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Le Niger précurseur du projet de zone monétaire unique (ZMU) : Youssouf MAYAKI, Ph.D., Economiste se prononce

«Le Niger est le précurseur de ce projet de zone monétaire unique (ZMU) et aurait pu jouer un rôle de leader du moins sur le plan intellectuel si les dirigeants de la période post Conférence Nationale avaient eu le courage et la perspicacité de leurs prédécesseurs pour aborder les sujets qui fâchent : la monnaie et les mines.»le 19 juin 2021 à Accra, au cours de la 59ème session, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a décidé du report de l’avènement de la monnaie unique de la CEDEAO à l’horizon…. 2027 ! Cette nouvelle annonce intervient après plusieurs péripéties et reports depuis 1980 jusqu’à ce 16 janvier 2020 où le Conseil de Convergence de la zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest a fustigé l’annonce du Chef d’Etat ivoirien, Alassane Ouattara et son homologue français Emmanuel Macron au motif qu’elle « n’est pas conforme avec la Décision de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO d’adopter l’ECO comme nom d’une monnaie unique indépendante de la CEDEAO ». Ce nième report montre la difficulté de réalisation de ce projet qui fait l’unanimité au sein des opinions publiques africaines chauffées à blanc par tous les débats houleux et passionnés sur le franc CFA. Les principaux animateurs les plus médiatisés de cette controverse sont Kémi Séba, le révolté, porte-parole autoproclamé des critiques radicaux et Kako Nabupko, le modéré, représentant l’aile réformatrice et proche de l’establishment de l’UMOA récemment désigné Commissaire de l’UEMOA pour le Togo. C’est dans ce contexte que nous avons jugé utile de remettre à la disposition des lecteurs, cette interview de l’économiste Youssouf MAYAKI ; un véritable éclairage sur la question qui s’avère prémonitoire. Pour rappel, cet entretien est déjà paru dans le journal L’Actualité numéro 486 du 14 janvier 2019.

Youssouf Mayaki, Ph.D. Economiste, spécialiste en monnaie et finance, a récemment accordé une interview exclusive au studio ‘Kalangou’ ayant un réseau de plus de trente radios relais. Dans cet entretien, il aborde de long en large la question de la zone monétaire unique.

Les Chefs d’Etat de la CEDEAO se sont réunis récemment à Accra pour décider de la création d’une monnaie unique à l’horizon 2021 qu’en pensez-vous ?

Espérons que cette fois sera la bonne. Parce que je ne sais plus à combien de reports nous sommes depuis le début des années 1990 où j’étais membre du Comité des Experts de la CEDEAO pour la création d’une zone monétaire unique (ZMU).

Quels sont les avantages et les inconvénients d’une union monétaire ?

Il y a beaucoup d’avantages. Mais aussi des inconvénients. Parmi les avantages, il y a la réduction de l’incertitude concernant les fluctuations de taux de change entre les monnaies nationales ; la possibilité pour chaque pays d’utiliser les réserves communes comme coussin pour absorber les chocs externes ; et la réalisation d’économies substantielles car sont éliminés les coûts de transaction, d’information et de négociation associés à l’existence de plusieurs monnaies. Ceux-ci avec d’autres concourent à la longue à une intégration économique et donc une augmentation du commerce international des biens, services et facteurs. D’où finalement une augmentation du bien-être des résidents des pays membres de l’union. Mais l’appartenance à une union monétaire implique la perte d’autonomie dans la conduite de la politique monétaire. Une détérioration possible de l’arbitrage inflation-chômage et un accroissement des disparités régionales. A ces coûts économiques s’ajoutent pour certains peuples des complications d’ordre psychologique : la monnaie étant perçue comme un attribut de la souveraineté nationale.

Quand on met les avantages et les inconvénients dans une même balance, lequel va peser le plus ?

Les économistes arrivent à démontrer que nonobstant ces inconvénients il y a un avantage net à être dans une union monétaire avec une monnaie unique. L’union faisant la force selon l’adage populaire. Pourtant, on dénombre peu d’unions monétaires véritables dans le monde avec une banque centrale émettant une monnaie commune. En réalité, la difficulté vient du fait que les avantages sont potentiels alors que les coûts, eux, sont effectifs. Par exemple la perte de politiques monétaire et fiscale est évidente alors que l’augmentation des échanges va dépendre d’autres facteurs. Il est très difficile d’évaluer ce genre de situation : des avantages aléatoires versus des inconvénients certains.

Que deviendra le franc CFA ?

Il mourra de sa belle mort. Comme les autres monnaies domestiques des autres pays. Car, il s’agit bel et bien d’une union monétaire avec monnaie unique et non monnaie commune. Dans ce cas, les pays abandonnent leurs signes monétaires respectifs alors que dans le second cas, chacun garde sa monnaie mais tous reconnaissent un signe monétaire pour les transactions.

Justement, est-ce que le Nigeria et le Ghana vont facilement abandonner leur monnaie ?

Habitués à gérer leur monnaie, il est vrai qu’il ne sera pas aisé pour eux de déléguer cette prérogative à d’autres fût-ce une institution supranationale incarnant l’intérêt de tous. Sans compter le problème du fétichisme de la monnaie qui consiste à attribuer à la monnaie des vertus miraculeuses mais surtout d’en faire un attribut de la souveraineté nationale. Il faut savoir que la priorité des priorités pour les autorités d’un pays nouvellement indépendant c’est de lui pourvoir un drapeau, un hymne et……une monnaie. C’est pour cela qu’à mon avis les débats passionnés sur le franc CFA sont surannés puisqu’au niveau de la CEDEAO on est dans une phase de recherche d’une solution alternative plus optimale et non de faire un bilan critique  de la Zone Franc. D’ailleurs dans le genre, il est difficile de faire mieux que l’économiste Joseph Tchundjang Pouemi auteur de ‘Monnaie, Servitude et Liberté : la répression monétaire de l’Afrique’.

