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Le Nigérien de la semaine : M. Jean-Luc Marcellin

Jean Luc Marcellin 01M. Jean-Luc Marcellin
Dans cet entretien publié initialement le 15 juin 2015, Jean Luc Marcellin, expert nigérien en ingénierie de formation professionnelle, revient sur son parcours entre le Niger, le Canada, le Maghreb et Haïti. Il partage sa vision de la formation technique comme levier de développement, son attachement profond à l’éducation de qualité, et son engagement en faveur du renforcement des compétences locales. Une parole lucide et inspirante, toujours d’actualité.

Dans sa rubrique « Le Nigérien de la semaine », votre site Nigerdiaspora vous propose un entretien à bâtons rompus avec Jean-Luc Marcellin, une éminence dans les domaines de la formation professionnelle et technique, des réseaux informatiques et de la formation en ligne. Avec lui, nous avons abordé des sujets variés couvrant son parcours académique, sa carrière professionnelle, ses expériences nationales et internationales, ainsi que ses projets et ambitions. Un entretien très instructif que nous vous proposons dans son intégralité.

Nigerdiaspora : Comment voudriez-vous vous présenter aux internautes de Nigerdiaspora ?
Jean-Luc Marcellin : J’appartiens de fait à la catégorie des Nigériens de la diaspora. Cela fait plus de 25 ans que j’ai quitté le Niger. Je suis marié depuis près de 30 ans à Brigitte, ma chère épouse. Nous avons trois enfants et trois petits-enfants, Dieu merci. Je suis né à Niamey où j’ai grandi jusqu’à l’âge de 18 ans. Après mon bac, je suis allé poursuivre mes études à Grenoble, puis au Canada où je m’étais engagé en génie électrique. Je suis retourné au Niger où j’ai créé la société TOUTELEC en collaboration avec des partenaires. À la création de TOUTELEC, j’avais avec moi une équipe fantastique dont faisaient partie le Professeur Hamadou Saliah-Hassane, Bernard Agfagnibo et d’autres personnes qui sont toujours mes amis à ce jour. Cette expérience m’a permis de réaliser que, bien que venant du domaine technique, je n’étais pas vraiment fait pour le monde des affaires, où je commençais à m’ennuyer. J’ai donc décidé de retourner au Canada où j’ai poursuivi des études en théologie, puis en sciences de l’éducation selon l’approche par compétences.

Nigerdiaspora : Pouvez-vous nous parler de votre parcours académique ?
JLM : Actuellement, dans mon parcours académique, je me spécialise en éducation, et plus particulièrement dans le domaine de la formation professionnelle et technique. Comme je suis un perpétuel étudiant, je continue à suivre des cours à l’université, à participer à des conférences et à des colloques pour me perfectionner dans ce domaine. Je me dis qu’il ne faut jamais cesser d’apprendre.

Nigerdiaspora : Pouvez-vous nous parler de vos expériences nationales et internationales ?
JLM : Au niveau national, lorsque j’étais à TOUTELEC comme gérant, j’ai eu l’opportunité d’assurer un cours en électronique à l’AGRHYMET. Cette expérience m’avait beaucoup plu. Après huit années à la direction de TOUTELEC, notre équipe avait développé plusieurs activités et réalisé de belles installations en réseaux informatiques, en électricité industrielle et commerciale. Nous étions parmi les premiers à représenter de grandes marques telles qu’IBM, EPSON, Microsoft, etc. J’aspirais à quelque chose de plus significatif que de faire des affaires. Je voulais que mon passage dans ce monde contribue à apporter une valeur ajoutée aux personnes. Cela m’a décidé à réorienter ma carrière. Arrivé au Québec, j’ai entrepris des études tout en travaillant comme enseignant au CÉGEP de Sherbrooke (l’équivalent des IUT en France). C’est à partir de là que j’ai commencé ma carrière de professeur, dans cet institut supérieur, d’où j’ai été envoyé en Algérie en 1999 pour enseigner la maintenance des équipements informatiques. Par la suite, j’ai été envoyé en Tunisie pour enseigner la conception, l’installation et la maintenance de réseaux de communication câblés en fibre optique. À l’Université de Sherbrooke (Québec, Canada), j’ai été recruté comme chargé de cours pour la formation des formateurs. À cette époque-là, on faisait la transition vers l’approche par compétences (APC). […]

