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« L’Afrique n’a pas besoin d’aide, un système financier moins cynique lui suffirait »


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Dans un article récent consacré au rapport entre l’aide étrangère et les inégalités dans le monde, l’économiste Jason Hickel rappelle opportunément que, depuis 1980, le montant cumulé des flux issus des pays pauvres vers les pays industrialisés s’élève à environ 16,3 billions de dollars, soit approximativement le PIB des Etats-Unis !
Dictateurs et « donateurs »
La source de ces flux est triple. Premièrement, le remboursement des dettes. Selon la Banque mondiale, les pays pauvres paient environ 200 milliards de dollars par an en seuls intérêts financiers à des pays développés – un montant de loin supérieur à celui de « l’aide au développement ». Le comble est qu’une partie de ces sommes concerne parfois des stocks de dettes contractées il y a des décennies par des dictateurs complaisamment soutenus par nos généreux « donateurs ».
Deuxièmement, le rapatriement de profits par les multinationales occidentales qui opèrent dans nos pays – une pratique, rappelle Jason Hickel, qui s’est accélérée dans le sillage de la libéralisation des flux de capitaux au début des années 1980. Ces multinationales rapatrieraient environ 500 milliards de dollars chaque année, somme qui excéderait jusqu’au montant des investissements directs étrangers reçus par nos pays.
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Enfin, la fuite des capitaux. GFI estime que la seule falsification de factures commerciales, qui permet par exemple à des entreprises d’effectuer des transactions avec des filiales installées dans des paradis fiscaux, souvent via des sociétés intermédiaires, coûterait environ 700 milliards de dollars par an aux pays pauvres. Cette pratique frauduleuse aurait été encouragée par une mesure, décidée au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les années 1990, qui oblige les douaniers à considérer, lors de leurs contrôles, le montant facial des factures qui leur sont présentées.

Prédation des ressources
L’aide au développement a probablement contribué, ici et là, à alléger le fardeau de quelques pays africains ravagés par des conflits. Cela n’enlève rien à sa vocation politique initiale : « Je te donne, donc je te tiens. »
Mais l’aide est aussi un outil idéologique par lequel les pays industrialisés entretiennent subtilement l’idée, élaborée dans les années 1960 par l’économiste Walt Whitman Rostow, selon laquelle les pays africains sont responsables de la situation qui les accable. Sous cet angle, l’aide est un acte de générosité à l’endroit de pays qui n’ont pas été capables de s’aider eux-mêmes. Le but de la manœuvre est simple : détourner l’attention de la corruption du système commercial et financier qui organise – avec le concours actif d’élites locales indignes – le pillage légal de régions entières du monde.

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L’Afrique n’a pas besoin d’aide. Un système économique et financier moins cynique lui suffirait. Mais la partie s’annonce difficile : depuis la fin du XVIe siècle, début de l’internationalisation des échanges et du contrôle du système commercial mondial par des intérêts capitalistes occidentaux, la logique à l’œuvre est celle de la prédation des ressources des pays du Sud – notamment.

En mai, GFI a publié un nouveau rapport sur les flux financiers illicites qui échappent aux pays pauvres, sur la période 2005-2014. Ceux-ci ont crû en moyenne entre 8,5 % et 10,1 % par an sur la décennie, et 87 % de ces flux étaient constitués des fameuses surfacturations frauduleuses. Jusqu’à quand les Africains accepteront-ils une telle saignée sous le couvert de « l’aide au développement » ?
Yann Gwet est un essayiste camerounais.

24 octobre 2017
Source : http://www.lemonde.fr