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Carnet de Voyage sur la route Gothèye-Téra-Dori : Le convoi porteur d’espoir pour une population affligée par le grand banditisme transfrontalier et le terrorisme

Comme l’a dit le vieux sage Ibn Battuta dans ses écrits inspirés de son éducation berbère, « voyager vous laisse d’abord sans voix, avant de vous transformer en conteur ». Et bien, cette sagesse du berbère s’est effectivement appliquée à nous lors du convoyage armé des camions de marchandises durant la deuxième quinzaine du mois d’août 2023 sur la route Gothèye-Téra-Petelkoli-Dori. Un périple que nous avons effectué aux côtés des militaires à bord des blindés des Forces Armées Nigériennes à destination du de Dori, la première grande ville de l’Ets du Burkina Faso à la frontière du Niger. Exceptionnel ! il l’est ce convoi et il est le premier du genre tant par son envergure que par sa symbolique. Avec plus de 350 camions chargés et une escorte militaire terrestre et aérienne, lourdement armée ce voyage  nous a effectivement « laissés sans voix », aucune, et nous a «transformés en conteur». Il nous a permis d’être témoin des horreurs vécues par de paisibles populations rurales, de même que de l’espérance de lendemains meilleurs qui renait chez elles en voyant cette mobilisation. Le trajet Téra-Petelkoli-Dori en aller, et Dori-Téra puis Téra-Gothèye au retour, est une aventure au cœur de la lutte contre le terrorisme dans la zone des trois frontières. Nous le savons déjà en quittant les berges douillettes du fleuve Niger à Niamey. C’est aussi une surprise qui nous pousse à reconnaitre en nous l’essence de la vie et à retrouver le chemin de la compassion envers les autres.

La pluie est tombée, la veille de ce vendredi saint du mois le plus humide de cette saison pluvieuse jusque tard dans la nuit. Ce qui a pour effet de donner à la nature toute sa splendeur et son effet apaisant. Après une heure chrono de recherche suivie de destruction de logistiques des groupes armées terroristes, le convoi militaire des FAN se lance de l’autre côté de la frontière terrestre avec pour objectif d’atteindre sans incident le camp du 11ème régiment d’infanterie commando de la 4ème région militaire des forces armées Burkinabès qui est situé dans la ville stratégique de Dori.

Dans cette zone où le Burkina Faso, son armée et ses volontaires pour la défense de la patrie (VDP) mènent une guerre totale pour reconquérir les terres de leurs aïeux des mains des groupes terroristes et de leurs soutiens extérieurs, les soldats nigériens passent devant des villageois silencieux, traumatisés par plusieurs années de conflits. Les visages ternes laissent souvent apparaitre un petit sourire caché qui symbolise l’espoir d’un retour définitif des armées républicaines dans la zone des trois frontières. La vue à l’intérieur du Burkina est magnifique depuis le blindé des Forces Expéditionnaires du Niger dans lequel nous avons pris place aux côtés de six éléments des forces spéciales des Forces armées nigériennes.

La petite détente qui a régné sur le trajet Téra–Petelkoli a disparu laissant place à une vigilance de plus accrue tout au long du trajet restant. La route, nous a-t-on dit avant de traverser la frontière, est un challenge digne du nom. La main sur la radio, le chef de bord est attentif au moindre grincement venant de l’appareil de télécommunication. Le chauffeur est lui concentré sur sa conduite, les yeux rivés sur la route pour détecter le moindre indice. Du haut de leurs tourelles, les deux tireurs scrutent minutieusement l’horizon dans la limite de leurs champs d’opération, protégeant ainsi les flancs du convoi. Car, notre blindé a pris position au beau milieu du convoi armé.

La colonne continue minutieusement sa progression dans les terres intérieures du pays ami, le Burkina Faso. Le véhicule blindé nous transportant est lui-même rempli de caisses de minutions. Il y en a partout ! Les armes automatiques sont sécurisées dans les coins du blindé sauf pour le soldat assis sur ma gauche. La vingtaine passée, ce jeune soldat des forces spéciales a gardé son arme sur ses genoux pendant une bonne partie du trajet. Mais toujours prêt à toute éventualité.