L’APC est une méthode d’élaboration de programmes de formation professionnelle et technique basée sur la demande. On part des besoins du marché du travail pour déterminer les compétences requises en main-d’œuvre qualifiée. Ensuite, les programmes de formation sont élaborés en réponse à ces exigences de compétences pour les métiers identifiés. Par exemple, pour élaborer un programme de formation pour un maçon, nous devons rencontrer des maçons, analyser leur travail, examiner les différents niveaux de qualification, établir les liens avec les autres emplois du secteur de la construction, et décrire méthodiquement leurs tâches ainsi que les opérations nécessaires à leur réalisation. Nous consultons toutes les parties prenantes du secteur et, en fonction de ces observations, nous déterminons les compétences du métier. Une fois les compétences identifiées, nous élaborons un projet de formation que nous présentons aux entreprises et aux associations professionnelles, qui valident ou amendent notre analyse de la situation de travail et le projet de formation. Après validation, nous formalisons le programme de formation et les documents d’accompagnement : le guide pédagogique et le guide d’évaluation pour les professeurs, ainsi que le guide d’organisation destiné aux écoles souhaitant offrir cette formation. Grâce à cette expérience, j’ai pu participer à plusieurs projets internationaux où j’ai renforcé mon expertise en ingénierie de formation professionnelle.

Nigerdiaspora : Quelle est l’importance de l’ingénierie de formation professionnelle ?
JLM : Quand on parle d’ingénierie de formation professionnelle, on parle de tout le système de formation professionnelle et technique, pas simplement de la délivrance de cours en classe. On commence par analyser les besoins du marché du travail en main-d’œuvre qualifiée, identifier les emplois en pénurie de personnel, repérer les emplois émergents, puis examiner l’offre de formation existante censée répondre à cette demande. C’est ce qu’on appelle une étude sectorielle ou étude préliminaire (pour les fonctions de travail spécifiques). Pour chaque profession, on réalise une analyse de la situation de travail. Ensuite vient l’étape du projet de formation, puis celle du développement du programme et des guides d’accompagnement. Après cela, on implante le programme dans les centres de formation, et la phase finale consiste à évaluer la performance des programmes, pour voir s’ils répondent aux besoins du marché du travail.

Tout ce processus prend aussi en compte plusieurs préoccupations : l’égalité d’accès aux formations pour les filles et les garçons, le respect de l’environnement – en veillant à ce que les programmes ne soient pas polluants ou nuisibles – et le développement de compétences transversales en savoir-faire et savoir-être professionnel. Nous accordons également une attention particulière à la prévention en matière de santé et de sécurité, surtout pour les métiers à risque. Ce cycle est renouvelé en moyenne tous les 5 à 10 ans, selon l’évolution technologique des métiers. Dans le cadre de mon parcours international, j’ai participé à la mise en œuvre de l’approche par compétences dans plusieurs pays. Pour le gouvernement du Maroc, dans le cadre du projet APC financé par le gouvernement du Canada, nous avons implanté plusieurs programmes pour l’OFPPT, le Secrétariat d’État à la Formation Professionnelle. Après un bref retour au Canada, je suis intervenu dans un projet de formation de formateurs pour l’élaboration de cours en ligne dans le Maghreb. J’ai ensuite travaillé en Mongolie comme superviseur de plusieurs équipes de consultants en ingénierie de formation professionnelle et technique. J’ai participé à la réforme du système de formation professionnelle, ce qui m’a permis d’assister à la création de l’agence de formation professionnelle, alors rattachée au cabinet du Premier ministre. Le bureau de l’UNESCO en Mongolie m’a envoyé comme délégué à la troisième conférence internationale sur la formation professionnelle à Shanghai.

