récipiendaire du prix Mo Ibrahim, qui s’est établi non loin de la présidence de la République, toujours sous bonne protection de sa Garde présidentielle, crée une sorte de bicéphalisme à la tête de l’Etat. Il risque même de faire de l’ombre à Bazoum Mohamed qui a pleinement connaissance de ses limites objectives. Géré ainsi de père en fils, le pétrole nigérien risque de pas profiter au peuple nigérien mais à ce que Mahamane Ousmane a dénoncé sous le vocable d’oligarchie.

Hier, Pierre Foumakoye Gado, aujourd’hui Sani Issoufou, le pétrole est en train de devenir une tragédie pour le peuple nigérien.

Malgré les immenses ressources qu’il a pu générer, notamment les 1000 milliards d’Eximbank, l’école manque cruellement de classes, d’amphithéâtres et d’autres infrastructures et matériels, la santé est de plus en plus marchande, l’eau potable est plus que jamais hypothétique, l’armée manque d’armes, d’appareils et d’équipements adéquats, etc. Une tragédie qui va être accentuée, Bazoum ayant rassuré Issoufou et ses autres partenaires que ce sera la continuité.

Doudou Amadou