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« L’Afrique peut devenir l’usine du monde à l’horizon 2050 »

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Les contraintes de l’industrialisation ne sont en fait toujours pas levées. L’hypertrophie des activités rentières, la faiblesse des institutions de gouvernance, le déficit d’infrastructures de réseaux, l’étroitesse et la forte segmentation des marchés découragent l’investissement et bloquent la diversification des économies. Les coûts de production et d’exportation sont en Afrique deux fois plus élevés qu’en Asie. L’histoire compte aussi. L’industrialisation, tardive et trop courte pour installer une base industrielle, a été brutalement interrompue par la crise de l’endettement et les sévères programmes d’ajustement structurel des années 1980.

Or 20 millions de nouveaux actifs arriveront chaque année sur le marché du travail au cours de la prochaine décennie. Les modèles de croissance fondés sur l’exploitation de ressources primaires ne sont pas soutenables. Une nouvelle ambition stratégique est nécessaire.

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Tout d’abord, les pays émergents (ou « émergés ») pèseront davantage sur les nouvelles dynamiques de la mondialisation. La Chine – désormais première puissance économique mondiale – n’engage-t-elle pas à travers l’initiative One Belt One Road (la nouvelle Route de la soie) un plan Marshall pour l’Afrique ? Le financement massif d’infrastructures et des prises de capital dans de grandes entreprises du continent relève d’une logique de redéploiement de l’industrie chinoise au-delà du continent asiatique.
Stimuler l’entrepreneuriat

Les surcapacités de production de la Chine et la hausse des salaires conduiront d’abord à la délocalisation des activités les plus intensives en facteur travail, notamment dans les pays qui bénéficient de préférences commerciales avec les pays de l’OCDE ou d’autres pays africains. Le Maroc, en signant un accord avec la Chine en mars pour accueillir 200 industries dans le nord du pays, a bien compris les gains qu’il pourrait tirer d’une double insertion dans l’espace européen et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao).

Ensuite, la contrainte climatique transformera à long terme les modes d’accès à l’énergie. A l’avenir, l’énergie sera moins d’origine fossile, davantage produite à proximité des lieux où elle sera consommée et peut-être moins coûteuse. En Afrique, le potentiel élevé des énergies renouvelables (notamment solaire, hydraulique et éolien) – s’il était réalisé – réduirait la dépendance énergétique tout en agissant positivement sur la compétitivité industrielle. De plus, l’émergence de classes moyennes encouragerait le développement d’industries de transformation pour répondre par des circuits courts aux marchés urbains en forte croissance. La transition écologique du continent devient, en ce sens, un levier de l’industrialisation.

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Enfin, la diffusion des progrès technologiques, plus récemment dans le numérique et l’intelligence artificielle, accélère la convergence des activités industrielles et de services. Des barrières à l’entrée sont encore accessibles pour stimuler l’entrepreneuriat dans des activités à forte valeur ajoutée. Des entreprises émergent en Afrique du Sud, au Nigeria et en Tunisie dans les secteurs de l’ingénierie informatique et de la robotique, malgré parfois un contexte politique et social heurté.

L’Afrique n’émergera pas en suivant le modèle de société postindustrielle défendu par certains économistes. Au contraire, grâce à une attractivité restaurée, à une main-d’œuvre qualifiée abondante, à un potentiel énergétique et technologique, la voie de l’industrie lui est ouverte. Alors, l’Afrique ne peut-elle devenir la nouvelle usine du monde en 2050 ?

Mihoub Mezouaghi est économiste à l’Agence française de développement (AFD).

10 octobre 2017
Source : http://www.lemonde.fr/