Depuis 2012, je participe à la réforme de la formation professionnelle en Haïti, en tant que chef de projet d’appui à l’implantation de l’approche par compétences au Centre de Formation Professionnelle d’Haïti. Il s’agit de transformer ce centre en « vitrine de l’APC », afin qu’il serve de modèle pour les autres centres en Haïti.

La formation professionnelle de qualité coûte cher, quelle que soit l’approche. Pourquoi cela coûte-t-il cher ? Parce que former une personne compétente pour le marché du travail nécessite qu’elle ait pratiqué des activités d’apprentissage correspondant aux tâches à accomplir dans son métier. On ne peut pas se limiter à de la théorie, à un tableau et à de la craie.

Prenons un exemple. Pour former un maçon, il faut que l’apprenant confectionne des briques, monte des murs, creuse des fondations, pose du mortier, coule du béton, sache lire des plans, fasse des mesures et des calculs. Tout cela nécessite des ressources : matière d’œuvre, outillage, équipements. Il faut aussi assurer l’accompagnement de chaque étudiant et étudiante pendant cette phase, pour lui faire comprendre les normes et les exigences de son futur métier. La plupart des pays où j’ai travaillé manquent des ressources matérielles et financières nécessaires pour financer une formation de qualité. Il faut donc trouver des moyens de réduire les coûts, pour rendre cette formation abordable et durable.

Car il ne faut pas que tout l’investissement des partenaires techniques et financiers soit perdu une fois les experts partis à la fin du projet. Il faut être débrouillard pour pérenniser les résultats, en tenant compte du contexte culturel, économique et sociologique du pays. Par exemple, la relation ouvrier-patron n’est pas la même au Canada qu’en Haïti. Les attitudes et comportements ne sont pas les mêmes au Japon qu’en Haïti. Comprendre la dynamique sociale permet de garantir que les programmes que nous développons n’entravent pas le fonctionnement des centres de formation.

La solution passe par le développement de partenariats étroits entre les entreprises du secteur privé et les centres de formation.

Nigerdiaspora : Quelles ont été les difficultés et les éléments facilitateurs que vous avez rencontrés dans votre carrière professionnelle, au Canada, en Mongolie, en Haïti… ?
JLM : Pour moi, être originaire du Niger a été un atout facilitateur. En effet, comparé à mes collègues, indépendamment de mon expérience, le fait que je sois un Africain d’origine à un poste de responsable d’équipe était perçu, par les collègues des pays hôtes, comme une fierté.

Voici quelques situations anecdotiques que j’ai vécues au Maroc, en Haïti et en Tunisie. La première fois, lorsque l’on nous a présentés au directeur d’un centre de formation en Tunisie, la secrétaire nous a introduits en disant : « Les Canadiens sont arrivés ! » Quand le directeur m’a vu, sa première remarque fut : « Tu dois être tunisien, toi ! » Cela a facilité le contact et la communication. J’étais un peu plus proche d’eux. Au Maroc, c’était pareil : j’étais déjà dans la salle de réunion quand le directeur arrive et dit : « On attend l’expert canadien. » Il m’avait pris pour un Marocain. En Haïti, c’est la même chose : tout le monde me prend pour un Haïtien, car j’ai la couleur locale.

Disons que mes origines africaines m’ont permis d’avoir une approche culturelle différente et une proximité avec la culture locale, ce qui facilite les choses lorsqu’on travaille dans l’implantation de méthodes de gouvernance et de gestion imposant des changements importants.

