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Editorial : Le casse-tête malien de la CEDEAO ! - Par Zakari Alzouma Coulibaly

L’actualité africaine est dominée, ces derniers temps, par la batterie de sanctions prises à l’encontre du Mali et de la junte militaire au pouvoir, par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ces sanctions sont fortes et dures, mais pourraient se justifier par la complexité de l’équation malienne. Elles se fondent sur le non-respect, par les autorités de la Transition malienne, d’un certain nombre d’engagements souscrits auprès de l’instance régionale, dont entre autres, l’organisation d’élections générales en février 2022.

Faut-il le rappeler utilement ici, la situation sociopolitique malienne est inédite sur la scène politique continentale, car, il y a eu un ‘’coup d’Etat dans un coup d’Etat’’, pour emprunter l’expression du président français, Emmanuel Macron, au lendemain de l’éviction des autorités de la première Transition par le chef de la junte militaire Assimi Goïta. Cette révolution de palais est venue ajouter à la complexité de la situation malienne déjà fragilisée par la dégradation progressive et préoccupante de la situation sécuritaire dans sa partie septentrionale. Que faire alors ?

La CEDEAO et la communauté internationale voulaient un agenda clair, précis et raisonnable de la part de la junte militaire pour le retour à l’ordre constitutionnel normal, par le biais d’élections. De leur côté, la junte militaire et ses soutiens civils, invoquant la nécessité d’opérer une série de réformes pour la refondation de l’Etat malien, ont proposé une fourchette pouvant aller jusqu’à cinq (5) ans pour la durée de la Transition. Que fallait-il déduire de tout cela ? Volonté de la junte militaire de s’éterniser au pouvoir, prétextant l’impossibilité de tenir les échéances électorales dans des conditions normales ? Ou bien jeu d’influences géostratégiques, exportant ainsi la vieille confrontation Est/Ouest, remise au goût du jour par le nouvel expansionnisme russe dans le monde ?

A vrai dire, la grille de lecture appropriée pour saisir pleinement le cas malien est très difficile à comprendre, tant tout vient s’entrechoquer dans un indescriptible puzzle de causes à effets, rendant complexe toute la compréhension de la situation dans son exactitude. L’on se souvient sans doute des mots du Premier ministre Choguel Maïga à la tribune des Nations Unies, en septembre 2021, quand il affirmait que, « notre allié stratégique (la France) nous a abandonné en plein vol » ! Car, comme vous le savez déjà, la France a décidé récemment de revoir son intervention militaire au Mali, à travers une redéfinition de la stratégie militaire de la Force Barkhane dans son ensemble.

Au pays du ‘’Djoliba’’, cet ajustement décidé unilatéralement par Paris a été perçu par les autorités et l’opinion publique maliennes comme un ‘’abandon du Mali par la France’’. Dans ces conditions, légitimement, les autorités maliennes seraient fondées en droit de se chercher de nouveaux alliés afin d’assurer la défense et la sécurité de leur pays : c’est un droit consacré par le droit international public. Naturellement, le Mali s’est tourné vers ses anciens alliés historiques, en l’occurrence la Russie de Poutine. Point besoin de rappeler ici cette forte coopération entre le Mali de Modibo Keïta et l’U.R.S. S de l’époque ! Cependant, tout ce raisonnement serait juste et fondé, si quelque part, un certain sentiment anti-français n’était pas apparu au Mali, ces derniers temps, où une certaine opinion publique malienne remettrait profondément en cause l’efficacité de la coopération militaire française dans le Sahel, en général et au Mali, en particulier.

Face à cette montée du sentiment anti-français, interpellées par leur opinion publique intérieure et aussi par l’opposition politique (année électorale en France oblige !), les autorités françaises avaient semblé obligées de prendre, certes dans la précipitation, cette lourde décision de revoir leur coopération militaire au Mali. Il faut souligner que les opinions publiques au Sahel auraient souvent du mal à comprendre toute cette présence militaire occidentale massive, avec des moyens ultra-modernes de surveillance (drones, satellites), quand des individus peuvent se déplacer à moto par centaines pour aller perpétrer des attaques terroristes contre de paisibles populations ou contre des camps militaires impunément, sans être repérés par toute cette haute technologie ! Voilà, en réalité, la cause principale du décrochage des opinions publiques au Sahel et la présence militaire étrangère. 

Pour ce qui est de la position actuelle de la CEDEAO sur la situation malienne, il conviendrait d’apprécier et de voir le fond du problème au-delà de la simple émotion ou d’un quelconque sentimentalisme primaire qui ferait apparaitre l’organisation régionale comme un monstre froid, insensible aux préoccupations quotidiennes du peuple malien. En effet, il serait injuste et naïf de penser que le Président Bazoum et ses pairs de la région en seraient venus à ces fortes sanctions, si quelque part, leur démarche ne s’inscrivait pas, à long terme, dans la sauvegarde d’une position de principe, à savoir celui de la défense de la démocratie dans notre espace communautaire. Comme on le sait, la bonne gouvernance, la démocratie et l’Etat de droit figurent au titre des principes fondamentaux qui ont présidé à la création de cette organisation. Ainsi, demander à la transition malienne un calendrier pour le retour à un ordre constitutionnel normal participe du combat pour le renforcement de la démocratie dans la région ouest-africaine et aussi, plus globalement en Afrique.

Rappelez-vous qu’en 1996, après le coup d’Etat ayant déposé le Président Mahamane Ousmane, le premier Président démocratiquement élu du Mali, Alpha Oumar Konaré, avait adopté la même fermeté que celle observée actuellement avec la CEDEAO vis-à-vis du pouvoir militaire du Général Baré, au point d’amener certains de nos compatriotes à penser que le dirigeant malien en voulait personnellement au Niger. Mais, en réalité, le Président Konaré ne faisait que défendre un principe, à savoir la démocratie, rien que la démocratie !

Aujourd’hui encore, c’est le même état d’esprit qui semble animer les dirigeants des pays membres de la CEDEAO, c’est-à-dire créer toutes les conditions pour le raffermissement des valeurs démocratiques dans notre espace régional. C’est le cas de relever le Président Bazoum, Président d’un pays frère et ami du Mali, il ne cultive aucune animosité subjective envers les autorités politiques de ce pays- limitrophe, en dehors du respect des principes démocratiques, dont il se revendique toujours d’être le produit fini. C’est là tout le sens qu’il faudrait attacher aux sanctions actuelles de la CEDEAO contre le Mali, et rien d’autre !

Par Zakari Alzouma Coulibaly

21 janvier 2022
Source : http://www.lesahel.org/