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Entretien avec l’ambassadeur de la République de Türkiye au Niger : « C’est notre principe... il faut laisser le peuple nigérien prendre ses décisions. Il faut le respecter », dixit SEM Özgür Çinar

Excellence, la République de Türkiye célèbre ce dimanche 29 octobre 2023, le centenaire de sa création. Dans quel état d’esprit abordez-vous cette célébration historique ?

Si je prends l’histoire de la Türkiye, c’est très long. Pour cela je vais quand même limiter à l’histoire de la République comme c’est notre sujet, le centenaire. L’année 1923 est la date à laquelle la Türkiye a repris son indépendance après une période de guerre, y compris la première guerre mondiale, contre différents pays. La Türkiye a repris ainsi son destin, son indépendance, grâce au fondateur de la République de Turquie, Mustafa Kemal Atatürk, et ses compagnons. A l’époque, c’était des moments très difficiles parce que c’était une période de guerre qui a duré 10 ans. Quand la République de Türkiye est fondée, la population en Turquie ne dépassait pas 15 millions. Le pays était dans de grandes difficultés économiquement et socialement. Il n’y avait pas assez d’écoles et de centres de santé. C’est dans ces conditions que la Türkiye a commencé à établir toutes ces institutions républicaines et a entamé une période de développement très forte.

Sans rentrer dans les détails, je peux vous dire que cela a été une importante avancée dans notre histoire, et aussi dans l’histoire mondiale car, ce n’est pas si souvent qu’on voit un pays réussir sa transformation. Déjà pendant ces périodes, pendant le déclin de l’empire ottoman et même avant cela, la Turquie avait des relations avec le continent africain, à partir de l’Afrique du Nord jusqu’aux pays du Sahel, avec les peuples qui vivent ici. Nous avons de tout temps été liés, d’abord par la religion, et ensuite par des échanges commerciaux qui étaient importants, grâce notamment aux caravanes Nord-Sud qui partaient des ports de Libye et d’Algérie, à l’époque de l’empire ottoman, et qui ont tissé des relations avec ces régions dont la République du Niger d’aujourd’hui. On peut donc dire que la relation qui lie les Républiques de Turkiye et du Niger, bien qu’ayant connu différentes périodes de difficultés au cours de l’histoire, date de très longtemps. Heureusement, on s’est retrouvé dans les années 2000, ce qui a abouti à l’ouverture de notre ambassade au Niger en 2012. Nous considérons cet aboutissement comme étant des retrouvailles entre nous.

En 11 ans de coopération bilatérale nouvelle quel bilan peut-on tirer ?

En 11 ans, nous pouvons apprécier des investissements positifs dans le cadre de notre coopération, bien qu’ils puissent être améliorés du fait de notre connaissance et de notre compréhension des besoins du Niger. Comme je viens de le dire plus haut, à la période de la fondation de la République turque, nous faisons face aux mêmes difficultés que le Niger traverse actuellement. Nous savons donc par expérience que la réponse à toutes ces difficultés réside dans le développement. Pour aboutir au développement du Niger, la Türkiye a la volonté de l’accompagner en amenant sa contribution à travers des investissements et des partages d’expériences et de savoir-faire.

L’ambassadeur de Türkiye avec notre reporter

‘’Le Niger n’a pas besoin d’une relation fondée sur l’aide’’

Pour nous, le Niger n’a pas besoin d’une relation d’aide. Il a juste besoin d’un accompagnement sincère pour augmenter ses capacités existantes dans les différents domaines. C’est cela notre politique envers les pays africains, une politique qui est basée sur une relation gagnant-gagnant. Tous les modèles d’investissement de la Türkiye qui sont réalisés jusqu’aujourd’hui au Niger, se font dans le respect de ce modèle. C’est ce qui explique pourquoi tous nos projets d’investissement se font en partenariat avec le Niger et les Nigériens. Nous amenons donc notre savoir-faire, notre expérience, nos investisseurs publics ou privés, et tout ce beau monde travaille ici, au Niger. Tous les projets turcs sont réalisés via des intermédiaires nigériens, que ce soit des institutions officielles ou bien des acteurs nigériens du secteur privé. C’est un modèle réussi de partenariat.

