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Assises nationales - Général de brigade Abdou Assoumane Harouna, gouverneur de Niamey : pourquoi son intervention dérange-t-elle certains milieux ?

Général de Brigade Abdou Assoumane HarounaLes Nigériens, dans l’attente du forum national qui s’est finalement tenu le samedi dernier, y avaient fondé bien s’espoir pour croire qu’il changera beaucoup dans la vie de cette nation qui a connu tant de turbulences, tant de tumultes. C’est pourquoi, audelà de ceux qui allaient être invités, ils s’interrogeaient sur les discours qu’ils allaient entendre pour être, une fois pour toute, fixés sur les orientations réelles qui devront être données à la nouvelle marche du pays. Ces discours peuvent-ils enfin lever les doutes et rassurer qu’il s’agit bien d’une révolution comme on en a au Mali et au Burkina Faso, le Niger assumant son choix historique d’intégrer l’AES, l’Alliance des Etats du Sahel ? On a écouté respectivement, le Général Plaquette pour les intimes, Gouverneur de la Région de Niamey, le Ministre de l’Intérieur, le Général Toumba, le Président des Assises, l’Honorable et Dr. Mamoudou Harouna Djingarey et le Chef de l’Etat, le Général de Brigade, Abdourhamane Tiani qui ont tous parlé de l’importance de ce forum dans la redéfinition de la marche du pays dans ce contexte où il fait des choix souverains et souverainistes.

En rehaussant l’éclat de l’événement par sa présence, avec à ses côtés, le Premier Ministre Ali Mahamane Lamine Zeine, les membres du CNSP et les membres du gouvernement, le Général Tiani a tenu à préciser les enjeux de ces assises. Ce forum, rappelle le Président Tiani, vise à « définir les principes fondamentaux devant régir notre Transition », à « définir la période de la Transition », à « définir les priorités nationales durant la Transition » et à « rappeler les valeurs fondamentales devant guider la refondation de la République ». Etape importante de la transition, ce forum, selon le Général, est ainsi voulu pour « tenir la promesse faite au peuple nigérien » de discuter ensemble, avec toutes les couches de la société nigérienne, du nouveau départ. Mais se battant sur tous les fronts, il n’a pas été possible pour la transition de tenir ces assises dans la période souhaitée, car ayant à « faire face à l’animosité de certaines puissances occidentales et leurs complices africains et pire encore, locaux », ces derniers étant bien connus désormais de tous les Nigériens qui les regardent en marginaux. Aussi, dirat- il, ces méchancetés gratuites, « les Nigériens ne les oublierons jamais ». Comment peut-il ne pas, dans ces conditions, saluer le courage et la résilience des Nigériens pour assumer leurs choix, célébrant « la détermination du peuple nigérien et de ses forces de Défense et de Sécurité » à tenir dignes face à tant d’adversités ? C’est pourquoi, pour lui, chaque Sahélien, dans cette exaltante marche, est un soldat. Aussi a-t-il appelé chacun et chacune à ne pas rester en marge de cette belle aventure, pour nourrir ce dialogue national inclusif décidé pour changer le pays et changer les hommes. Interpellant les délégués aux assises, le Président du CNSP, Chef de l’Etat, exhorte pour : « un nouveau départ, afin que cette fois-ci, nous posions véritablement les bases inébranlables d’un avenir meilleur de stabilité politique et de progrès économique et social pour tous ». Il avait, comme le Ministre de l’Intérieur et le Président du Forum, des paroles fortes pour ragaillardir les Nigériens, les pousser au surpassement pour provoquer les transformations attendues par tous. Le Chef de l’Etat, rassure alors le peuple nigérien de son engagement à soutenir ces assises et les décisions qui en seront issues : « Pour ma part, [dira-t-il] je m’engage à prendre en compte toutes vos propositions et à leur donner une traduction concrète progressivement, aussitôt après avoir reçu le rapport de vos travaux dans les jours à venir ». Un temps semble avoir changé…

Les vérités du gouverneur de Niamey qui gênent…
Il faut reconnaître que si les malaises dans ce pays ont longtemps couvé pour « noircir » les coeurs, c’est bien parce qu’on joue trop d’hypocrisie quand, sachant dans bien de cas la vérité, l’on se refuse à la dire pour ne pas heurter des gens et leur système qui a pourtant fait trop de mal. Et nous l’avions toujours écrit, dans ce pays, il faut qu’on sache se dire des vérités, pour ne plus nous accommoder de ces ambiguïtés par lesquelles nous trahissons nos consciences. C’est sans doute parce que, par calcul ou par peur, l’on aura laissé longtemps des gens faire ce qu’ils veulent sans leur dire la vérité, qu’ils ont cru à leur invulnérabilité pour penser que dans le pays, alors qu’ils réussissaient à rabaisser tant de gens, par la menace, le chantage, la corruption, la prison et l’exclusion qu’ils peuvent désormais tout se permettre sans craindre des représailles ou, au moins, des dénonciations. L’heure est venue, dans le pays, de se dire la vérité et faire entendre ce que d’autres ne veulent pas entendre. On ne doit plus laisser personne, faire ce qu’il veut sans se donner le courage de lui dire à la figure sa faute, celle pour laquelle, dans la normalité des faits, il doit répondre. Le Général Assoumane Harouna le sait et profitant d’un contexte historique majeur et d’une telle tribune où tout le monde est là, et notamment cette classe politique qu’il appelle à la barre, responsable des atermoiements de notre démocratie, il dit, sans ambages et sans pudeur, la cruelle vérité des maux qui minent le pays depuis des décennies de démocratie, ou pour dire vrai, de médiocratie.

