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Affaire Ibou Karadjé : Bazoum Mohamed bloqué par la machine d’Issoufou Mahamadou

À peine installé au pouvoir que Bazoum Mohamed est confronté à un de ces problèmes que tout président souhaiterait éviter. L’affaire communément appelée Ibou Karadjé est en train de lui empoisonner l’existence, ne sachant quoi faire et quoi décider. Il faut dire que les Nigériens l’ont pris au mot, lui qui a solennellement déclaré, lors de son investiture, le 2 avril 2021, qu’il mènera une lutte sans merci contre la corruption et les infractions assimilées. Une promesse qu’il a d’ailleurs renouvelée lors de sa rencontre avec les organisations de la société civile, le 7 juin 2021. Or, il n’a pas fallu de 100 jours pour qu’éclate, en pleine période de grâce, l’affaire Ibou Karadjé, du petit nom d’un certain Ibrahim Amadou Moussa, cet agent chargé du matériel à la présidence de la République à qui on impute le détournement de quelques huit milliards de francs CFA. Huit milliards de francs CFA soutirés sur des années du Trésor public par le biais de lettres d’autorisation de paiement (Lap) parfaitement signées des responsables autorisés par la loi. L’éclairage d’Issoufou Boubacar Kado, inspecteur des impôts à la retraite est plus qu’édifiant. « Pour des raisons d’efficacité et d’urgence, certaines catégories des dépenses publiques peuvent être exécutées sans ordonnancement préalable, c’est la procédure simplifiée, appelée le paiement d’une dépense par anticipation, le Ppa ou la lettre d’autorisation de paiement avant ordonnancement préalable, la Lapsop », souligne-t-il dans une contribution postée sur les réseaux sociaux. Kado précise par ailleurs que « l’administrateur des crédits budgétaires peut adresser une lettre accompagnée d’un bon d’engagements à l’ordonnateur des dépenses publiques tendant à obtenir une autorisation exceptionnelle d’exécuter une dépense sans ordonnancement préalable. Mais, après le paiement, un ordonnancement de régularisation est obligatoire ».

Où sont passés l’administrateur et l’ordonnateur des crédits de la présidence ?

L’éclairage d’Issoufou Kado, par ailleurs ancien secrétaire général adjoint de l’Ustn (Union des syndicats des travailleurs du Niger) du temps de sa splendeur syndicale, suppose que Ibou Karadjé, aujourd’hui écroué avec d’autres fonctionnaires du Trésor et du ministère des Finances, ne saurait faire ce qu’il a fait sans la complicité active de personnes détentrices de pouvoir. Si une dizaine de hauts fonctionnaires ont été interpellés et écroués dans différentes maisons d’arrêt, il reste que plusieurs personnalités, responsables de la chaîne des dépenses citées dans le rapport de l’Inspection d’Etat, n’ont pas été inquiétées. C’est notamment le cas d’Ouhoumoudou Mahamadou, actuel Premier ministre, de l’ancien ministre délégué au Budget, de l’ancienne directrice de Cabinet, OG… et de bien d’autres. A ce jour, aucun de ces magnats du régime n’ont été inquiétés si bien que les Nigériens pensent à une volonté d’étouffement de l’affaire.

La domination d’un clan sur la société est plus que d’actualité sous Bazoum. Ceux qui en font partie peuvent tuer, détourner des milliards, trahir les intérêts supérieurs du Niger, sans jamais répondre de leurs actes.

Bazoum Mohamed est coincé, pris entre le marteau et l’enclume. Sur la radio Bbc, il a récemment réitéré sa détermination à aller jusqu’au bout de ces sales dossiers dans lesquels l’Etat a été grugé. L’affaire du ministère de la Défense a particulièrement retenu son attention et c’est avec fermeté qu’il a déclaré que quiconque est impliqué dans ce scandale répondra devant la justice. Une simple profession de foi sans lendemains ? C’est ce que pensent nombre de Nigériens qui n’imaginent pas Bazoum Mohamed capable de tenir tête à un système dont il est issu. Un système qui est toujours là et qui garde la main sur les manettes du pouvoir. Ces Nigériens se disent non surpris de constater la sélectivité avec laquelle certains sont embastillés et jetés en prison tandis que d’autres, dont la culpabilité est pourtant plus flagrante, sont épargnés. Une situation qui rappelle opportunément à ceux qui croyaient en la naissance d’un nouvel ordre dans la gouvernance que ni l’ordre, ni la logique n’ont changé. La domination d’un clan sur la société est plus que d’actualité sous Bazoum. Ceux qui en font partie peuvent tuer, détourner des milliards, trahir les intérêts supérieurs du Niger, sans jamais répondre de leurs actes. Avec l’affaire Ibou Karadjé, ils sont en train d’en faire la démonstration, avec les mêmes méthodes de violation du principe d’égalité des Nigériens devant la loi. Au vu et au su de tout le monde.

Le Président Bazoum est certainement conscient du courant de sympathie dont il a bénéficié à ce jour. S’il s’écarte un tant soit peu de la voie tracée par une combinaison de sa parole donnée et de la volonté populaire des Nigériens, le chef de l’Etat nigérien s’en mordra rapidement les doigts.