De plus, vous savez, je suis passionné par mon métier, et je n’aime pas faire les choses à moitié. Je dis aussi la vérité aux gens, ce qui signifie que j’essaie de ne pas faire croire des choses qui ne sont pas vraies. Mon but n’est pas simplement de faire la mission, de rendre mon rapport et de partir. Je voudrais être assuré qu’après mon départ, j’ai vraiment servi les gens, qu’ils se disent : « Effectivement, il nous a laissé quelque chose avec lequel on peut travailler », ou bien « Il nous a montré quelque chose de concret qui va nous servir ». Il faut qu’à mon départ, je laisse la place en ayant contribué à améliorer quelque chose.

Cette sincérité avec les gens a permis aussi de faciliter les choses. Mais il y a aussi des contraintes que l’on ne peut éviter. Dans un projet, il y a toujours un début et une fin, et entre les deux, des résultats à atteindre. Le temps est un facteur important, et le plus souvent, nous n’avons pas le temps nécessaire pour avancer au rythme des gens. Le financement étant également limité, on ne peut pas non plus satisfaire tous les besoins de nos partenaires nationaux.

J’ai adopté une approche de gestion de projet axée sur les résultats, mais aussi une approche programme. Nous sommes toujours évalués par les partenaires. En Haïti, par exemple, nous avons eu plus de quatre évaluations. Chaque année, des missions viennent vérifier ce qui a été fait, comment cela a été fait, quels sont les résultats atteints par rapport aux indicateurs définis dans le plan de travail. Donc, il faut agir pour atteindre les résultats du projet, faire en sorte qu’ils soient durables, qu’ils aient un impact positif sur le changement souhaité, et qu’ils constituent une véritable valeur ajoutée.

Nigerdiaspora : Qu’est-ce qui vous a poussé vers l’ingénierie de formation professionnelle ?
JLM : Ce qui m’a amené à prendre cette orientation, c’est le fait que, dans mon département où j’enseigne les réseaux et les systèmes informatiques, je me suis rendu compte que l’évolution technologique exigeait de se recycler tous les 18 mois. En effet, au bout de deux ans, il faut souvent remplacer son ordinateur, devenu obsolète. De même, dans le domaine des réseaux, tout évolue très vite. Il faut donc constamment se mettre à jour.

Et j’ai eu ce sentiment que tout ce que je faisais devenait rapidement dépassé. Bien sûr, il y a toujours une base sur laquelle on construit, mais quand une matière devient désuète et que l’on a dépensé tant d’énergie à l’acquérir et à la maîtriser, on se demande si on a vraiment bien investi son temps.

Puis, dans le cadre du programme PERFORMA de l’Université de Sherbrooke, j’ai formé des professeurs de plus de huit CÉGEPS (Collèges d’enseignement général et professionnel) au Québec sur l’enseignement de cours selon l’approche par compétences. Ces expériences ont nourri ma réflexion et m’ont naturellement orienté vers l’ingénierie de la formation professionnelle et technique.

Nigerdiaspora : Quel rôle le Niger a-t-il joué dans votre carrière, dans votre parcours d’ingénieur, de professeur ?
JLM : Le Niger est le premier pays où j’ai eu une véritable expérience professionnelle. Après mes études à l’IUT de Grenoble, j’ai effectué quelques stages professionnels en France, mais je ne souhaitais pas y rester. Avec le soutien de mes parents, je suis allé étudier au Canada, à l’Université d’Ottawa, en génie électrique. Le jour où j’ai réussi mon dernier cours du cursus d’ingénieur, je suis rentré au Niger. Pourtant, j’avais reçu plusieurs offres d’emploi.

Il faut savoir qu’à l’époque, au Canada, on venait nous recruter avant même que nous ayons terminé l’université. J’avais une proposition dans une grande compagnie d’électronique à Ottawa. Mais au Niger, il y avait mes parents, ma famille. Alors je suis revenu au pays, où j’ai créé une société avec des partenaires.

