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Repenser la démocratie en Afrique (1&2) : Par Moumouni Farmo

Repenser la démocratie en Afrique : Par Moumouni FarmoÀ vous qui ne dédaignez pas la lecture, voici l’ouverture de la réflexion que je mène depuis quelques jours sur la démocratie en Afrique

1. La voix des anciens

Il y a plus d’un demi-siècle, Boubou Hama s’adressait à la jeunesse africaine en ces termes : « Vous êtes les enfants de l’Europe » Il aurait pu ajouter, s’il vivait encore aujourd’hui : vous êtes les enfants de l’Orient.

En 1978, Joseph Ki-Zerbo attirait notre attention par ces propos pleins de sagesse : « On ne peut vire avec la mémoire d’autrui » Or, Nous vivons aujourd’hui plus avec les mémoires de l’Europe et de l’Orient, qu’avec notre propre mémoire. Cette manière de vire a pour nom : aliénation.

Déjà en 1974, Cheikh Anta Diop nous mettait en garde contre le risque que l’aliénation nos faisait courir : « un avortement culture qui consacrerait irrémédiablement la mort de notre culture nationale authentique, la fin de notre vie spirituelle et intellectuelle profonde, pour nous réduire au rôle d’éternels pasticheurs ayant manqué leur mission historique en ce monde »

Pour éviter l’avortement culturel annoncé, pour ne pas manquer la mission dont l’histoire nous a investis, il est indispensable que nous redevenions enfants de l’Afrique, que nous descendions au fond de nous-mêmes, pour chercher notre mémoire, pour la hisser à la surface, afin de la placer au-dessus de la mémoire de l’Europe et de de la mémoire de l’Orient.

Pour nous re-faire, pour nous réaliser, nous devons sortir des croyances et des habitudes dans lesquelles les autres nous ont enfermés depuis plusieurs siècles. Nous avons un avenir à bâtir, mais la construction de l’avenir ne se fait uniquement dans une tension vers l’avant, elle passe par la médiation de ce qui est derrière, par le détour du passé. Un peuple « ne peut vraiment affronter son avenir sans avoir une vision de son passé » Pour se sentir concerné par l’avenir, dit Ki-Zerbo, il faut que l’Africain se sente héritier d’un passé.

Prêtons une oreille attentive aux propos de Joseph Ki-Zerbo : « L’histoire africaine doit être une source d’inspiration pour les générations qui montent, pour les politiciens, les poètes, les écrivains, les hommes de théâtre, les musiciens, les savants de toutes sortes et aussi tout simplement pour l’homme de la rue. Ce qui frappe dans les pays européens, c’est cet auto-investissement continuel du passé dans le présent. La continuité n’est pas rompue. Les hommes politiques citent les auteurs du XVIe siècle ou même les écrivains gréco-latins. Le nom des avions ressuscite des réalisations du passé : caravelle, frégate, etc. Les navires et les bars font revivre les grandes figures ou batailles historiques : Richelieu, Pasteur, Jules Verne, Trafalgar, etc. De même l’historien de l’Afrique en ramenant à la vie le passé de ce continent, crée un capital spirituel qui constituera une source multiforme et permanente d’inspiration. Le sacrifice de Aoura Pokou, fondant le peuple Baoulé, animera des romanciers et des dramaturges. Les misères de la traite des Noirs, la tragédie des divisions qui ont affaibli les pays africains, la saga torrentielle du terrible Tchaka, tout cela doit être vivant un bien-fonds inestimable. C’est pourquoi l’histoire doit être vivante et écrite surtout pour les jeunes, à l’âge où l’imagination bâtit des rêves qui moulent les âmes pour la vie. Il faut que le jeune Africain entende piaffer et hennir les chevaux entraînés par la furia religieuse des talibés d’Ousmane dan Fodio. Il faut que dans l’entrepôt infect du bateau négrier, il respire l’atmosphère étouffante et entende gronder autour les vagues de l’océan charrieur de bois d’ébène. Il faut qu’à travers le rictus des crânes préhistoriques amoncelés, il communie au mystère des sacrifices humains »

Rendre l’Afrique aux africains, tel est le chemin que la voix des anciens appelle à emprunter. La tâche est immense, elle est difficile, mais exaltante. Elle s’adresse à tous les Africains aux quatre coins du continent, à toutes les intelligences, à toutes les compétences.

