Lettre de la BCEAO aux Établissements de crédit : L’État nigérien serait-il insolvable ?
La correspondance a fait le tour des réseaux sociaux. Abondamment partagée, elle a suscité divers interrogations et commentaires de la part des Nigériens, inquiets sur les implications et les conséquences pour leur pays. Confrontés depuis de longs mois aux effets des sanctions économiques et financières imposées par la Cedeao, les Nigériens sont presque estomaqués en découvrant cette fameuse lettre de la Bceao. Une lettre datée du 3 avril 2025 dans laquelle l’institution financière souligne « qu’à compter du 15 avril 2025, il est mis fin aux mesures temporaires relatives au traitement comptable et prudentiel des expositions sur les titres publics de l’État du Niger prévues par l’avis n° 002-01 2024 du 22 janvier 2024 ». Que recouvre cette lettre hermétique aux non-initiés ? Dans le flot d’explications et d’interprétations, sur fond de spéculations diverses, Ibrahim Maiga, Consultant, a décortiqué les termes de la correspondance de la Bceao qui, souligne-t-il, comporte des conséquences multiples et diverses pour l'État du Niger et les banques de l'UEMOA. Dans une analyse postée sur les réseaux sociaux, l’intéressé explique qu’avec cette lettre de la Bceao, les titres de dette de l’État nigérien sur les marchés financiers régionaux seront considérés comme plus risqués. Ce qui, inévitablement, va conduire les banques et les privés en mesure d’acheter d’éventuels bons de trésor à se méfier. Dans le meilleur des cas, s’ils ne se rétractent pas, ils auront tendance à opposer à l’État nigérien des taux d'intérêt plus élevés sur les nouvelles émissions obligataires, rendant le financement plus coûteux. Ibrahim Maïga souligne ainsi que « les investisseurs, y compris les banques de l'UEMOA, pourraient être moins enclins à investir dans les titres nigériens en raison de la perception accrue du risque. Cela pourrait limiter la capacité du Niger à lever des fonds sur le marché régional ». Outre qu’elle retire sa garantie aux titres nigériens sur les marchés régionaux, la décision de la Bceao, explique Ibrahim Maïga, pourrait éventuellement aussi comporter une dépréciation des titres existants, c’est-à-dire que le reclassement du Niger dans la catégorie des entreprises privées pourrait entraîner une dépréciation de la valeur des titres de dette nigériens déjà détenus par les banques, ce qui pourrait affecter la solvabilité de l'État. Un coup dur qui n’est pas sans susciter des interrogations légitimes sur les motivations qui ont conduit la Bceao à lâcher le Niger à un moment aussi crucial de la vie nationale. La Bceao ne fait pas que mettre l’État nigérien et les banques primaires en sérieuses difficultés. Elle suggère aussi, sans le dire ouvertement, aux créanciers du Niger de ne plus faire confiance en des titres émis par Niamey. En dégageant désormais toute responsabilité quant aux levées de fonds du Niger sur les marchés régionaux, La Bceao met les autorités nigériennes en face de leurs choix. Face au colossal montant de la dette publique, estimée à 5200 milliards de francs Cfa, les autorités de la Transition ont plutôt misé sur le paiement de la dette extérieure au détriment de la dette intérieure, payée à compte-gouttes. Il faut sans doute s’interroger sur l’opportunité de la lettre de la Bceao qui ne peut ignorer les difficultés financières de l’État nigérien. Intervenant dans un contexte difficile, la lettre de la Bceao, expliquent certains experts, tombe comme un cheveu dans la soupe. Elle vient aggraver la situation de trésorerie déjà tendue de l’État qui peine, chaque mois, à faire face à ses dépenses de souveraineté. « Le mois d’avril en particulier risque d’être extrêmement difficile, de nombreuses échéances de dettes extérieures arrivant à terme », a indiqué un cadre du ministère des Finances sous anonymat. À croire que la Beceao a saisi cette période critique pour en rajouter. L’étouffement financier raté au début des sanctions de la Cedeao risque d’être réalisé aujourd’hui. Car, en reclassant le Niger dans la catégorie des entreprises privées, combiné à la levée des mesures temporaires, la Bceao crée une situation très difficile tant pour l'État du Niger que pour les banques de l'Uemoa, le premier risquant de voir son coût de financement augmenter et son accès au crédit se restreindre. Une situation qui ne pouvait qu’ajouter au désarroi des Nigériens. Si l’État n’est pas encore dans l’incapacité de payer, il tire toutefois la langue, épuisé par des pirouettes interminables pour joindre les deux bouts. Pourtant, malgré les conséquences fâcheuses éventuelles sur la vie de la nation, les autorités nigériennes n’ont pas encore claqué la langue à ce propos. En attendant d’en savoir davantage, les Nigériens se rongent à trouver une réponse à cette question : le Niger serait-il insolvable ?
Laboukoye (Le Courrier)