Forum national au Niger : pourquoi le silence du Chef de l'État suscite des interrogations
Vos compatriotes vous ont écouté et vous ont probablement compris. Il faut dire que pour un message à la nation consacrant l’anniversaire de la République, vous avez été de l’avis de nombreux compatriotes peu bavard sur les perspectives attendues. Ce sont pourtant des perspectives que vous avez pourtant laissées entendre imminentes. Je veux parler du forum national inclusif sur lequel j’ai déjà partagé avec vous mon avis patriote et par rapport auquel votre ministre des Affaires étrangères, par une lettre fuitée sur les réseaux sociaux, informait que chaque région, y compris la diaspora, sera représentée par deux délégués. Je ne reviendrai pas sur ce que représente 20 délégués pour une population estimée à 26 millions d’âmes. Cependant, je voudrais relever, pour vous et pour le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp) que vous dirigez, que ne pas faire la moindre mention de cet évènement dans votre adresse à la nation est une insuffisance notoire. C’est donc de bonne guerre s’ils se sont interrogés sur ce silence bruyant que vous avez affiché dans ce message à la nation du 18 décembre 2024. Pourquoi le chef de l’État n’a pas dit un mot de ce forum que l’on dit imminent ? L’impasse totale observée sur la question dans votre adresse a été interprétée. Si les plus irréductibles soutiens du Cnsp prétendent que votre message n’est que le reflet de la situation de mi-guerre, mi-paix que nous vivons, d’autres compatriotes estiment que vous avez raté le coche et que votre choix procède certainement d’une volonté de passer outre ce fameux forum. Quoi qu’il en soit, je crois que vous auriez dû en parler, soit pour annoncer la période, soit pour informer de son annulation pure et simple.
Outre que vous n’auriez pas dû vous taire ainsi sur ce forum que vous-même, vous avez annoncé et que vos collaborateurs préparent dans une cachotterie qui ne sied pas, l’évènement, je voudrais vous le rapporter avec sincérité, ne saurait être préparatoire d’un avenir souhaitable pour le Niger et son peuple si la logique actuelle est poursuivie jusqu’à son terme. Il faut de toute évidence se rendre compte que c’est pratiquement jouer la roulotte russe que d’écarter les partis politiques, les syndicats et les organisations de la société civile. Si le nombre de partis politiques est pléthorique et qu’il faut éviter un remake des joutes inutiles de la Conférence nationale souveraine, il y a lieu toutefois de ne pas perdre de vue les risques liés à une recomposition du paysage politique. L’élimination des nombreux et insignifiants partis politiques peut se faire, si la loi est appliquée dans toute sa rigueur, par le truchement des résultats électoraux. Oui, la loi et hélas, c’est là où le bât blesse.
Mon Général,
Vous le savez bien, c’est sur ce plan de l’application stricte de la loi que nous avons pêché et qui me rend si fragile, voire faible dans les débats publics sur la gouvernance et la refondation encours. Si la loi avait été appliquée, nombre de compatriotes qui s’agitent aujourd’hui autour du Cnsp et de ce qu’il entreprend, avec des soutiens multiples et multiformes, seraient bien plus loin que derrière des barreaux. La loi pénale, permettez-moi de vous le rappeler encore une foi, prévoit la péine capitale à celui qui détourné un montant ou un bien d’une valeur de 500 millions et plus. Je vous prie donc d’éviter tout raccourci qui ne règlerait pas forcément le problème de la pléthore des partis politiques. « I Si Birgnafuladumbu abanda », dit la sagesse populaire zarma, autrement dit en français — la traduction n’est pas garantie — il est surréaliste de vouloir confectionner le bonnet du phacochère en son absence. Nous devons y réfléchir sérieusement.
Le forum, malheureusement, n’est pas l’unique sujet de préoccupation populaire que vous avez omis d’aborder dans ce discours-message à la nation. Vos compatriotes auraient souhaité vous entendre parler de la libération des prisonniers politiques, civils et militaires, qui croupissent en prison depuis plus de 17 mois alors que vous avez mis fin à la 7e République. Si vous avez un goulot d’étranglement, c’est certainement cette extraordinaire position que vous assumez sur cette question. Je dois d’ailleurs dire que ce n’est pas la seule question sur laquelle je fais profil bas à chaque fois que le débat est posé. Il ya aussi ce que j’ai appelé l’absolution-rédemption que vous avez accordée à des individus qui sont passibles de la peine de mort selon la loi pénale nigérienne. Oui, c’est le désir de justice qui explique en général la mobilisation spontanée et permanente de vos compatriotes au lendemain des évènements du 26 juillet 2023.
Mon Général,
Soyez de ceux qui se remettent en cause car ce sont ces personnes qui avancent et qui font avancer leurs peuples. Vous dirigez un peuple épris de paix et de justice sociale et l’ignorer, c’est faire le pari osé de faire passer des vessies pour des lanternes. J’espère, pour le bien du Niger et de son peuple qui nous réunit, que vous n’avez fait aucune allusion au forum national parce que vous avez décidé, en coulisses, de faire réviser ce qu’on a laissé entrevoir à travers la lettre du ministre des Affaires étrangères. J’espère surtout qu’il n’y aura aucune exclusion de type catégoriel et que le forum sera l’émanation du peuple nigérien et que ses conclusions engageront l’ensemble des Nigériens. J’espère enfin que les brides entrevues à travers les questions qui doivent être abordées lors des forums de la diaspora vont totalement tomber et que les délégués discuteront de tous les sujets de préoccupation nationale. En attendant, vous gagnerez beaucoup dans la réalisation de vos desseins publics pour le Niger en favorisant la tenue de procès équitables sur les sales affaires qui ont ponctué la vie de la 7e République et en faisant libérer l’ensemble des prisonniers politiques, civils et militaires.
Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)