Sur la voie de la restitution de l’Afrique aux Africains, se trouve la démocratie. Situés sur le mont de l’histoire des peuples, nous voyons les hommes emprunter plusieurs sentiers pour parvenir à la démocratie. Ils ont suivi le sentier de la démocratie directe, celui de la démocratie athénienne, celui de la démocratie censitaire; ils ont marché sur le sentier de la démocratie populaire, sur celui de la démocratie libérale; ils ont avancé sur le sentier de la démocratie sociale et sur celui de la démocratie chrétienne.

Au milieu de ces voies d’accès que les hommes, placés dans des temps et des lieux différents, ont ouvert dans leurs tentatives de joindre l’égalité et la liberté, nous tâchons de dégager la nôtre.
Repenser la démocratie en Afrique, c’est au demeurant, créer les conditions permettant aux Africains égaux entre eux, de participer à leur propre gouvernement, de légitimer cette participation par leur histoire et leur culture, et de choisir librement des lois et des institutions qui cessent dès lors de leur être étrangères.

Je crois que la démocratie n’est pas seulement de là-bas, elle n’est pas uniquement d’ici, elle est entre ici et là-bas : là où tous les acteurs deviennent des êtres humains aspirant unanimement à l’égalité et à la liberté; mais, ils la vivent dans les circonstances particulières dans lesquelles le temps et l’espace les confinent.

Farmo M.

 

Repenser la démocratie (2) Par Moumouni Farmo

2. Sur la voie de la démocratie

Pourquoi, parmi tous les régimes politiques, nos réflexions ne s’arrêtent que sur la démocratie? Pourquoi, ces réflexions qui s’intéressent à l’Afrique, ne choisissent-elles pas de traiter de la monarchie qui a été dans l’histoire de l’Afrique, le régime politique commun?

2.1 Le couple universel : Égalité-Liberté

Notre option appelle quelques explications. Les hommes ne sont pas libres et égaux partout, mais partout, les hommes aspirent à la liberté et à l’égalité. Or, ce sont ces idées de liberté et d’égalité qui fondent la démocratie.

Je sais que des hommes vivent encore dans l’esclavage sous des régimes tyranniques qui les tiennent par l’ignorance et par la force. Mais il n’en sera pas toujours ainsi. L’éducation et l’instruction en éclairant les peuples, briseront les fers de l’esclavage, saperont les régimes tyranniques. Les peuples portant l’éducation dans la tête et l’instruction entre les mains, constituent une force irrésistible et irrépressible : ils revendiquent et obtiennent la liberté et l’égalité.

La démocratie en ce qu’elle est liberté et égalité, me semble donc être le régime politique qui répond le mieux aux aspirations des peuples. Il appartient cependant à chaque peuple de trouver le moyen optimum de les associer dans son vire-ensemble et dans la conduite de ses affaires.

Or, j’ai posé que la démocratie est l’association de l’égalité et de la liberté. Qu’est-ce à dire?
Pour moi, l’égalité est avant tout une idée, un sentiment qui amène l’homme à considérer que l’homme est l’équivalant de l’homme. C’est une aspiration qui pousse l’homme à vouloir être comme son prochain, et à vouloir que son prochain le considère comme tel. C’est une valeur qui institue le respect au cœur des relations humaines. Pour que ce sentiment devienne une croyance, il faut que qu’il se traduise en faits et qu’il repose sur des faits.