Je peux donner quelques exemples de réussite. Comme vous le savez on a, par l’intermédiaire de l’Etat turc, une coopération officielle qui a permis la construction de l’hôpital de l’amitié et des écoles Maarif, ainsi que la mise en œuvre de tous les projets de la Tika. On essaye de privilégier surtout les projets de développement et dans tous ces modèles, dans tous ces exemples, il y a des points communs : nous avons une coopération surplace, bien définie, et qui marche bien chaque année. De notre côté, on gagne de l’expérience, mais aussi nous constatons que la partie nigérienne aussi gagne de l’expérience. Surtout dans les dernières années, on a développé différents types de coopérations et on les a diversifiés.

Vous avez parlé de l’existence d’un fort potentiel de développement au Niger ; qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

D’abord, le Niger a un potentiel pour la production agricole, ce qui est important pour soutenir la forte croissance démographique que connait le pays. Nous croyons que le Niger a non seulement une capacité d’autosuffisance pour lui-même, mais aussi pour la région. Nous avons déjà commencé des études pour la production agricole, le potentiel d’irrigation, etc. On a fait des études, des travaux de forages dans quelques régions au Niger et on a pu confirmer l’existence de ces capacités, du terrain, et il y a aussi de l’eau. Il suffit juste d’investir dans le développement du secteur agro-alimentaire pour augmenter la production. C’est l’un des piliers que nous privilégions car, avec l’accroissement démographique, il faut trouver des moyens pour nourrir toute la population. En plus, le Niger a des capacités de production d’énergie électrique. Les technologies actuelles permettent d’utiliser sans risque des centrales thermiques électriques. La Türkiye contribue actuellement dans ce secteur à travers une société turque. Dans le futur, les centrales thermiques peuvent être une réponse efficace pour couvrir et atteindre l’autosuffisance et l’autonomie en électricité. C’est ce qui est important à nos yeux.

Le Niger peut donc attirer, selon vous, des investissements venant de l’extérieur ?

Et une fois qu’on a de bons résultats, au niveau de la production agricole et de la production d’électricité, cela va bien sûr amener une atmosphère très positive et attractive pour tous types d’investissements. Tout le monde le dit, ce n’est pas moi seul ; le Niger possède des ressources souterraines importantes. Mais pour pouvoir réellement bénéficier des retombées économiques de ces ressources, nous voyons le Niger se développer, réussir ses infrastructures et devenir dans la région fort, dominant même. C’est avec cette idée qu’on approche le Niger.  C’est vrai qu’il y a une conjoncture qui n’est pas facile ni pour le Niger, ni pour les pays de la région. Mais nous fondons beaucoup d’espoirs sur le Niger parce qu’on sait que cette mauvaise passe sera bientôt surmontée avec succès. La Türkiye avait des problèmes de sécurité, mais cela ne l’a pas empêché de se développer tout en combattant le terrorisme. Il faut donc régler les problèmes sécuritaires pour atteindre le développement.

‘’Nous voulons être un partenaire pour les solutions que le Niger va trouver de lui-même’’

La Türkiye est-elle prête à se tenir aux côtés du Niger dans sa lutte contre le terrorisme ?

Notre politique est très claire : nous maintenons notre soutien au Niger dans le contexte de son combat contre les groupes terroristes. En lien avec ce que vous venez de demander, la coopération militaire avec le ministère de la Défense nationale se poursuit, surtout à travers la livraison d’équipements militaires. Et, on va poursuivre cela grâce notamment au dialogue permanent que nous avons avec les autorités nigériennes. Il faut souligner ici que les avions que le Niger s’est fait fournir sont les premiers exemplaires qui sont exportés. Après la Türkiye, c’est le Niger qui a commencé à les utiliser. Pourquoi ? C’est parce que la Türkiye est d’accord et toujours prête, à partager son plus haut niveau de technologie dans l’industrie de la défense. On ne limite pas nos échanges et surtout, on travaille pour augmenter les capacités de nos partenaires, pas seulement au niveau de l’équipement militaire. Pour ces aéronefs, par exemple, il y a eu des formations de pilotes nigériens en Türkiye et qui volent avec ses avions. Mais mieux encore, des techniciens sont formés ici au Niger pour se perfectionner dans la maintenance de ses appareils.

