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Pipeline Export Niger-Bénin ‘’Les enjeux du projet de construction et d’exploitation du pipeline export Niger-Bénin‘’(suite et fin)

Lire également la première partie de l'article ‘’Les enjeux du projet de construction et d’exploitation du pipeline export Niger-Bénin‘’

Les aléas du partage de la rente pétro En Afrique, le secteur des hydrocarbures souffre d’une absence de stratégies claires et efficaces des gouvernements et est ainsi marqué par des dysfonctionnements graves dans la gestion (manque de transparence, corruption, collusion des responsables politiques avec les multinationales au détriment de leur propre pays, refus d’implication de l’expertise technique nationale,…), ainsi que l’asymétrie d’intérêts dans les accords de partenariats (à partir des contrats pétroliers très mal négociés,…). Dans un monde parfait, on peut s’attendre à un réel partenariat entre les pays producteurs et les compagnies étrangères invitées à exploiter les ressources pétrolières. Malheureusement dans le monde réel, ces compagnies sont les seules à disposer de tous les moyens techniques et financiers leur permettent de connaître le potentiel et la valeur exacte des gisements pétrolifères. Le comportement anticoncurrentiel de ces compagnies pétrolières étrangères se traduit par le désir de préserver l’asymétrie d’information afin de disposer et contrôler toute la production du pétrole. Et c’est justement au niveau de la phase de l’exploitation/ exportation, que le phénomène de la ‘’malédiction des ressources‘’ caractérise le plus l’impact négatif de l’exploitation des ressources extractives sur l’économie nationale. L’essentiel des triches, des vols et autres arnaques dont sont victimes les pays africains producteurs de pétrole s’opèrent à ce niveau (prix de transfert, gonflement des coûts pétroliers, détraquement des compteurs de contrôle, vols à l’embarquement des navires pétroliers, cargaisons fantômes, pipelines shuntés, extorsion des rentes de position, de qualité, etc…). Du fait du déficit d’information au niveau des pays producteurs, plusieurs cas de spoliation (qui causent des milliards de dollars de manque à gagner pour nos pays) dans le contexte du partage de la rente pétrolière sont observés. Cette asymétrie d’information porte sur les coûts opératoires (operating expenditure – OPEX) et le montant des investissements (capital expenditure – CAPEX), informations dont dispose la firme multinationale mais totalement ignorées par le pays hôte. Très loin d’être exhaustif (les mécanismes d’arnaques et de triches dans l’industrie pétrolière sont très nombreux et de plus en plus complexes et sophistiqués), citons le cas très fréquent de la surévaluation des coûts pétroliers (tous les pays africains, sans exclusive, en sont victimes dès le démarrage de leur exploitation pétrolière). Cette technique consiste à surévaluer exagérément les investissements (CAPEX) et les charges afin de les récupérer dans le Cost-oil au détriment du Profitoil de l’Etat. Cela s’observe par exemple dans le forage des puits de pétrole, où à l’absence de contrôle des techniciens nationaux, un puits d’une profondeur de 1800 mètres peut être comptabilisé et facturé à la valeur d’un puits de 2000 voire 2500 mètres (soit 300 à 500 mètres linéaires de surévalués). Quand on sait qu’un puits de pétrole peut coûter de 3 à 4 milliards FCFA et qu’il en faut une centaine pour justifier une exportation ; le préjudice financier au détriment du pays hôte est très considérable. Les pertes peuvent se chiffrer à ce niveau à plusieurs milliards de Dollars US. Il y a aussi les cas de mauvais calibrage des compteurs et celui du contrôle approximatif des chargements des navires (Rappelons qu’à partir de Cotonou, le pétrole du Niger va être exporté sur le marché international par voie maritime). Il est d’usage pour les compagnies pétrolières étrangères de détraquer délibérément les compteurs de contrôle de fluidité de pétrole brut afin de masquer la quantité réelle de pétrole écoulée. Ces compteurs sont placés à la tête du puits de pétrole, le long du parcours du pipeline (au niveau des différentes stations de pompage) et au terminal d’embarquement. Sur le compteur, il peut être indiqué par exemple que 100.000 barils de pétrole sont comptabilisés, alors qu’en réalité ce sont 150.000 voire 200.000 barils qui sont passés ; 50.000 à 100.000 barils (soit 50 à 100% de la production) sont ainsi frauduleusement subtilisés quotidiennement. Une