Mouchoir de camouflage enroulé sur la tête, il écoutait des chansons de RAP et d’Afrobeat sur son portable sans utiliser ses écouteurs. Il appréciait ainsi la vie mais sans jamais se laisser distraire de sa mission. A peine deux mètres de lui, assis sur ma droite, le deuxième membre des forces spéciales lisait à tue-tête des sourates du Coran. Entre ces deux mondes et la présence des civiles dans le blindé, la vie semble nous prendre pour témoins de la tolérance des uns envers les autres et du travail de collaboration nécessaires pour venir à bout de l’obscurantisme terroriste au Sahel.

Alternance entre villages fantômes et villages renaissants

A l’entrée de la ville de Dori, en fin de matinée, le convoi interminable de camions de marchandises alignés expose l’importance et la complexité du convoyage qui attend les soldats nigériens. Le ciel bleu a retrouvé sa splendeur et le soleil, très clément, n’était pas encore au-dessus de la tête des hommes lorsque les véhicules militaires s’engouffrent à l’intérieur du 11ème Régiment d’infanterie commando de la 4ème Région militaire des Forces armées du Burkina Fasso.

Les hommes se connaissent bien ici. Ils ont de tout temps combattu ensemble et les soldats du pays des hommes intègres, tout comme leurs frères d’armes, se disent satisfaits de la dénonciation, par le Niger, des accords militaires avec la France. Il n’y a pas un seul soldat présent dans le camp qui ne dit connaitre un frère tombé de l’autre côté de la frontière, armes en main. « Et l’ancienne puissance coloniale en est pour quelque chose », se murmure-t-on dans les rangs serrés.

L’unité drone en action

Après le déjeuner, le convoi militaire rejoint par les camions civils chargés de marchandises se met en route, cap sur le Niger. L’interminable convoi, tel un boa immense, se lance, dans un concert assourdissant de bruits de moteurs, pour apporter l’espoir et briser la volonté affichée par l’institution régionale ouest africaine dite «communautaire» d’affamer le peuple nigérien pour son choix de Liberté. Les moteurs de ces gros véhicules grondent désormais sur l’asphalte. Et on s’assure de la bonne santé du moteur pour tenir la route jusqu’à Téra. Je mesure pour la première fois, la portée d’un espoir renaissant !

Sur la route de retour, entre la ville de Dori et le village de Petelkoli, notre chemin croise à plusieurs reprises les supplétifs de l’armée du Burkina Faso, les fameux Volontaires pour la Défense de la Patrie. En petits groupes et armés de fusils d’assaut AK 47, ils reviennent des travaux champêtres avant la tombée de la nuit car, la zone est réputée dangereuse. Que l’innocence qui se lit sur leurs visages ne vous trompe guère ! Ce sont de redoutables combattants résistant héroïquement aux assauts incessants des groupes armés terroristes qui écument cette partie du Sahel burkinabè. Leur persévérance à vouloir défendre coûte que coûte le pays de leurs ancêtres a fini par payer. De nombreux villages longeant la route bitumée reprennent progressivement le cours de leur vie.

A la traversée de la frontière, la nuit s’apprêtait à tomber sur Petelkoli, village frontalier prospère il y a si peu, mais devenu fantôme depuis. Les maisons en terre et les commerces construits en matériaux définitifs complétement vidés témoignent, tels des vestiges antiques, d’un passé glorieux qui semble si proche et si loin. Les carcasses des véhicules calcinés renseignent, eux, de la férocité des combats qui ont eu lieu ici le 12 avril 2022 entre nos vaillantes FDS et les GAT. L’herbe sauvage a eu raison du centre hospitalier moderne construit à grand frais. Tout autour du village vidé de ses occupants, les champs de mil sont plantés par ceux qui n’ont nulle part où aller. Ils labourent une partie de la journée et disparaissent à l’approche de la nuit pour rejoindre des lieux plus sûrs. Le méga convoi poursuit son chemin, sous bonne escorte terrestre et aérienne.

