Alliance des États du Sahe (AES) : Et pourquoi pas une fédération ?
Du jour où le Burkina Faso, par la voix de Apollinaire Kyélem de Tambèla, a proposé au Mali la création d’une fédération, en Janvier 2023, aux récentes réunions tenues en mai 2024 à Niamey par les hauts fonctionnaires suivis des ministres en vue d’élaborer les projets d’actes constitutifs de l’Alliance des Etats du Sahel, beaucoup d’eau a coulé sous le pont de l’AES, jusqu’à ce jour où nous nous trouvons à la veille de la réunion inaugurale du Collège des chefs d’Etat qui procèdera à la signature du traité instituant une confédération d’Etats entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
Né de la volonté des chefs d’Etat, réaffirmé solennellement par les 3 Premiers ministres, en Décembre 2023 à Niamey, le projet initial d’une fédération de l’AES a connu une série de douches froides dans les eaux glacées des réunions d’experts qui ont fini par le nettoyer de son tranchant révolutionnaire, le ramenant à une simple confédération d’Etats, mettant ensemble leurs moyens pour faire face à certain nombre de défis communs, tout en conservant chacun sa souveraineté internationale.
Aux yeux de tous les patriotes africains, cette évolution doit être considérée comme un recul politique. Sinon, comment comprendre, qu’avec la montée des périls sur les fronts extérieurs et la multiplication des actions terroristes à l’intérieur, que les mesures les plus fortes soient prises en toute responsabilité par nos autorités pour sauvegarder l’unité et la cohésion nationale en faisant taire les voix discordantes, (au point de susciter quelque émoi dans le milieu des défenseurs des droits et libertés des citoyens), et qu’au même moment, à l’échelle de l’AES, on ne réalise pas qu’on a besoin de la même cohésion, du consensus panafricain le plus fort possible? Pourquoi pense-t-on qu’on doit s’unir comme un seul homme à l’intérieur du pays pour triompher des actions de déstabilisation extérieure, et ne pas viser le même objectif au sein de l’AES, en créant une fédération en bonne et due forme, qui fermera définitivement les portes de la division de nos peuples aux puissances impérialistes ? Le plus inquiétant, c’est que nos dirigeants ne communiquent pas sur les justifications de ce changement de cap. Il n‘y pas qu’eux d’ailleurs. Même notre société civile qui s’est donné une mission de veille patriotique et de gardiens de la révolution, s’est apparemment laissée absorber par les enjeux micro-nationaux au détriment de ceux panafricains. On peut faire le même reproche à nos amis et frères panafricanistes africains qui manifestent constamment leur soutien aux processus politiques en cours au Sahel, mais ne se font malheureusement pas entendre sur ce que nous avions appelé dans une précédente publication «la tentation du confort du confédéral».
Et pourtant, il ne faut pas s’y méprendre ! S’il y a une chose qui caractérise les révolutions en cours actuellement dans les 3 pays du Sahel et leur confère une originalité sans précédent sur le continent africain, c’est bien leur dimension panafricaniste et pas autre chose. L’Afrique a connu par le passé des régimes souverainistes ayant eu le même agenda que le CNSP du Niger et les transitions malienne et burkinabè, qui ont conduit également à la dénonciation d’accords politiques, économiques et militaires avec les puissances néocoloniales. De la Guinée de Sékou Touré, à la Libye de Mouammar Kadhafi, en passant parle Burkina Faso de Thomas Sankara, tous ont été à un moment donné à l’avant-garde du combat anti-impérialiste en Afrique. Mais, du fait de leur isolement dans des cloisons nationales, ils ont fini par être des cibles faciles pour leurs ennemis intérieurs et extérieurs. Sans quoi, qui serait tenté de penser que les convictions révolutionnaires et même le prestige politique d’un T. Sankara, d’un K. Nkrumah ou d’un Modibo Keita étaient moins grands que ceux de I. Traoré, de A. Goîta et de A. Tchiani. Si l’Afrique avait été capable de voler au secours de la Libye lorsque les occidentaux voulaient en finir avec le guide libyen, les choses auraient peut-être connu une autre fin.
A l’inverse, il est aisé de constater, aujourd’hui, que l’existence de l’AES, même dans sa forme virtuelle actuelle (non institutionnalisée), exerce déjà une influence décisive dans les choix de politiques intérieure et extérieure des 3 Etats membres, et par là-même, renforce l’ancrage national et l’audience internationale des régimes militaires en place. Quatre exemples pour illustrer ce fait.