Ceux qui sont concernés dans cette affaire Ibou Karadjé ne sont pas autres que ceux qui sont impliqués dans toutes les autres affaires de détournement, de corruption et d’autres infractions assimilées. Ce sont les membres d’un même clan au ministère de la Défense, dans le détournement des 15 000 tonnes d’aide alimentaire du Pakistan, dans l’achat de l’avion présidentiel, dans l’uraniumgate, etc. Bazoum Mohamed a beau avoir des velléités de livrer une lutte féroce à la corruption, il reste qu’il n’a pas les moyens de sa politique. Encore certains Nigériens le croient dans un jeu de duplicité visant à mener ses compatriotes en bateau. Pour combien de temps va-t-on continuer à lui concéder le bénéfice du doute par rapport à sa volonté d’entreprendre une croisade contre la corruption ? Le Président Bazoum est certainement conscient du courant de sympathie dont il a bénéficié à ce jour. Il en est non seulement conscient, mais il en connaît la condition. S’il s’écarte un tant soit peu de la voie tracée par une combinaison de sa parole donnée et de la volonté populaire des Nigériens, le chef de l’Etat nigérien s’en mordra rapidement les doigts. S’il cautionne une justice sélective qui frappe les uns pour protéger les autres, il sera vite assimilé à celui qui est aujourd’hui considéré comme le chef d’Etat nigérien le plus détesté des Nigériens depuis 1960.

Aux dernières nouvelles, tous ceux qui sont incarcérés dans le cadre de l’affaire Ibou Karadjé ont été remplacés à l’issue du conseil des ministres du vendredi 13 août 2021. Une page se tourne ainsi pour ces grands commis de l’Etat. Sauf que leur syndicat a récemment fait une sortie médiatique, la toute première, pour dénoncer et fustiger ce jeu malsain de deux poids, deux mesures qui frappe certains de ses militants. Ceux qui ont été arrêtés, déclare-t-il, ne sauraient agir si certaines conditions n’ont pas été remplies en amont. Une déclaration qui accentue la pression sur le Président Bazoum, décidément pris entre le marteau et l’enclume.

Il faut peut-être à Bazoum Mohamed un temps dont il ne dispose pas, malheureusement, l’impatience des Nigériens de voir tant d’affaires jugées étant grande.

La problématique induite par l’affaire Ibou Karadjé n’est aussi simple que le pensent beaucoup de Nigériens. Bazoum Mohamed, au nom de la gouvernance qu’il a promise à ses compatriotes, doit livrer la guerre à nombre de ses compagnons politiques impliqués dans d’innombrables affaires de corruption et/ou de détournements de deniers publics. Il lui faut peut-être un temps dont il ne dispose pas, malheureusement, l’impatience des Nigériens de voir tant d’affaires jugées étant grande. Une impatience parfaitement comprise selon Maikoul Zodi, président de Tournons la page-Niger, qui souligne que depuis plus d’une décennie, des individus ont fait main basse sur les ressources publiques, détournant à volonté des centaines de milliards qui auraient pu servir à développer les secteurs sociaux de base, notamment l’école, la santé, l’accès à l’eau, qui sont presque à l’agonie, aujourd’hui.

Bazoum Mohamed est à la croisée des chemins. En vacances à Zinder depuis le 14 août passé, il va sans doute mettre à profit ces congés pour méditer profondément sur une option à prendre. Il n’a pas deux, trois ou quatre choix, mais un seul. Face à l’épreuve de la lutte contre la corruption qu’il s’est solennellement engagé à mener sans faiblesse, le Président Bazoum se sait sans autre alternative que de sévir contre les auteurs et complices d’un fléau qui a ruiné le Niger.

Le pari est là : Bazoum est-il en mesure de tenir face à la machine d’Issoufou ? Il est clair que pour la plupart des Nigériens, Bazoum n’est qu’un «palefrenier» qui ne saurait s’émanciper de ceux qui l’ont «créé». De l’avis des proches de l’intéressé, il s’agit là d’une caricature méchante qui ne correspond ni à la réalité ni à la personnalité du président actuel. Ses vacances lui seront-elles profitables pour s’engager davantage dans la voie de la justice pour le Niger ? Rien n’est moins sûr. Prises pour permettre au président de se ressourcer auprès des siens, histoire de décompresser un peu, ces vacances sont généralement l’occasion pour beaucoup de gens d’arracher une audience difficile à obtenir à Niamey. Hommes d’affaires, cadres en quête d’une hypothétique nomination, chefs traditionnels en mission d’intercession…, les vacances présidentielles sont loin d’être une sinécure pour le président de la République. Et le contexte politique actuel aidant, il n’est pas exclu que les faucons du Pnds Tarayya fassent le siège à Tesker en vue de voir le Président Bazoum revenir à de meilleurs sentiments, autrement dit, souffler sur la flamme de la lutte contre la corruption. Tant pis pour le Niger et ceux qui ont cru en l’homme.

Doudou Amadou