Nigerdiaspora : Vous pouvez nous parler un peu de votre projet en Haïti ?
JLM : Le gouvernement du Canada, en partenariat avec celui de la République d’Haïti, a sélectionné un centre de formation professionnelle dans lequel le Canada a investi pour en faire un centre d’excellence en formation professionnelle. En tant que chef de projet, avec mon équipe et en partenariat avec des ressources nationales, nous assurons la formation technique et pédagogique des professeurs afin qu’ils puissent, à leur tour, offrir une formation de qualité.

Nous encadrons également l’équipe de gestion de l’école et renforçons ses capacités. Nous avons aussi procédé à la réhabilitation des ateliers, à la construction de nouveaux laboratoires, et à l’acquisition des équipements nécessaires.

En affaires, quel qu’en soit le domaine, on est au service de la clientèle. Dans les centres de formation, les « clients », ce sont les étudiants et étudiantes, les employés d’entreprises privées qui viennent pour des besoins spécifiques ou les travailleurs en formation continue dans le cadre de l’« apprentissage tout au long de la vie ». L’apprenant est prioritaire. Il est au centre du système. Dans l’approche par compétences, c’est lui – ou elle – qui est responsable de son apprentissage. Le centre de formation doit lui fournir un environnement propice pour apprendre. Le centre offre un produit, et ce produit doit être de qualité. Mais offrir un bon produit ne suffit pas : si la gestion n’est pas saine, cela ne fonctionne pas longtemps. Il faut donc une équipe de gestion performante, rigoureuse, cohérente et transparente. Il faut également un bon plan de communication stratégique, interne et externe, pour faire connaître les formations. Car même avec de bons produits et une bonne gestion, si personne ne les connaît, cela ne sert à rien. Toutes ces composantes doivent être réunies pour garantir les conditions gagnantes.

Le centre de formation ne doit pas être une entité isolée. Il fait partie d’un écosystème et doit interagir avec la communauté : les parents d’élèves, les entreprises, les organismes gouvernementaux. C’est pourquoi nous mettons un fort accent sur le développement de partenariats avec les entreprises, mais aussi sur la responsabilité sociale de l’école. Celle-ci doit être un véritable milieu de vie, où les apprenants acquièrent non seulement des compétences techniques, mais aussi des compétences sociales et professionnelles.

Pour revenir à Haïti, nous travaillons dans un centre de formation qui a plus de 40 ans d’existence : le Centre de Formation Professionnelle d’Haïti (CFPH), qui peut accueillir plus de 1 000 étudiants et étudiantes. Actuellement, le CFPH offre quatre programmes de formation initiale dans les domaines de l’électromécanique, de la mécanique d’entretien industrielle, des télécommunications et des techniques des réseaux informatiques. Le centre propose aussi plusieurs programmes courts ou spécifiques.

Nigerdiaspora : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Nigériens qui voient en vous un modèle ?
JLM : Je dirais tout d’abord que, si l’on veut vraiment réussir dans la vie, il faut avoir des valeurs fondamentales. Ces valeurs sont le fruit d’une bonne éducation. Voilà pourquoi je conseillerais, en premier lieu, à tous ceux et toutes celles qui ont des enfants et souhaitent leur laisser un véritable héritage – comme nos parents l’ont fait pour nous – de leur donner une bonne éducation, de leur apprendre le respect de l’être humain, l’amour du prochain.

Il faut aussi apprendre à regarder au-delà de ses propres intérêts, à penser à l’intérêt du groupe, à vouloir le progrès des autres. Car si on aide les autres à avancer, nous avançons nous-mêmes. Pour ces raisons, j’encourage tous les parents à être attentifs à la formation du caractère de leurs enfants. Car la connaissance peut s’acquérir à tout moment. Regardez-moi : à mon âge, je continue à étudier. Aujourd’hui, avec Internet, tout le monde a accès à la connaissance. Mais il est important de se conduire non seulement en consommateur aguerri, mais aussi en contributeur. Il ne s’agit pas seulement de prendre, il faut savoir donner, contribuer, ce qui, malheureusement, n’est pas assez fréquent.