La route qui mène à Téra, terre et fief des Maïgas à la fière allure, expose progressivement la résilience des populations rurales face à l’incertitude vécue ces dernières années. Des agriculteurs, confiants de la reprise en main de la sécurité par les nouvelles autorités du Niger, s’attardent un peu plus longtemps en journée dans leurs champs où ils ont semé du mil et du niébé. En s’éloignant de la frontière, les champs ensemencés qui étaient clairsemés au début, deviennent plus réguliers et mieux entretenus. Par endroits, on peut apercevoir des femmes qui revenaient d’une corvée d’eau. Preuve, s’il en fallait, que les hameaux tentent de reprendre le tralala quotidien de leurs vies d’antan. Le soleil, dans sa fin de course sur ce terroir, couvre désormais la zone d’une lueur vive, couleur de feu avant que la nuit n’enveloppe champs et habitations de son manteau noir et nous transforme en paresseux, allongés côte à côte pour plusieurs heures.

Retourner sur nos pas pour apporter la bonne nouvelle

Après une nuit de repos passée dans le confort d’une villa à Téra, nos espoirs de rejoindre un convoi armé hautement sensible et stratégique et rallier à nouveau la ville de Dori, au Burkina Faso, tombent tel un château de cartes. Les hommes doivent se focaliser sur leur mission et il est souhaitable qu’ils soient seuls s’ils doivent affronter tout danger. Tel a décidé l’Etat-major tactique de l’Opération Niyya et le Commandement de la 9ème zone militaire du Niger dite zone Rive Droite. Les hommes préparent sous nos yeux armes, véhicules militaires et matériels de communication pour retourner, une nouvelle fois, en zone d’opération et rallier Dori. Une routine pour ses braves soldats qui doivent rouler pendant de longues heures sur des routes souvent piégées avec des mines artisanales et autres Engins Explosifs Improvisés.

Un des véhicules d’escorte

Les échanges de souhaits au sein de la base de Téra sont interminables. Il est difficile pour nous de tourner le dos à ces soldats de la nouvelle génération sans nous attarder à mémoriser le visage de chacun d’eux. Prendre surtout le temps de savourer pour une dernière fois la complicité qui s’observe entre les soldats et les officiers des Forces Spéciales, d’une part, et entre les unités combattantes et le commandement, d’autre part. Mais, il faut reprendre la route avant que le soleil ne soit haut dans le ciel. A cet instant précis, les paroles du Colonel Moussa Souleymane, le patron des lieux, se bousculent dans ma tête. Avec si peu de mots prononcés, il a su nous mettre devant notre devoir de relayer des informations correctes et vérifiées aux populations à travers le pays.

Le retour vers Niamey, distante de 175 kilomètres, commence en fin de matinée de ce troisième jour d’aventure avec les compatriotes militaires. Cette fois-ci, c’est les hommes de Téra qui se chargent de notre escorte. La terre est verdoyante et s’étend à perte de vue. Cette année, la saison pluvieuse a été clémente et promet un bon rendement, comme pour panser les plaies de l’insécurité. De temps à autres, de groupes de jeunes femmes émergent des champs de mil. Sur leurs têtes, elles portent de petits colis enroulés dans des pagnes. Et souvent, elles conduisent de petits ruminants destinés à l’embouche qu’elles ont fait paître autour des champs plantés. L’insécurité est certes là, mais cela n’empêche pas les populations locales de vivre.

En fin d’après-midi, à 45 kilomètres du point de départ, voici la ville de Bandjo qui se déploie devant nous et me plonge profondément dans mes souvenirs d’enfance. L’image de M. Omar Bandjo, ce jeune domestique natif du village qui a bercé une partie de nos nuits autour du feu de bois en reprenant les légendes de Djado Seckou et en racontant les contes des animaux de la savane, ainsi que ceux de ses amis, défilent dans ma tête. Le poids de la nostalgie alourdit instantanément l’ensemble de mon corps. Voici donc` Bandjo et sa mythique mare qu’on nous contait, étant petits !