Au moment où les dirigeants de la CEDEAO s’apprêtaient à lancer une expédition armée pour rétablir le président nigérien déchu, la décision historique prise par les directions malienne et burkinabé, se déclarant prêtes à se battre aux côtés des Nigériens en cas d’agression, a probablement été le facteur décisif qui a refroidi l’ardeur de ces va-t’en guerre et éloigné définitivement le spectre de la menace militaire contre le pays.
De même, la décision des Maliens et des Burkinabè de chasser toutes les troupes étrangères de leurs territoires, y compris les troupes onusiennes, a pratiquement mis le Niger en devoir de faire la même chose, s’il tient à donner une cohérence à son maintien dans l’AES.
Dans le sens inverse, l’entrée du Niger dans l’AES a incontestablement boosté le courage des dirigeants maliens et burkinabè à s’émanciper des dictats de la communauté internationale avec lesquels ils furent naguère obligés de s’accommoder, en fixant la durée de leurs transitions militaires et les échéances des élections. Dans ces deux pays, l’exemple du Niger dont le peuple refusa dès le départ l’agenda électoral de la communauté internationale est entrain de faire école. Il y a enfin la décision prise en Janvier 2024 par les 3 Etats de se retirer collectivement de la CEDEAO. Quelle conclusion faut-il tirer de faits ci-dessus évoqués ? Ces quatre exemples montrent clairement que le Niger, le Mali et le Burkina fonctionnent déjà comme une vraie fédération de l’AES. Ce qui peut advenir avec l’idée de confédération, c’est que ce fort courant de convergence politique se métamorphose en petits ruisseaux tranquilles d’un fleuve en étiage ?
Comment en est-on arrivé là ? En quoi cette évolution est-elle conforme aux aspirations des peuples du Sahel ? Quelles sont les forces qui sont à la base de ce changement de cap et pour quel intérêt agissentelles ainsi?
Historique d’une reculade
Sur le cheminement qui a conduit de la Charte du Liptako Gourma à l’AES et de l’idée initiale de fédération à celle de confédération, j’avais publié un précédent article dans l’hebdomadaire L’Actualité du 11 Mars 2024 et dans le bimensuel L’Etincelle du 25 Mars 2024. Je ne m’y attarderai donc pas dans le présent article, invitant les lecteurs intéressés à s’y référer.
L’option pour la confédération est à rebrousse-poil de notre histoire commune
L’histoire ancienne comme récente de l’espace sahélien est une histoire de grands ensembles politiques et territoriaux. En dehors de la période allant des indépendances à ce jour, les peuples du Sahel ont certes vécu dans des entités politiques multiples et variées comme les chefferies, les principautés et les royaumes de différentes tailles, mais ces dernières étaient toujours insérées dans des ensembles politiques plus larges que sont les empires.
De l’an 800 à 1240 de notre ère, l’ouest-africain a vécu sous la domination de l’empire du Ghana. A son apogée au Xème siècle, le Wagadou occupait un territoire à cheval entre le Mali, la Mauritanie et le Burkina actuels.
De 1230 à 1460, c’est l’empire du Mali qui prit le relai. Il a connu son apogée au XIVème siècle. L’empire Mandingue englobait alors des parties des actuels Mali, Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée- Bissau, Burkina Faso, Niger, Côte d’Ivoire et Mauritanie.
Après le Mali, c’est le Songoy qui perpétua les traditions impériales du Sahel sur un territoire à cheval entre le Mali, le Niger, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Nigéria, la Guinée et le Sénégal actuels. Ce fut le plus grand empire ouest-africain de tous les temps.
