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CAN 2019 : L’espoir de l’unité retrouvée pour l'Afrique

Can-2019-Unite-Africaine.jpgLe politologue Sébastien Boussois perçoit dans le déroulement de la dernière Coupe d’Afrique des nations en Egypte un espoir pour l'unité du continent.

La Coupe d’Afrique des nations 2019 est finie depuis quelques jours et ce n’est un secret pour personne : c’est l’Afrique qui a avant tout gagné. Il est bon de le rappeler tant on a le sentiment qu’en dehors, le continent africain reste identitairement profondément divisé. La CAN est un évènement unique pour le continent, elle est aussi le meilleur instrument de la réconciliation de deux Afriques qui trop souvent s’ignorent encore.

Au Nord, du Maghreb jusqu’à l’Égypte, l’Afrique saharienne qui a tendance à toujours regarder vers le Nord et l’Europe, en oubliant une partie de ses racines et en maltraitant parfois certains de ses coreligionnaires venus d’au-delà du Sahara. Au Sud, le continent civilisation noire pour qui le Maghreb représente souvent plus une barrière supplémentaire pour se rendre vers le Nord qu’un partenaire culturel et naturel de vie. Ici, bien que la finale se soit jouée entre l’Algérie, digne représentant du premier camp, et le Sénégal, fier représentant du second, il a régné au sein même des équipes, et au Caire un sentiment de faire cause et front commun de par la profondeur même de ses racines avant toute autre chose.
Union de l'Afrique


"Je suis Africain", c’est le nouveau titre posthume du regretté chanteur franco-algérien, Rachid Taha, parti trop vite en septembre 2018, et qui avait compris depuis longtemps l’importance de se revendiquer tous unis, que l’on vienne du Cameroun ou du Maroc, car il s’agit bien du même continent souche.
Pour le public averti, il était un génie qui a su marier le rock aux origines occidentales avec le meilleur de la musique orientale d’Algérie, son pays, et d’ailleurs. Pour le grand public, il était celui qui avait repris Charles Trenet. Le chaos pouvait parfois régner dans son inspiration mais en réalité, la puissance créative qui en débouchaient étaient sidérantes. Elle représentait un peu de cette Afrique dont les cultures s’entrechoquent souvent. Sa mort a secoué nombre d’âmes errantes qui "kiffent" la musique du Bled et le métissage culturel. Bien sûr, Rachid Taha, était un chanteur éminemment engagé dans le combat pour la culture, pour l’égalité, contre le racisme, pour la diversité, l’amitié entre les peuples, et la réconciliation entre d’une part les individus des deux rives de la Méditerranée, mais également ceux des deux rives du Sahara si l’on peut dire.
{xtypo_quote}Le football a au moins cette magie : jouer un rôle d’unification, de solidarité, et d’amitié entre les peuples, au moins le temps des matchs. {/xtypo_quote}
Le football a au moins cette magie : jouer un rôle d’unification, de solidarité, et d’amitié entre les peuples, au moins le temps des matchs. Ce qui s’est passé au Caire et lors des précédents matchs, c’est une belle leçon d’humanité. C’est aussi la preuve que lorsque l’on est fier de son identité et que l’on n’est pas déchiré entre plusieurs, on aspire à vivre un quotidien en paix et à s’amuser avant tout. Je ne suis pas amateur de football, mais je dois bien reconnaître son rôle mondial de concorde civile, en dehors de toute instrumentalisation politique.
{xtypo_quote}Rachid Taha n’est plus là pour le voir mais il serait fier des Fennecs.{/xtypo_quote}
Ce sont avant tout les peuples qui parlent et qui profitent des jeux et du pain. Ce qui s’est passé sur les Champs-Elysées à l’approche de la finale impliquant l’Algérie, comme un inéluctable jeu du chat et de la souris avec l’autorité et le pouvoir, est le reflet d’une part de la crise identitaire traversée par une minorité d’individus qui vivent une double culture douloureuse sans parvenir à être fiers d’aucune car personne ne leur a appris comment faire. D’autre part, il est le fait d’un nombre limité d’énergumènes, qui souhaitent politiser l’évènement dans un contexte algérien tendu qui viendrait s’immiscer sur le continent.
Enfin, et pour la majorité en paix qui a manifesté sa joie partout en France, il est le signe clair, que pour une fois des individus d’origine algérienne ont la possibilité et le bonheur d’être fiers de leur pays d’origine, car quelque chose de spectaculaire s’y passe en ce moment.

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Rachid Taha n’est plus là pour le voir mais il serait fier des Fennecs. Il serait fier de l’Afrique qui a montré le modèle d’un sport qui est resté du sport et ce, sans débordements ou sentiment de haine entre peuples et pays. Il serait fier de cette nouvelle révolution algérienne par le sport qui apporte encore plus d’espoir non seulement aux jeunes Algériens, mais aussi aux plus vieux, et également à ces binationaux à qui on demande trop souvent de choisir leur patrie.
L’Algérie est en train de se choisir un destin et représente un espoir pour toute l’Afrique : le combat contre les colonisations de l’intérieur, des pouvoirs grégaires et autoritaires qui n’ont que trop duré depuis les indépendances. Personne ne peut prédire de l’issue heureuse de la situation mais le Peuple est en marche. Et actuellement, quoi de plus galvanisant, qu’une équipe de football qui replace l’Algérie au carrefour culturel, identitaire, et politique du Maghreb et de l’Europe ?
Rachid Taha avait cette vision profonde de la dynamique dans laquelle peut s’inscrire l’Afrique, entrainée par sa diversité et galvanisée par la richesse de ses influences et différences. Trop longtemps, l’Algérie a disparu des écrans radars. Le sport aujourd’hui peut faire la politique. Si tout change dans le plus grand pays africain, alors il est à espérer que tout puisse changer sur le grand continent de nos origines communes. L’espoir est là pour l’ensemble des Africains et les mois à venir seront déterminants. Au-delà des différences politiques, l’ensemble des équipes africaines ont salué la victoire de l’équipe algérienne, Maroc en tête. Alors que demande le peuple ? L’unité dans la diversité : "Je suis Africain du Nord au Sud, je suis Africain dedans comme dehors" chante haut et fort Taha même depuis l’au-delà.
Sébastien Boussois

24 juiillet 2019
Source : https://www.marianne.net/