En se traduisant dans les faits, l’égalité passe du concept au vécu. Elle devient dynamique, se transforme en action, c’est-à-dire en égalisation. Elle travaille alors à rendre les hommes semblables. Elle entreprend de réduire la distance entre les catégories sociales, d’effacer les différences entre les individus. Sans distinction d’origine, de position sociale, elle les soumet tous aux mêmes règles et aux mêmes lois; accorde à tous les mêmes chances. Elle s’emploie surtout à soigner l’éducation de tous, car c’est elle qui introduit les lumières dans les consciences, permet aux hommes de comprendre, de se comprendre, de comprendre la société, de former des jugements et des opinions, de faire des choix éclairés, de prendre des décisions, de participer à la vie de la société, et, au demeurant, d’être responsables.
Les hommes ne peuvent être égaux sans être libres; ils réclament l’autonomie et deviennent indépendants. Ils ne peuvent vivre dans l’égalité sans vouloir la liberté; ils n’admettent aucune autorité extérieure ou étrangère au-dessus de la leur. Ils conduisent eux-mêmes leurs affaires, et leur association forme le souverain, c’est-à-dire l’autorité suprême. En démocratie, c’est le souverain qui gouverne. La souveraineté est détenue par le peuple. Le peuple ne peut siéger au gouvernement, mais il possède assez de lumière et de discernement pour choisir des mandataires auxquels il accorde une partie de sa souveraineté afin qu’ils le représentent, et agissent en son nom au gouvernement. Ainsi, le peuple participe au gouvernement du peuple.

La démocratie telle que nous l’envisageons est donc l’association de l’égalité et de la liberté dans le gouvernement du peuple.

Dans nos démocraties, les lois fondamentales, les constitutions, qui règlent la vie politique sont étrangères à la majorité des citoyens, notamment parce qu’elles sont rédigées dans des langues que le plus grand nombre ne parle ni n’écrit. Les institutions sont placées au-dessus des citoyens qui ne comprennent ni leurs structures ni leur fonctionnement, parce qu’elles ne correspondent ni à leurs traditions ni à leurs mœurs.

Jusqu’ici, notre démocratie a été pratiquée au détriment des peuples. Ils n’y prennent part que par des élections plus ou moins régulières, souvent contestées, et par le truchement de partis politiques qui servent plus les desseins de quelques élites, que les attentes des grandes masses. Or, la démocratie ne se limite pas seulement à l’expression des suffrages, et au multipartisme.

De surcroît, la démocratie, telle que nous la pratiquons aujourd’hui, est parodie et/ou exigence. Le modèle nous a été imposé du dehors, nous le reproduisons servilement, ou encore, nous concilions exigence et parodie : imposée, nous nous contentons de le reproduire.
Il suffit de consulter l’histoire des hommes, celle de leurs organisations politiques, pour comprendre que le modèle que nous pratiquons, n’est pas le seul modèle démocratique. Cela signifie que nous pouvons nous organiser d’une autre manière démocratique.

Repenser la démocratie répond au souci de donner aux peuples africains la possibilité de participer véritablement à la gestion de leurs affaires, de choisir la forme de gouvernement qui leur convient, leurs institutions et leurs lois, en adéquation avec leurs habitudes et leurs mœurs, et au demeurant, de comprendre et de vivre leur démocratie.
En entreprenant une réflexion sur la démocratie, le but que nous assignons est de l’organiser afin qu’elle réponde à nos besoins particuliers. Pour ce faire, nos réflexions doivent se nourrir d’universaux, mais aussi de l’expérience tirée de notre histoire et des savoirs qui reposent dans notre culture.

2.2 L’essence occidentale de la démocratie : un mythe

Levons un obstacle : cette croyance que la démocratie est d’essence occidentale ou encore que la démocratie est une pratique exclusivement occidentale. Il n’en est rien évidemment. La démocratie n’est l’apanage d’aucun peuple, pas plus que la liberté et l’égalité qui la fondent, qui sont des aspirations pour tous les peuples. Des peuples autres qu’occidentaux ont pratiqué la démocratie, ils ont mis en place des organisations politiques autorisant la participation de tous.
Il faut donc distinguer l’idée de démocratie qui est universelle, et la forme que la démocratie prend quand elle s’adapte aux conditions de vie, aux mœurs et habitudes d’un peuple particulier.
L’idée de démocratie a été si intimement associée à l’Occident, que beaucoup croient qu’on ne peut être démocrate sans ressembler à l’Occident. Il est vrai que le modèle démocratique occidental est le modèle dominant, le modèle le plus parodié, il est aussi vrai que des peuples non occidentaux peuvent s’organiser démocratiquement, en s’inspirant de leurs expériences historiques, culturelles et politiques.