Venons-en maintenant à la période coloniale. Sous ce règne, entre1895 à 1958, l’ensemble des colonies d’Afrique occidentale française formait une fédération (AOF) avec un gouvernement central installé à Dakar. C’est seulement deux ans avant les indépendances que la France érigea ses colonies en républiques autonomes, avec chacun son propre gouvernement, et prononça la dissolution de la fédération de l’AOF. Pourquoi n’a-t-elle pas accordé l’indépendance à la fédération comme entité globale ? Pourquoi a-t-elle pris la précaution de la fractionner au préalable en une multitude de ‘’républiquettes’’ indépendantes ? Pourquoi la fédération qui était un bon principe de gouvernement des colonies est subitement devenue deux ans avant l’indépendance un mauvais principe dont ne doivent pas hériter les futurs Etats africains ? La réponse est connue de tous. Puisque l’indépendance était devenue inéluctable, l’intérêt de la France était d’avoir affaire plus tard à une multitude de petits Etats indépendants, plutôt qu’à un seul et unique grand Etat fédéral ouest-africain. Comme nous le voyons, l’histoire de notre sous-région n’est pas un argument qui plaide pour la confédération. Cherchons donc ailleurs !
Quelles raisons peuvent justifier
le choix de la confédération ? La première raison qui pourrait servir d’alibi au choix de la confédération, c’est le niveau inégal de développement économique des pays.
Y aurait-il parmi les 3 pays, un qui estimerait qu’il constituerait une vache à lait pour les autres s’il renonçait à sa souveraineté au profit d’un Etat fédéral commun, (comme l’a pensé à l’époque un des présidents francophones qui s’est illustré dans le combat contre les thèses panafricanistes de Nkrumah) ? Assurément non !
Par le passé, des différences de niveau de développement économique ou même parfois des contextes géographiques ou climatiques ont pu constituer des freins subjectifs à une intégration politique d’Etats oust-africains. Il ne faut donc pas minimiser ce facteur aujourd’hui. Pour cela, il peut être utile de prévoir à terme que l’AES projette de conclure des traités confédéraux additionnels avec des Etats plus réticents à s’y engager, après avoir construit au préalable en son sein un socle fédéral inexpugnable, capable de rayonner sur les autres pays de la zone, en particulier ceux qui croient être les plus avancés.
Parmi les raisons de la création de l’AES, il y a le défi sécuritaire et les questions économiques. Il n’est pas sûr que la confédération soit plus appropriée que la fédération pour servir de cadre politique pour relever ces défis.
Sur le plan sécuritaire, le plus qu’une confédération peut faire ne dépassera pas la mise en place d’une force conjointe. Ceci est d’autant plus vrai que c’est exactement ce qu’a acté la réunion des chefs d’Etat-major des pays membres, tenue à Niamey en mars 2024. La question qui se pose est de savoir si les Etats seront disposés à mettre à la disposition d’une force conjointe les grands moyens exigés par sa mission, au détriment de leurs propres armées nationales ? Et puis, on peut légitimement se demander si une force conjointe est vraiment le moyen d’action approprié pour le relever le défi sécuritaire au Sahel. Rappelez-vous les expériences antérieures de forces conjointes et de forces en attente connues en Afrique, dont la plus récente est le G5 Sahel. Quels résultats ont-elles donnés ? Le temps n’est-il pas aujourd’hui à une réelle intégration de nos forces et équipements militaires avec un commandement unifié ?
Pour ce qui est de la monnaie unique que l’AES ambitionne de créer, pour qu’elle joue pleinement son rôle de levier d’ajustement de la politique économique, sa gouvernance doit rester aux mains de l’autorité politique de l’espace dans lequel elle circule. Elle ne doit ni être un instrument de sanction aux mains d’une puissance extérieure comme le franc CFA, ni gouvernée par une banque centrale qui échappe au contrôle des Etats membres comme l’euro. Or, dans le cadre d’une confédération, on ne peut pas échapper au risque auquel l’euro n’a pas échappé. Seule la fédération constitue le souverain approprié pour la future monnaie commune de l’AES, comme c’est le cas pour le dollar américain. A défaut de cela, il serait plus bénéfique à chaque pays de créer sa propre monnaie.
On est donc à la peine pour trouver des justifications économiques ou sécuritaire au choix de la confédération en lieu et place de la fédération. Seraient-elles d’ordre géopolitique ?
Cela pouvait être envisagé s’il existe ou a existé la moindre rivalité entre l’un quelconque des 3 Etats vis-àvis de l’un ou des 2 autres. Certes, un conflit armé de 5 jours avait opposé, en Décembre 1985, le Mali et le Burkina Faso autour de la bande de l’Agacher. Mais, très rapidement, les dirigeants des 2 pays firent preuve d’élévation d’esprit et un règlement définitif a été conclu entre les présidents Moussa Traoré et Thomas Sankara en Janvier 1986. Ce désaccord appartient aujourd’hui au passé.