Quelle est l’attitude des pays qui sont en avance dans l’intégration monétaire comme le Niger ?

C’est difficile à dire. D’un côté, ils ont toutes les raisons d’être enthousiastes puisqu’eux connaissent mieux les contraintes et avantages de la coopération monétaire. De l’autre, ils appréhendent la perspective d’accueillir de nouveaux pour des raisons de pouvoir et de redistribution des cartes. Bref, on est là en pleine géopolitique des aires monétaires.

Quelle doit être la place du Niger dans le concert des pays membres de la CEDEAO quant à l’élaboration et la mise en place de cette monnaie unique ?

Le Niger devrait occuper une place importante dans l’histoire monétaire de la Zone Franc et la construction monétaire de l’Afrique. Vous serez surpris d’apprendre que le Niger a été à l’avant-garde de la réflexion sur les réformes de la Zone Franc et l’intégration monétaire en Afrique. Il y a quelques semaines le célèbre économiste Samir Amin révéla sur RFI qu’en 1969 le Président Diori Hamani lui avait demandé de réfléchir sur les réformes à apporter au sein de la Zone Franc. Mais, dit-il cela a été mal interprété par les autorités françaises de l’époque qui ont réagi violemment. Pompidou n’a pas pu dissimuler son irritation lors d’une visite officielle au Togo en 1973 quand le Président Gnassingbé Eyadéma a soulevé, lui aussi, la question. C’est ce genre de comportement qui rend suspecte cette coopération et contribue à polluer le débat sur le franc CFA. Loin d’être intimidé, le Président Diori Hamani fit appel à l’expertise canadienne et c’est dans ce cadre que son ami le Premier ministre canadien Pierre Elliot-Trudeau lui envoya un des meilleurs économistes canadiens et plus tard du monde. Et c’est en tant que Conseiller du Président Diori Hamani que le Professeur Rodrigue Tremblay, mon futur Directeur de thèse,  suggéra à ce dernier de créer la BOAD afin de recycler les réserves détenues sur le marché financier français par nos pays dans le financement du développement. Puis il organisa, en 1972, un colloque historique à l’Université de Montréal sur le thème ‘Afrique et Intégration monétaire’ qui réunit les meilleurs spécialistes du monde et parmi lesquels Robert Mundell, Professeur à l’Université de Chicago, le fief du monétarisme, inventeur de la théorie des zones monétaires optimales avec son fameux article devenu incontournable : ‘A Theory of Optimum Currency Areas’ et futur Prix Nobel. Ceci pour dire que le Niger est le précurseur de ce projet de zone monétaire unique (ZMU) et aurait pu jouer un rôle de leader du moins sur le plan intellectuel si les dirigeants de la période post Conférence Nationale avaient eu le courage et la perspicacité de leurs prédécesseurs pour aborder les sujets qui fâchent : la monnaie et les mines. 

Quels sont les enjeux de cette monnaie unique pour les pays membres de l’UMOA ?

Les enjeux sont énormes et incertains. En effet, il faut régler le problème de leadership. Nous avons la chance que le pays qui peut jouer ce rôle n’a pas de concurrent dans la zone mais en plus il peut assurer même au niveau du continent. C’est le Nigeria. Et tout ce qui se fait en Afrique sans ce pays est voué à l’échec.

Maintenant, il faut que les gens soient de bonne foi. On a comme l’impression que, loin d’être un catalyseur dans le processus d’intégration monétaire, l’UMOA est en réalité un frein. Une union monétaire ne peut fonctionner à long terme sans union politique selon le principe énoncé par Milton Friedman, le chef de file de l’école de Chicago et Prix Nobel. Peut-être que c’est ce qui inquiète certains dirigeants africains qui, pourtant, «acceptent» le leadership de l’ancienne puissance coloniale pour des raisons historiques. Il reviendra à chacun des pays de faire prévaloir son orientation en matière de politique monétaire qui sera prise en compte en fonction de son poids économique, de la pertinence de ses arguments et du brio avec lesquels ils sont présentés.

Quel est votre mot de la fin ?

Je voudrai terminer cet entretien par une digression, si vous permettez, qui en vaut la peine : rendre hommage aux Chefs d’Etat Diori Hamani, Seyni Kountché et Ali Seybou, grands patriotes nigériens et véritables hommes d’Etat, tous disparus aujourd’hui (Qu’Allah le Tout Puissant les accueille dans son Paradis éternel) pour leur contribution décisive dans le maintien de la paix sociale, la sauvegarde de l’unité nationale, la lutte contre le sous-développement et pour une croissance économique équitablement repartie. Aux Grands Hommes, la patrie [doit être] reconnaissante. Ma modeste personne plus que quiconque pour avoir bénéficié de leur politique de formation et de valorisation d’une élite capable de défendre les intérêts du Niger et de l’Afrique partout dans le monde. Dans ce registre, le premier m’a envoyé étudier en France avec une bourse d’excellence de la CEE ; le deuxième m’a permis de continuer au Canada avec un financement exceptionnel de l’ACDI ;  et enfin le troisième m’a immédiatement confié des responsabilités dans ma spécialité (Monnaie et Finances) au ministère des Finances et désigné comme expert pour le projet de zone monétaire unique des pays membres de la CEDEAO en 1990. Ceci en dehors de tout discours démagogique sur l’adéquation profil/poste ou la méritocratie et toutes autres considérations oiseuses. « Sanô ban » ! Comme diraient mes cousins sonrhai…

Transcrit par Maharou Habou