Au bord de la grande étendue d’eau, le marché s’anime en cette belle journée du samedi. Les femmes, insouciantes et pleines de vie, se baignaient et bavardaient bruyamment dans l’eau. Seule fausse note, cette femme qui s’est isolée afin de se baigner tranquillement. Elle était murée dans un silence profond à faire froid au dos.

A Garbou Gna, entre les villes de Bandjo et Dargol, la vue de l’antenne relais de télécommunication cellulaire rappelle aux passagers la gravité de la situation sécuritaire, si tant est qu’on laisse les bandes criminelles s’approcher des grandes agglomérations en milieu rural. Cette antenne, allongée au bord de la route, est l’expression de la tentative désespérée des groupes armés non étatiques de couper les populations locales du reste du monde. Dans ces zones atypiques, les contrastes se succèdent. A Dargol, la majestueuse et somptueuse mosquée de vendredi fait d’abord rêver. Avant que la station-service « Aouta », jamais ouverte, ne rappelle encore une fois la nécessité de nettoyer la zone de ses bandes criminelles.

Gothèye, dernière grande ville avant Niamey, savoure la vie dans son caractère sacré. Malgré plusieurs épisodes d’inquiétude, la ville est aujourd’hui un havre de paix. Les femmes se promènent sans se soucier de laisser apparaitre quelques mèches de leurs cheveux. Les enfants, fidèles à leur réputation, laissent exploser leur énergie dans les jeux d’enfants. Et les jeunes, sans distinction de sexe, sympathisent librement dans les rues traversées, profitant ainsi du climat doux des après-midi de pluie. La ville de Gothèye est un havre de paix en ces temps de tourmentes où les assaillants et leurs victimes peuvent se confondre.

Nos reporters

A l’entrée de Gothèye, le grand camp improvisé abritant les nombreuses tentes en bâches blanches s’est vidé d’une partie des familles qui y vivent. Plusieurs de ses occupants, des déplacés internes venus des villages alentours, sont retournés dans leurs villages. Ils profitent ainsi de l’approche des récoltes et de la reprise en main sécuritaire par les armées républicaines pour se réinstaller dans leurs villages et reconstruire une nouvelle vie. A l’image des populations à travers le pays, ces braves familles ont préféré manger à la sueur de leurs fronts plutôt que d’attendre d’être nourries dans les camps avec des dons.

En plus de nous apprendre à vivre, ce voyage nous a permis de comprendre pourquoi le sage voulait rester anonyme lorsqu’il déclarait « Nous ne voyageons pas pour échapper à la vie, mais pour que la vie ne nous échappe pas ». Ceux qui, au prix de leurs vies, se battent quotidiennement pour que la vie suive son cours normal dans les grandes agglomérations tout comme dans les contrées les plus lointaines de nos savanes, forcent ainsi notre respect et notre profonde gratitude. Tels des astronautes qui viennent d’une mission sur la planète Mars avec des perspectives pleines la tête, nous touchons terre de Niamey sous une fine pluie de l’après-midi, 72h après le début de la mission qui nous a amenés au Burkina Faso, aux côtés des forces spéciales du Niger.

Et désormais, nous abordons la vie d’une nouvelle manière, tentant de comprendre la profondeur de son mystère. La vie telle que nous l’avons vécu n’est désormais plus la même ! L’image de tous ces héros qui partent au combat, et surtout la fraternité des soldats burkinabés, nous suivront sûrement jusqu’à la fin de nos jours. Nous prenons ainsi congé de nos hôtes, ces populations courageuses sans dire adieu car, nous le sentons en notre for intérieur, nous retournerons bientôt sur nos pas à leur rencontre pour savourer des victoires éclatantes et célébrer la défaite de GAT et la fin de l’obscurantisme qu’ils prônent.

Souleymane Yahaya (ONEP)

Source : https://www.lesahel.org/