Vaste réquisitoire, d’un général-procureur qui étale les tares d’une classe politique récidiviste…
Quand on entend les échos de la salle, marquant par des applaudissements nourris son approbation autour des vérités assénées, l’on aura compris que le Général qui a osé ces paroles- choc, a eu l’audace de toucher là où ça fait vraiment mal. Il faut que chacun se rende compte dans ce pays qu’il n’est ni démiurge, si Saint, ni ange, ni demi-dieu pour se croire tout permis dans la nation. Il y en avait qui ont sans doute souffert d’entendre de tels propos qui humilient des intouchables qui peuvent enfin comprendre qu’ils sont vulnérables et qu’ils vivent des temps de fragilité inquiétants.

C’est dans une reprise anaphorique que le Gouverneur qui semble être en phase avec les délégués, étale les tares incurables de la classe politique. Ainsi,a on apprend qu’« En 35 ans de démocratisation mal comprise, nous avons vu ce que la grande majorité de nos politiciens a fait de notre pays ; un pays exsangue à tout point de vue malgré les ressources naturelles dont il dispose et la ressource essentielle pour sa construction qui est la jeunesse ». Et on apprend davantage qu’ « En 35 ans de navigation à vue, nous avons été témoins de la gestion des hommes politiques ayant fait de notre administration, l’une des plus corrompues et des plus inefficaces malgré les compétences dont elle regorge pourtant, cette administration mise sous coupe réglée du fait de la haute politisation ou la médiocrité a parfois été érigée en valeur ». Pire, dira-t-il en sus, « En 35 ans de démocratie mal comprise, notre tissu social a été des plus affectés, mis dans un état de décrépitude inqualifiable, plongeant notre pays, dans l’abîme et le chaos, l’embardé politique, l’embrouilla mini politique ».

C’est un tableau sombre de la gestion du pays sous la démocratie que le général nigérien présentait, car même observant à distance la scène politique ainsi que le Général Toumba l’avait dit à Lomé, ils savent bien comment est géré le pays pour exposer toutes les lacunes dont il souffrait du fait, essentiellement, des légèretés de ses acteurs politiques. C’est à juste titre qu’il enfonce le clou, affirmant avec les mêmes limpidités, que les politiciens « […] ont brillé par l’instauration des contre- valeurs sociales se traduisant par le mensonge éhonté, le pillage systématique de nos ressources, la corruption devenue un mode de gouvernance, le clientélisme, le nomadisme politique, le clanisme, le népotisme, la mise sous bail de nos richesses, l’escroquerie, l’arrogance, la recherche effrénée du clinquant, la sous-traitance de notre sécurité » ; c’est à croire que ceux-là n’avaient jamais aimé ce pays si ce n’est leur seul confort. Comment ne pas le croire quand « Certains hommes politiques [poursuit-il] pourtant garants de la chose publique aux postes qui étaient les leurs, avaient oublié leurs responsabilités et leurs devoirs ».

Aller au ressaisissement…
Cette situation ne peut plus continuer et il y a à arrêter définitivement la dérive. C’est pourquoi, à l’adresse des participants, il dira : « nous devrons être à l’abri des comportements des mêmes hommes, aux mêmes habitudes, ayant s’il le faut, les mêmes amis sinon les mêmes adversaires qui n’hésiteront pas à s’appliquer les mêmes méthodes (alliances contre nature, achat de conscience, concassage, chantage », et on sait les spécialistes de ces trouvailles mortifères pour la démocratie. Il ne manquera pas, à cette fin, d’interpeller le forum : « vos recommandations devront nous permettre d’agir et de transformer nos façons de faire et de voir pour donner l’impulsion collective nationale et confédérale menant au développement, à la paix sociale, à la sécurité collective, au strict respect de nos valeurs et de nos légitimités ».

Plus que jamais, nous devrons nous habituer à dire et à entendre la vérité. C’est aussi une exigence de la refondation. La probité le commande.

Gobandy (Le Monde d’Aujourd’hui)