Ce qu’il ne faut pas exclure, c’est que ce genre de considération complique ou retarde l’élargissement de l’AES à d’autres pays du Sahel. Les propos rapportés par la presse que tiennent les nouvelles autorités élues du Sénégal, pourtant issues de la mouvance panafricaniste avant leur accession au pouvoir, font craindre cette éventualité, si on en juge à leurs intentions de rapprochement avec l’AES.
La confédération est un anachronisme au 21è siècle
Dans l’histoire, des Etats ont formé des confédérations, mais pour des périodes de temps limitées. Toutes les confédérations connues ont fini par se transformer en fédérations ou se sont disloquées en Etats unitaires. C’est le cas des Etats Unis, du Canada, de l’Allemagne, du Danemark, du Mexique, de la République Arabe Unie, de la Sénégambie, etc. C’est dire que la confédération ne s’est pas révélée comme une solution viable aux nécessités d’association des Etats. Elle a toujours été une sorte une transition vers les solutions durables, pour des Etats que tout sépare mais qui doivent momentanément faire face à un péril commun, ou pour des Etats auxquels l’histoire a assigné un destin commun, mais dont les dirigeants ne sont pas encore tout à fait conscients. Dans le cas des pays de l’AES, ni la première, ni la seconde hypothèse ne sont d’application. L’existence centenaire du panafricanisme comme idéal des peuples africains est là pour le prouver.
Au jour d’aujourd’hui, il n’existe aucune vraie confédération au sens d’Etats qui s’unissent dans un ensemble politique plus grand, comme l’envisage l’AES. Même la Suisse qui porte ce nom est en réalité une fédération depuis 1848, mais qui a gardé son ancienne appellation. Les confédérations issues des recompositions politiques qui ont suivi l’éclatement de l’URSS (comme la CEI ou la confédération russo-biélorusse) sont plus des constructions sur papier que des réalités géopolitiques. Pourquoi donc les dirigeants de l’AES s’accrochent-ils à une forme d’association des Etats qui a quasiment disparu aujourd’hui sur l’échiquier mondial ?
Les confédérations d’aujourd’hui, ce ne sont pas des regroupements d’Etats au sens de l’AES, mais des organisations internationales comme l’EU, la CEDEAO, la CEMAC, etc. Certains analystes citent même l’ONU comme étant une confédération d’Etats. C’est dire qu’en optant pour une confédération, l’AES choisit de n‘être qu’une CEDEAO bis regroupant le Mali, le Burkina et le Niger. Analysons encore plus profondément les choses ! Cela nous permettra de découvrir que certaines des organisations internationales citées plus haut fonctionnent selon des principes qui sont même plus proches des fédérations d’Etats que des confédérations.
En principe, une confédération est une union d’Etats indépendants qui, par un traité, délèguent l’exercice de certaines compétences à des organes communs destinés à coordonner leurs politiques dans certains domaines, sans constituer un nouvel Etat superposé aux Etats membres.
Dans une confédération, la souveraineté appartient aux entités qui composent l’ensemble alors que dans une fédération, la souveraineté est détenue par le gouvernement central. Dans une confédération, les décisions sont prises à l’unanimité de membres et n’entrent en application dans les droits nationaux qu’après une procédure de ratification. Dans une fédération, les décisions sont prises à la majorité des membres et s’imposent automatiquement à tous les Etats membres.
Dans le cas de l’UE, les Etats européens ont délégué leur souveraineté monétaire avec l’avènement de l’euro, leur souveraineté budgétaire est considérablement limitée par des règles contraignantes appelées critères de convergence, et enfin, il ya primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Toutes choses qui sont empruntées au mode de fonctionnement des fédérations.
Prenons maintenant le cas de la CEDEAO ! Cette organisation a également adopté, dans ses règles de fonctionnement, des principes identiques comme par exemple la règle de la majorité dans la prise des décisions, ou la primauté des règlementations communautaires sur celles des Etats membres. On peut donc affirmer que sur son mode de fonctionnement, la CEDEAO pourrait être en avance sur l’AES si le traité de ce dernier prévoit d’en faire (comme on si attend) une confédération classique. On a là une raison supplémentaire d’inviter nos chefs d’Etat à regarder attentivement le traité que les experts leur proposent avant de signer.