J’insiste donc sur les qualités de caractère. Cela a un impact énorme sur ce que l’enfant deviendra. Si un enfant développe la discipline, la maîtrise de soi, la bonté, le sens du partage, la diligence, l’attention, l’intégrité, le respect d’autrui, le sens de la responsabilité, il deviendra un bon citoyen capable d’acquérir facilement des compétences techniques et des connaissances.

Ce qui me chagrine aujourd’hui, c’est de constater que beaucoup de parents démissionnent face à leur responsabilité éducative, au sens profond du terme, et négligent d’inculquer à leurs enfants les bonnes valeurs. Malheureusement, avec la marchandisation de l’éducation, les grands groupes de pression ont ôté à l’école son rôle de transmission des valeurs citoyennes, comme la morale ou l’instruction civique, que l’on enseignait autrefois aux enfants.

Comment voulez-vous aujourd’hui former un bon citoyen s’il n’a pas reçu d’instruction civique ? Personnellement, si j’avais une recommandation à faire pour le pays, ce serait de redonner toute sa place à l’enseignement de la morale et de l’instruction civique, et de les inculquer dès le plus jeune âge. Il faut enseigner aux enfants qu’il faut d’abord servir, contribuer, ajouter de la valeur aux autres, pour évoluer soi-même. L’instruction civique aide à développer ce sentiment d’appartenance à une nation, cette conscience sociale vis-à-vis des autres, et le patriotisme.

Nigerdiaspora : Quel constat faites-vous aujourd’hui sur la formation professionnelle ? Avez-vous des solutions, des plans… ?
JLM : Au Niger, bien que je ne sois plus présent sur le terrain professionnel depuis longtemps, j’essaie quand même de revenir régulièrement. Je suis très attaché à ce pays. Malgré tout, je reste soucieux de savoir ce que je peux faire pour le Niger. Actuellement, j’essaie d’agir auprès de ceux qui souhaitent démarrer des centres de formation professionnelle. En toute sincérité, je le fais de bon cœur, mais mon temps étant limité, je ne peux pas répondre à toutes les demandes.

Cependant, il serait prétentieux de ma part de vouloir porter un jugement global sur la situation de la formation professionnelle et technique au Niger. Il y a beaucoup de travail qui se fait dans ce domaine. Les autorités gouvernementales, en partenariat avec les partenaires techniques et financiers, s’y investissent sérieusement.

Malheureusement, les moyens limités et la conjoncture économique représentent de grands défis. Les enjeux sont importants.

Pour assurer un développement durable du système de formation professionnelle et technique au Niger, il faut que tous les acteurs s’impliquent : les opérateurs économiques comme les opérateurs de formation. Ils doivent créer des liens étroits entre eux. Car lorsqu’un marché du travail bénéficie d’une main-d’œuvre qualifiée, les entreprises deviennent plus compétitives, plus productives, plus rentables, et donc mieux armées face à la concurrence mondiale.

Pour que l’entreprise privée puisse disposer d’une main-d’œuvre qualifiée, elle doit soutenir les centres de formation. J’insiste sur l’importance de ces liens entre associations professionnelles, chambres de commerce, institutions gouvernementales et opérateurs de formation. En créant ces passerelles, les formateurs seront plus conscients des réalités du marché du travail.

Au Niger, il existe déjà beaucoup de personnes extrêmement qualifiées, capables de répondre à ces besoins, mais pour lesquelles on n’a pas encore mis en place un cadre structurant leur permettant de valoriser leur savoir-faire.

Il faut que le secteur privé et les centres de formation travaillent ensemble, main dans la main, car chacun a besoin de l’autre. Le gouvernement joue un rôle essentiel en soutenant les écoles de formation professionnelle, qu’elles soient publiques ou privées, dès lors qu’elles répondent réellement aux besoins du marché du travail selon les spécificités régionales.