En même temps que ces avions volent avec des pilotes nigériens, des techniciens nigériens se perfectionnent au sol pour assurer leur maintenance. Sans cette boucle complète, ça ne serait pas un modèle durable de relation. L’essentiel c’est que le Niger et les Nigériens apprennent et appliquent. Cela participe à notre souhait de développement économique pour le Niger. Nous ne cesserons jamais de le dire : pour atteindre le développement, il faut d’abord résoudre le problème du terrorisme, lui apporter une réponse adéquate. Nous écoutons le peuple nigérien, plus de 25 millions de Nigériens, et nos choix politiques cadrent toujours avec leurs aspirations. Pas autre chose.

On va continuer à travailler dans tous les domaines. Comme vous le savez, la Türkiye n’a pas arrêté ses investissements et son travail dans les différents domaines où on intervient au Niger. De même, on n’a pas expatrié les citoyens turcs du Niger. Tout le monde est là, tout le monde continue à travailler parce qu’il faut atteindre les résultats prévus. Notre coopération avec le Niger avance bien et on ne peut pas l’arrêter à cause de tel ou tel motif. Il y a 25 millions de personnes au Niger avant le 26 juillet et les 25 millions de personnes sont toujours là, avec des besoins. Nous écoutons les Nigériens, nous évaluons les besoins et nous étudions les possibilités qu’ils nous présentent, simplement parce que nous voulons être un partenaire pour les solutions que le Niger va trouver de lui-même.

La Türkiye était l’un des premiers pays, sinon le seul pays au lendemain du coup d’Etat à avoir demandé de ne pas suspendre la coopération technique qui bénéficiait aux populations. Avec l’éloignement d’une guerre de la CEDEAO contre le Niger, les autres pays s’alignent finalement sur votre vision. On peut dire qu’en l’espace de 2-3 mois, l’histoire vous donne raison ?

Notre Président de la République a déclaré à différentes reprises qu’une intervention militaire au Niger va créer davantage d’autres problèmes, pas seulement au Niger, mais aussi au niveau régional. Nous savions qu’une intervention militaire n’était pas une réponse adéquate sur ce qui s’est passé. Dans l’histoire, il y a plusieurs exemples de coups d’Etat, de transitions différentes. On peut en tirer des leçons bien sûr mais, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est de maintenir la stabilité, la sécurité et bien sûr travailler pour le bien-être des populations. S’il y a une intervention militaire, qui peut garantir tout ça? La guerre n’est donc jamais une solution. Il faut chercher des moyens de dialogue, des réponses, ainsi que des solutions diplomatiques. C’est notre principe pour dire qu’il faut quand même laisser le peuple nigérien prendre ses décisions. Il faut le respecter.

Justement, quel message vous avez à l’endroit du CNSP et aussi du peuple nigérien en ces moments difficiles ?

Le message c’est de dire que je suis ici en tant qu’ambassadeur d’un pays ami et frère et notre souhait est que le peuple nigérien, le CNSP, le Gouvernement nigérien réussissent en ces moments difficiles. De notre côté, nous allons les écouter et voir ce qu’on peut faire pour le pays sans mettre des conditions. On ne va pas peut-être limiter ici seulement notre soutien parce que la Türkiye a une capacité diplomatique et économique à l’échelle mondiale. Nous allons chercher à soutenir le Niger dans les relations internationales. Il faut qu’on ait de la patience. Avec la patience, avec détermination, sans arrières pensées, nous essayons de voir les choses dans un contexte réaliste, et avec pragmatisme.

Propos recueillis par Souleymane Yahaya (ONEP)