En effet, si 15 Etats d’Afrique de l’Ouest ont pu créer l’organisation confédérale qu’est la CEDEAO, avec des niveaux de développement économique variés, des contextes géographiques et climatiques qui sont parfois aux antipodes, des élites politiques formées par des métropoles différentes et parlant jusqu’à 3 langues officielles différentes (anglais, français et portugais), il n‘y a pas de raison que 3 pays sahéliens, avec une structure économique similaire, dont les élites parlent la même langue officielle, et qui, surtout, ont à leur tête des équipes dirigeantes partageant la même idéologie antiimpérialiste et la même vision panafricaniste, ne puissent pas faire plus.
Quelle que soit la face par où on prend la chose, on ne voit pas ce qui justifie objectivement le choix d’une confédération et la remise à plus tard de la fédération de l’AES.
L’option pour la confédération n‘est pas conforme aux aspirations des populations sahéliennes
Sont-ce les paysans nigériens, maliens ou burkinabè qui se sentiraient menacés dans leurs espaces vitaux s’ils ne sont pas protégés par des frontières politiques ?
Est-ce les éleveurs pasteurs qui conduisent leurs troupeaux sans considération des frontières nationales actuelles qui verront leurs intérêts menacés par l’avènement d’une fédération des Etats de l’AES ?
Serait-ce les commerçants qui savent qu’ils doivent aller chercher les marchandises là où elles sont produites pour aller les vendre là où elles ne sont pas disponibles qui verront d’un mauvais oeil la suppression des barrières politiques, policières et douanières qui résulterait d’une fédération des Etats du Sahel ?
Sont-ce les étudiants qui ont partie liée avec la mobilité académique qui ne trouveront pas leur compte dans un Etat fédéral regroupant le Niger, le Burkina et le Mali ?
La raison et le bon sens nous commandent de répondre par la négative à l’ensemble de ces questions.
Qui a donc intérêt à la confédération ?
Toute analyse faite, il faut se résoudre à admettre que ce sont les élites politico-administratives qui mettent des bâtons dans les roues de nos dirigeants pour freiner la marche de l’AES vers la fédération. Les leaders politiques leur ayant laissé la responsabilité de l’opérationnalisation de ce projet politique, elles ont eu le champ libre pour concevoir le format d’unification politique qui est le plus conforme à leurs intérêts. Car, on n’aura de cesse de le dire : un Etat fédéral africain, même à l’échelle de deux pays, signifie le renoncement à deux postes de présidents de la République au profit d’un seul, à deux gouvernements centraux au profit d’un seul, à deux directeurs centraux au profit d’un seul, à deux chefs d’étatmajor au profit d’un seul, à deux ambassadeurs au profit d’un seul, etc. La haute technocratie politicoadministrative sera par conséquent condamnée à se sacrifier pour que vive une fédération. Elle ne peut donc pas être le moteur de cette révolution qui lui fera perdre la moitié de ses postes de responsabilité nationale s’il s’agit de 2 Etats, les 2/3 s’il s’agit de 3 Etats, les ¾ s’il s’agit de 4 Etats, ainsi de suite. Il ne lui restera plus que les strapontins des échelons inférieurs pour faire valoir la compétence et la technicité dont elle se targue.
Par contre, la confédération sera le paradis pour ces élites, pour la raison simple qu’elle consacrera le règne des rencontres au sommet tous les 6 mois, des réunions ministérielles tous les mois, des commissions techniques ad hoc permanentes etc., pour définir les projets communs à réaliser, mettre en place les moyens pour les exécuter, coordonner leur mise en oeuvre, évaluer les résultats, fixer de nouveaux objectifs, et patati et patata… !
En conclusion, de la même façon que les décisions importantes prises par les juntes militaires au pouvoir ont été jusque-là assumées au plus haut niveau politique, (comme la dénonciation des accords de défense ou le retrait de la CEDEAO), il revient à A. Tchani, I. Traoré et H. Goîta et à eux seuls, et pas à des ministres, et encore moins à des hauts fonctionnaires, de décider pour les 70 millions de citoyens de l’AES une autre voie que celle dont ont rêvé et continuent de rêver plusieurs générations d’africains : LA FEDERATION.
Aboubacar Djirmey (Le Courrier)