Interview - Abdoulaye Sanda Maïga : les défis de la réduction des frais de scolarité au Niger
M. Abdoulaye Sanda MaïgaLe décret du 18 juillet 2025 instaurant une réduction de 20 % des frais de scolarité dans les établissements privés du Niger a suscité un vif débat. Présentée comme une réponse à une revendication sociale ancienne, la mesure soulage partiellement les familles, tout en posant de nouveaux défis aux acteurs du secteur. Dans une interview exclusive accordée à Nigerdiaspora, M. Abdoulaye Sanda Maïga, promoteur d’établissements privés d’enseignement au Niger, partage son analyse sur les impacts, les limites et les attentes suscités par cette réforme.
Comment allez-vous appliquer la baisse de 20 % des frais dans vos écoles ?
Nous allons bien entendu appliquer la décision, car nous respectons les instructions de l’État. Cela ne nous empêche pas, en tant que citoyens, de donner notre avis et de faire des commentaires.
Il est important de rappeler que cette mesure ne vient pas du CNSP comme beaucoup le pensent. Elle remonte à l’ancien régime du PNDS-Tarayya, qui avait déjà envisagé la fixation des frais de scolarité dans les établissements privés. La vraie question est de savoir dans quel cadre et dans quel objectif cette réduction a été décidée.
Car en réalité, réduire les frais ne peut pas améliorer la qualité de l’éducation. Au contraire, cela risque de l’affaiblir. Et ce qui est encore plus problématique, c’est que seuls les établissements privés sont concernés, alors que dans de nombreux établissements publics — notamment dans les écoles et centres de formation professionnelle — les élèves paient aussi des frais. Pourtant, personne n’en parle.
Je rappelle aussi une évidence : chaque année, ce sont les écoles privées qui donnent les meilleurs résultats scolaires. Si les parents se tournent vers elles, c’est parce que l’école publique a cessé d’être performante. Autrefois, envoyer son enfant au privé était perçu comme une sanction, aujourd’hui même ceux qui imposent cette décision scolarisent leurs enfants dans le privé.
Quelles difficultés cette mesure va-t-elle poser pour vos établissements ?
La première difficulté sera d’assurer les dépenses essentielles : salaires des enseignants, factures d’eau et d’électricité, équipements pédagogiques, entretien et construction d’infrastructures. Beaucoup d’écoles n’auront plus la capacité de faire face et certaines risquent même de fermer leurs portes.
Je rappelle que j’ai été invité comme personne-ressource dans le comité qui a travaillé sur cette question de fixation des prix. Nous avons fait des calculs précis : former un élève en santé, en mécanique ou en électronique coûte beaucoup plus cher que les frais de scolarité actuellement demandés. Même le ministère avait reconnu que les montants perçus ne suffisent pas à offrir une formation de qualité.
Or, au lieu de fixer un barème équitable et clair, on a choisi une réduction en pourcentage. Cela crée de grandes inégalités. Prenons l’exemple d’une école qui facture 1 000 000 F CFA : après la réduction, elle reste à 800 000. Mais une école nigérienne qui facture 100 000 F CFA tombe à 80 000 F CFA . Comment, avec 80 000 F CFA , couvrir toutes les charges liées à la formation ? Cette décision n’est pas juste et met en péril la survie de nombreuses écoles.
Les parents craignent des frais cachés. Que leur répondez-vous ?
Je comprends les inquiétudes des parents, mais nous n’avons aucun intérêt à multiplier les frais cachés. Le véritable problème n’est pas là.
Le vrai problème, c’est l’absence d’accompagnement de l’État. Lorsqu’une décision aussi lourde est prise, il est normal que l’État propose immédiatement des mesures pour soutenir les écoles. Or, dans ce cas, rien n’a été prévu. On nous demande après coup quelles mesures nous souhaitons… Ce n’est pas logique.
Pour renforcer l’efficacité de la décision, il aurait été opportun de l’accompagner de dispositions telles que des allègements fiscaux, des exonérations ou des subventions ciblées. Ces mesures complémentaires restent à envisager.
Comment allez-vous maintenir la qualité de l’enseignement avec moins de moyens ?
C’est précisément là le danger. On ne peut pas espérer garder la même qualité en réduisant les moyens.
Aujourd’hui, le risque est de tirer le privé vers le bas, simplement parce qu’il obtient de meilleurs résultats que le public. Mais qui en souffrira ? Les élèves, les familles et, finalement, tout le pays.
Il faut bien comprendre que toutes les familles n’ont pas la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’étranger ou dans des écoles très chères appartenant à des étrangers. La majorité dépend de l’offre nationale. Si cette offre privée est affaiblie, la qualité générale de l’éducation chutera. Et ce n’est pas en distribuant des cahiers neufs chaque année que l’on améliore l’école : il faut des investissements durables et structurants.
Que demandez-vous à l’État pour aider les écoles privées ?
D’abord, que l’État concentre ses efforts sur la qualité de l’école publique. Si l’école publique devient performante, personne n’aura besoin de contraindre les parents à quitter le privé : ils y reviendront naturellement.
Ensuite, que l’État accompagne les écoles privées au lieu de les sanctionner en permanence. Cela passe par un allègement des taxes, une réduction de la pression fiscale et un minimum de soutien pour maintenir la qualité.
Nous ne refusons pas le contrôle, bien au contraire. Mais nous demandons à être traités équitablement. Aujourd’hui, les étrangers qui ouvrent des établissements au Niger obtiennent souvent plus de facilités que les promoteurs nigériens eux-mêmes. C’est une injustice qu’il faut corriger.
En conclusion, nous le répétons : la souveraineté du Niger passe par une éducation de qualité. Mais au lieu de renforcer notre système, cette décision risque d’affaiblir aussi bien le privé que le public.
Réalisée par Boubacar Guédé (Nigerdiaspora)