L’Occident n’a pas introduit la démocratie en Afrique, elle y a seulement importé son modèle démocratique.

2.3 La pureté : une utopie

Le second obstacle qui pourrait se présenter sur le chemin de nos réflexions, est celui de la recherche assidue de la pureté. L’Afrique a été première, elle a créé la première civilisation, elle a mis en place les premières structures sociales, culturelles, religieuses et politiques. Des hommes sont partis d’Afrique, munis de ces croyances et de ces savoirs qu’ils ont transformés afin de les adapter à leurs nouvelles conditions d’existences, à leurs besoins nouveaux. Mais, l’Afrique berceau de l’humanité, foyer de civilisation, a eu des contacts. Elle a été envahie, occupée, dominée par des hommes venus d’’ailleurs avec leurs savoirs, leurs cultures, leurs religions, leurs organisations politiques. C’est donc dire que l’Afrique a influencé, mais qu’elle a été elle aussi influencée.

Les civilisations, les cultures et les hommes se rencontrent. Ils se sont rencontrés il y a plusieurs siècles. Et, lorsque ces rencontres se produisent, les idées, les croyances, les manières de se comporter et d’agir, les manières de s’organiser et de vivre, s’interpénètrent, interagissent, s’influencent mutuellement. Aucune civilisation, aucune culture, aucun homme ne sort immaculé de ces rencontres. Mais l’interpénétration, l’imbrication, ne sont pas assimilation, mais métissage et hybridation.

Les rencontres entre les civilisations, les cultures et les hommes, l’interpénétration de leurs idées et de leurs croyances, les influences qu’ils exercent les uns sur les autres ne les rendent pas uniformes, elles ne les rendent pas identiques. Il demeure toujours des spécificités, des particularités reconnaissables dans le métissage. Celles-sedonnent à la fois comme substrats, et comme témoins de la diversité.Quoique nous disions, quoique nous fassions, les apports extérieurs séculaires font partie de notre histoire et de notre culture. Lorsqu’ils sont intégrés, adaptés à nos conditions d’existence pendant des siècles, ils s’y diluent, et finissent par paraître nôtres.
Le cas de l’Afrique est en ce domaine particulier, et doit être mis en évidence. L’Afrique se trouve dans une situation unique, parce qu’elle est au début de l’humanité, parce qu’elle a mis place la première civilisation, parce que c’est à partir d’elle que les autres continents ont été peuplés, et parce qu’enfin elle a instruit les autres civilisations. Sa singularité réside aussi dans le fait que ce qu’elle a donné ou ce qu’on lui a pris, revient transformé et méconnaissable. Dans ce qui est présenté comme étranger, il y a souvent un fond africain. Cela est attesté notamment dans les domaines culturels, religieux, scientifiques, économiques, philosophiques. Mais, le travail des siècles et la nonchalance de la recherche dissimulent cette réalité aux yeux des Africains.

Au demeurant, l’Africain, parce qu’il a donné à l’humanité, est présent partout dans le monde. Nulle part, il n’est donc étranger. Fort de cet enseignement, l’Africain situé sur le continent doit s’ancrer dans sa culture, s’instruire de son histoire, en demeurant ouvert au monde qu’il a contribué à former, et qu’il peut enrichir par sa sagesse plurimillénaire.

Repenser la démocratie, c’est la donner comme objet à nos réflexions. Ce don n’est pas un acte désintéressé, il ne répond pas au plaisir de connaitre pour connaitre. En procédant de cette manière, nous attendons des réflexions qu’elles nous livrent des savoirs qui nous permettent d’agir. En d’autres termes, nous attendons de l’examen des conceptions et pratiques démocratiques actuelles et anciennes qu’elle nous offre des repères et une vision capables de nous guider dans notre œuvre de construction démocratique.

Farmo M.

03 février 2018
Source : https://drfarmo.wordpress.com   / https://www.facebook.com/moumouni.farmo