autre triche (fréquente dans les pays d’Afrique Centrale producteurs/ exportateurs de pétrole) s’opère au moment du chargement des navires pétroliers (les techniciens et inspecteurs nationaux sont soit absents, soit n’ont pas été formé à détecter les différentes subtilités de vol, ou sont tout simplement corrompus par les sociétés pétrolières opératrices). La triche sur la qualité de pétrole brut est aussi fréquente ; un différentiel de prix de quelques cents (Dollar US) par baril peut faire perdre à l’Etat des millions de dollars. Ce sont là quelques subtilités (parmi tant d’autres) du partage de la galette comme aiment à le dire les congolais. La mise en formation des cadres nationaux, l’implication effective de la société nationale d’hydrocarbures, la mise à l’écart des politiciens ‘’professionnels‘’ et techniquement analphabètes et l’assermentation des techniciens et inspecteurs nationaux permettent de réduire considérablement les pertes et les manques à gagner des Etats. Les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux dotés de leur propre compagnie pétrolière – opératrice (c’est le cas de l’Arabie Saoudite avec ARAMCO, les Emirats Arabes Unis avec ADNOC, ou le Koweït avec KPC). L’on est souvent surpris de voir des populations des pays qui produisent et exportent des millions de barils par jour, vivre dans un total dénuement. Aussi, on observe que dans certains pays africains, les recettes pétrolières représentent plus de 90% des exportations (en valeur), plus de 80% des recettes budgétaires de l’État et les 3/4 du PIB, chiffres variables d’une année sur l’autre en fonction des évolutions des prix du brut sur le marché international. Or, cette dépendance envers les recettes pétrolières, outre qu’elle accentue les luttes internes pour le pouvoir, a des conséquences extrêmement négatives, en termes d’abandon des secteurs productifs (agriculture, élevage,…) et sociaux essentiels (éducation, santé, hydraulique,…) qu’en termes de gouvernance (corruption endémique et faillite des structures étatiques en dehors de celles dédiées à la captation de la rente) et, par extension, en termes de stabilité sociale. Ces tares ont des répercussions aux plans économique et social en termes de déstructuration de l’économie et d’exacerbation de la pauvreté. Aussi, cette ressource traduit la corrélation négative entre la croissance économique du pays et son abondance. En effet, il a été démontré qu’entre 1970 et 1993, les pays pauvres en ressources (sans pétrole) se sont développés quatre (4) fois plus rapidement que ceux riches en ressources (avec le pétrole) – et cela en dépit du fait qu’ils avaient un taux d’épargne moitié moindre. Ainsi, plus la dépendance envers les ressources d’exportation est grande, pires sont les résultats macroéconomiques. Aussi, le pétrole est présenté comme porteur de malheur dans les pays qui le produisent, puisqu’il engendre le ‘’fait princier‘’ (en effet, dans nombre de pays africains, certains dirigeants caressant des desseins dynastiques prennent goût aux prébendes au point de se considérer comme des ‘’ayants-droit‘’ ou héritiers (leurs enfants) sur les richesses nationales) et le ‘’syndrome hollandais‘’. Issues du monde des économistes et très prisées dans les milieux académiques anglo-saxons, les théories du ‘’syndrome hollandais‘’ (Dutch disease), de la ‘’malédiction du pétrole‘’ (oil curse), du ‘’paradoxe de l’abondance‘’, de l‘’indigestion économique‘’, de l‘’excrément du diable‘’ (étiquettes régulièrement collées, à juste titre d’ailleurs, aux africains subsahariens en raison de leur scandaleuse gouvernance des ressources du sous-sol),… sont significatives de l’approche d’une soit disant ‘’démocratie pétrolière‘’ aujourd’hui à la mode en Afrique. En effet, le phénomène de ‘’malédiction des ressources‘’ ou plus précisément ‘’malédiction du pétrole‘’ n’est ni une école, ni une théorie ; il désigne des situations dans lesquelles l’importance des ressources pétrolières, dans des États aux institutions (Assemblée nationale, Conseil économique et social, Cour des comptes, Autorité de lutte contre la corruption,…) fragiles se rapporte à un ensemble complexe de facteurs politiques, économiques, sociaux, environnementaux, etc… présent dans ces pays et qui seraient la cause de nombreux maux (pauvreté endémique, chômage, violence, conflits sociaux, conflits armés…) ...Allah day ya kiyaye !

Par M. Mahaman Laouan Gaya, Ancien Ministre, ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO)