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L’Afrique de l’ouest dans la tourmente : Par Bory Seyni

En l’espace de deux mois, des missions à n’en plus finir : une première, «technique et d’évaluation» conduite par le chef de la diplomatie nigérienne, M. Kalla Ankouaraou ; puis une deuxième, ministérielle celle-là, dite de «propositions de solutions de sortie de crise» sous la houlette de l’ancien président du Nigeria, M. Goodluck Jonathan suivie d’un «raid» de cinq chefs d’Etat mené sur Bamako par le président en exercice de l’Organisation, Issoufou Mahamadou du Niger en compagnie de ses homologues du Nigeria, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Ghana. Et, pour couronner le tout, une conférence au sommet. Rarement, dans son histoire récente, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) aura déployé une telle débauche d’énergie au chevet d’un de ses pays membres, le Mali en l’occurrence. Avec, au bout du compte, l’échec de la médiation et un coup d’Etat…

En ces temps du «politiquement correct » universel où la défense des ordres constitutionnels établis et des institutions «démocratiquement élues» est devenue le pont aux ânes de politiciens dont l’unique horizon est celui borné par les ors des palais, il est de bon ton de dénoncer les officiers putschistes de Bamako et de promettre l’enfer sur terre à eux, leurs partenaires et collaborateurs, si le président Ibrahim Boubacar Kéita n’était pas rétabli dans ses fonctions... On croit rêver, mais il s’agit bien là des termes du communiqué issu du tout dernier sommet extraordinaire de la CEDEAO par visio-conférence-pandémie du Coronavirus oblige-et non de propos de quelque bozo va-t-enguerre ignorant tout de la situation du pays.

En effet, selon le document décliné depuis Abuja au Nigeria où elle a son siège et déclamé à Niamey, l’Organisation «condamne avec la plus grande fermeté le renversement par les militaires putschistes du Gouvernement démocratiquement élu du Président Ibrahim Boubacar Kéita» (point 2-a) ; «exige la libération immédiate du Président Ibrahim Boubacar Kéita et de tous les officiels arrêtés» (point 2-d) ; «décide de la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes ainsi que l’arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali et invite tous les partenaires à faire de même» (point 2-f) ; «demande la montée en puissance immédiate de la Force en Attente de la CEDEAO» (bras armé de l’Organisation, NDLA) (point 2-g) ; et «demande la mise en oeuvre immédiate d’un ensemble de sanctions contre tous les putschistes et leurs partenaires et collaborateurs » (point 2-h).

L’histoire ne dit pas si le communiqué de l’organisation sous-régionale a fait consensus chez tous les participants au sommet, mais la réponse venue de Bamako illustre à volonté le fossé abyssal existant entre la perception des évènements qu’ont les dirigeants ouest-africains et la réalité sur le terrain : vendredi 21 août, place de l’Indépendance, les Maliens ont, par milliers, porté en triomphe les officiers putschistes qui, scandaient-ils, ont parachevé «l’oeuvre» entamée dans la rue des mois auparavant, à savoir la chute d‘un pouvoir prédateur majoritairement vomi par la population. La veille, jeudi 20 août, alors même que les injonctions d’Abuja étaient proférées, des pourparlers étaient en cours entre la junte et la classe politique pour déterminer les modalités de gestion de la transition ouverte par le développement de la situation.

LE PRESENT DE L’AVENIR

Faisons court : depuis des mois, semaine après semaine, des manifestants investissent pacifiquement la rue à Bamako et dans d’autres villes du Mali, au mépris du danger (des dizaines de morts et de blessés sont décomptés selon diverses sources), appelant à la démission du président. Ibrahim Boubacar Kéita engage les réformes telles que formulées comme solutions de de sortie de crise par la CEDEAO et, fort du soutien d’une kyrielle de courtisans et de ses pairs de la sous-région, refuse de partir. Le pays est bloqué. Mardi 18 août, un groupe d’officiers l’arrêtent. Dans des conditions qu’on ignore encore, il annonce nuitamment sa démission de ses fonctions ainsi que la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale, «avec toutes les conséquences de droit» (sic).

Ce que c’est, c’est ce que c’est ! Le changement de régime à Bamako est consommé. Le coup de menton du président en exercice de la CEDEAO, Issoufou Mahamadou, et les effets de manche «pour le rétablissement immédiat du président Ibrahim Boubacar Kéita dans ses fonctions» résonnent comme le «flop» d’un coup de pied dans l’eau. Au Mali, la page IBK est tournée.

Comment en est-on arrivé là ?

Immense pays aux trois quarts désertique ou semi-désertique, le Mali est, de fait, coupé en deux depuis plus d’une décennie. Appelée au secours lors de la fulgurante descente vers le sud des djihadistes venus de Libye, l’armée française, militairement maîtresse du terrain, stoppe l’avancée des soldats maliens aux portes de Kidal.

Qui a parlé d’agenda néocolonial ?

En tout état de cause, le fait est que cette opération a consacré la partition du pays en un «sud» plus ou moins sous administration centrale de Bamako et un «nord», en théorie fief de la rébellion touarègue en négociation avec Bamako dans le cadre du «processus d’Alger» intervenu entre temps, mais en réalité véritable «no man’s land» où trafiquants en tous genres, terroristes labellisés Al QaÏda au Maghreb Islamique (AQMI) ou Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) se réorganisent avant d’essaimer dans tout le Sahel ouest-africain.

Dans le reste du pays sous administration centrale, l’Etat peine à assurer la sécurité aux populations rançonnées en permanence sinon assassinées par les tueurs d’un terrorisme métastasé en grand banditisme, lorsqu’elles ne sont pas victimes de conflits intercommunautaires fratricides dont il est permis de se demander s’ils ne sont pas alimentés depuis Bamako par des politiciens en manque de notoriété.

Porté à deux reprises (2013 et 2018) à la magistrature suprême dans des conditions électorales problématiques au regard du contexte que voilà, le président Ibrahim Boubacar Kéita ne règle aucune des questions sécuritaires qu’il a trouvées sur son bureau de Koulouba, semblant, pour ce faire, s’en remettre aux nombreuses forces étrangères présentes sur le terrain (Barkhane, Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), Takuba et G-5 Sahel).

Le climat d’insécurité se généralise dans tout le pays, jusqu’au coeur de la capitale où les terroristes réussissent des attentats meurtriers ; la corruption à grande échelle et le népotisme grippent le fonctionnement de l’Etat. Il se raconte que, devant la boulimie de l’intéressé, les autorités communales d’une mégapole sous-régionale ont dû interdire le fils du président, Karim Kéita, député deson état et président de la Commission Défense de l’Assemblée nationale, de toute transaction immobilière sur le territoire de leur circonscription.

Le summum de l’immoralité et de l’incurie politiques se révèle au grand jour à la faveur de récentes élections législatives dont les résultats rendus publics par le Ministère de l’Administration territoriale, maître d’oeuvre dans l’organisation du scrutin, ont vu 31 candidats, d’abord proclamés élus, perdre leurs sièges au profit d’adversaires partisans ou proches du président Ibrahim Boubacar Kéita, après leur «réexamen» par une Cour constitutionnelle que tout le monde savait caporalisée pour assurer la victoire au camp présidentiel.

En toute chose, il faut savoir raison garder, dicte la sagesse. Sauf à accepter qu’une caricature de démocratie est une démocratie, le système dont la rue bamakoise réclame la fin depuis des mois n’est pas une démocratie. A défaut de l’accompagner avec compréhension et humilité dans cette passe difficile, il faut laisser le peuple malien écrire son histoire et non lui imposer des choix.

Au demeurant, le Mali semble, à y bien regarder, n’être que le présent d’un avenir proche dans nombre de nos Etats. Le même désir de changement couve un peu partout en Afrique de l’ouest et même au-delà, dans le continent et ailleurs.

Des départs de feu sont d’ores et déjà signalés en Guinée-Conakry et en Côte d’Ivoire. Ici et là, deux octogénaires «démocratiquement élus», Alpha Condé et Alassane Ouattara pour ne pas les nommer, ont, peu avant la fin de leurs seconds et ultimes mandats, tordu le cou à la constitution pour proroger leur pouvoir. La ruse du référendum suffit-elle à les dédouaner de cette forfaiture ? Que nous dira et que fera la CEDEAO si l’un des deux venait à connaître le sort de Ibrahim Boubacar Kéita ?

Décidément, l’Afrique de l’ouest est dans la tourmente. Même là où semble prévaloir une toute relative paix sur les fronts politique et social, il faut croire qu’il ne s’agit que d’un silence sismique. Gare au jour du «Big One» !

*Journaliste

Par Bory Seyni