Il faut aussi souligner que le secteur informel contribue énormément au PIB du Niger. Les actions entreprises par les autorités et leurs partenaires doivent être renforcées pour améliorer les compétences des travailleurs, développer leur capacité entrepreneuriale, la qualité de leurs produits, et leur permettre d’être compétitifs. Il est important d’accorder une attention particulière au secteur informel.

Nigerdiaspora : Et vous personnellement, vous n’avez pas de projet pour le Niger ?
JLM : J’ai eu quelques projets que j’ai soumis au ministère de la Formation professionnelle et technique. Je me souviens notamment de ceux proposés en 2008. L’idée était de faire en sorte que tous les cadres du ministère comprennent les enjeux de la formation professionnelle et technique dans une perspective systémique, en analysant les composantes du système, leurs interactions, et comment chacune pouvait servir l’autre. Il s’agissait de développer une vision partagée à tous les niveaux, pour que chaque acteur sache ce que fait l’autre, ce qu’il peut attendre de lui et ce qu’il peut lui apporter en retour.

Malheureusement, le financement n’a pas pu être obtenu. C’était un projet soutenu par le ministère, mais il n’a pas été réalisé faute de moyens. D’autres projets ont également été proposés, notamment pour accompagner la table ronde sur la formation professionnelle qui a eu lieu au Niger en 2008. La direction Afrique de Microsoft était même venue sur place rencontrer les autorités, en collaboration avec l’École Polytechnique de Niamey, comme cela s’était fait dans d’autres pays de la sous-région.

Nous avons aussi lancé quelques petits projets dans le développement de programmes de formation dans les secteurs des mines, de l’entretien des groupes électrogènes, de la mécanique, du traitement de l’eau, sans oublier l’énergie solaire. Le Niger bénéficiant d’un taux d’ensoleillement exceptionnel, développer des formations dans ce domaine représenterait un immense potentiel.

Dans le cadre d’une étude que je viens de terminer pour le CFPH, nous avons comparé le coût actuel de l’énergie – sur la base des factures des trois dernières années – avec le coût potentiel d’un système solaire. Il a été prouvé qu’en installant un système solaire couvrant l’ensemble des besoins en électricité de l’école (climatisation, équipements informatiques, mécaniques, etc.), l’investissement serait amorti en moins de cinq ans. Le système est conçu pour durer au minimum 15 ans (durée de garantie constructeur), et jusqu’à 25 ans avec un faible coût d’entretien. Autrement dit, le centre paierait l’équivalent de cinq années de factures pour bénéficier ensuite de près de vingt ans d’électricité gratuite. Et ce, avec une maintenance de routine, beaucoup moins coûteuse que l’installation initiale. Quelques panneaux, quelques batteries, et c’est tout. Mathématiquement parlant, il est plus économique d’investir dans l’énergie solaire que de continuer à dépendre des énergies fossiles.

Nigerdiaspora : Votre mot de la fin ?
JLM : Je suis vraiment content de voir ce qu’est devenu Nigerdiaspora. Pour moi, c’est une véritable leçon de vie. Vous avez commencé petit et, depuis une dizaine d’années, malgré les obstacles, vous avez persévéré et progressé. À ce titre, je tiens à vous féliciter. Sincèrement, je suis fier de votre travail. Vous contribuez énormément à l’image du Niger à l’extérieur.

Souvent, lorsque je dis à mes collègues que je viens du Niger, la première chose qu’ils font, c’est chercher « Niger » sur Internet… et ils tombent sur Nigerdiaspora. C’est un site qui représente notre pays tel qu’il est, et qui contribue à en donner une image positive à l’international.

J’aimerais aussi encourager chacun à apporter sa contribution. C’est un travail d’équipe, et je vous félicite pour cela.
« La vie, c’est comme un match de football. On ne gagne qu’en équipe. »

Nigerdiaspora : Merci beaucoup, Grand Frère.

Réalisée par Boubacar Guédé (Nigerdiaspora) 

Jean-Luc Marcellin.
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