Skip to main content

Réflexions/L’’épidémie de Covid-19 : Une mondialisation à double vitesse

L’’épidémie de Covid-19 vient nous rappeler que nous vivons, que nous le voulions ou non, dans un monde interconnecté. Nos frontières sont poreuses, plus proches de la membrane vivante que du mur en dur.», écrit Michaël Marder, un philosophe et observateur avisé des questions internationales, éminent universitaire canadien.

La fin de la guerre froide entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, le triomphe progressif des principes démocratiques dans le monde et l’apogée de l’ère numérique ont sans doute été à l’avant-garde de l’avènement de ce que l’on appelle aujourd’hui la mondialisation ou la globalisation, la terminologie important peu devant le contenu du concept. Les idées de l’économie de marché professées depuis le XIXème par l’économiste anglais, Adam Smith, et ses épigones historiques, ont, semble-t-il, trouvé leur point d’achèvement dans le taylorisme et le fordisme qui devaient jeter les jalons futurs de la société de consommation qui caractérise aujourd’hui le dogme libéral auquel a adhéré l’Occident dans bon nombre de pays qui le composent.

Abandonnant l’héritage extraordinaire des Lumières, c’est-à-dire la primauté de l’humanisme et l’universalisme de la Raison, la civilisation occidentale, sans doute imbue de sa supériorité technique et technologique, a cru trouver son salut dans ce que certains penseurs ont appelé le matérialisme historique, c’est-à-dire le primat de la matière sur l’esprit, bref la condition matérielle de l’homme comme seul déterminisme de son être. C’est alors le début du triomphe de l’économisme, mieux du consumérisme, la nouvelle religion des temps modernes, la mort de Dieu étant actée depuis longtemps, les religions traditionnelles étant devenues de simples vestiges d’un monde de la transcendance de Dieu à jamais révolu. Partout, on proclame, on loue, on vante les mérites de ce nouveau monde, ce monde globalisé, devenu une sorte de village planétaire grâce à un dense réseau de connexion où les échanges entre les quatre coins de la planète se déroulent à un rythme vertigineux. C’est désormais plus à un monde virtuel que l’on a affaire qu’à un monde réel, toutes les frontières physiques étant abolies, l’immatériel prenant le dessus sur le concret.

Cependant, très tôt, la désillusion suprême ne tardera pas à surgir, la mondialisation dans sa forme actuelle étant loin de constituer cette panacée universelle que ses promoteurs ont voulu lui attribuer. Au final, la mondialisation n’aura été qu’une grande mystification, vite découverte comme telle à l’épreuve des nouveaux défis et enjeux contemporains auxquels fait face aujourd’hui l’humanité. En premier lieu, il conviendrait de souligner que la mondialisation dans sa version actuelle n’est qu’une mondialisation des échanges et non une mondialisation de la condition humaine. Il s’agissait en effet de soumettre la planète entière au diktat de l’économie de marché qui signifiait libre accès pour les pays du Nord aux marchés des pays du Sud, et également libre accès pour ceux-ci aux ressources naturelles de ceux-là !

Pendant que l’on prônait à tuetête la mondialisation des échanges, au moment où l’on en vantait les mérites, on voyait aussi les égoïsmes étatiques s’élever avec le durcissement des législations nationales ou communautaires en matière d’immigration, montrant ainsi le caractère unidimensionnel de la mondialisation ou une mondialisation à un sens unique, pour parler simplement. Le cas de l’Afrique et de l’Europe, ainsi que celui de l’Amérique du Sud et du Centre avec l’Amérique du Nord, sont la parfaite illustration de cette mondialisation à double vitesse. Les drames humains liés à l’immigration ont cessé depuis belles lurettes de déranger la bonne conscience de la Communauté internationale. Or, lorsqu’il s’agit pour les Etats du Nord d’accéder aux marchés, aux matières premières et aux capitaux des Etats du Sud, l’on fait à cet effet prévaloir les principes de la mondialisation. Mais, quand il est question d’immigration, de transfert de technologies ou d’aide au développement envers les pays du Sud, la donne change, la réciprocité ne jouant jamais en la matière !

Aujourd’hui, la propagation de la pandémie Covid-19 vient apporter une preuve supplémentaire de cette mondialisation tronquée, biaisée, dans la mesure où, une fois encore, les Etats du Sud sont les victimes collatérales d’une pandémie qui ne trouve pas ses origines sur leurs terres, mais qui est apparue ailleurs dans le monde (Chine), et qui a trouvé son terrain de prédilection en Occident (Europe, Amérique). Pandémie pour pandémie, rappelons-nous, lorsque le virus Ebola faisait des hécatombes sur le continent africain, il y a de cela quelques années, les pays occidentaux avaient ‘’oublié’’, justement, la mondialisation en fermant systématiquement leurs frontières aux ressortissants des pays touchés par le fléau. Pourtant, de nos jours, étant un des épicentres de la Covid-19, les pays occidentaux ne se sont pas abstenus de venir dans les pays du Sud jusqu’à ce que, face à l’aggravation de la situation, les autorités de ces pays-là décident de la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes de leurs territoires.

Mais, le mal était déjà fait, les contacts étroits entre le continent africain et l’Europe avaient déjà constitué, sans doute, les facteurs de risques importants de propagation de la pandémie dans les pays africains. L’Occident a beau afficher sa suffisance matérielle et technologique, la réalité prouve que c’est l’Occident qui a apporté ou mieux exporté dans ses cargaisons maritimes et aériennes le virus mortel de la COVID 19, tout comme ils sont à l’origine dub réchauffement climatique à cause de leur grande émission de CO2. . Cela prouve à profusion que l’Occident reste encore tributaire des pays du Sud et son inclinaison actuelle à l’auto-centrisme n’est, en fin de compte, que la manifestation du triomphe du consumérisme sur l’humanisme.

Comme on le voit, un constat se dégage : face à tous les périls contemporains (terrorisme, réchauffement climatique, Covid- 19), l’Afrique apparaît comme une victime innocente et demeure le seul continent vulnérable pour les raisons que l’on sait. Ainsi, lorsque les calamités naissent sur ce continent, celui-ci est très souvent seul à en souffrir silencieusement et stoïquement, dans l’indifférence générale d’une mondialisation qui a plus d’autres chats à fouetter qu’à s’intéresser à la misère du monde.

Voilà la grande mystification à laquelle aura abouti la mondialisation actuelle, qui devrait, aujourd’hui, être repensée dans ses fondements et dans ses finalités ! L’apparition et la propagation de la pandémie de Covid-19 viennent rappeler à l’humanité entière sa condition de mortelle qui est sa destinée inéluctable, et l’arracher ainsi à cette vaine prétention en la continuité de son espèce sans une véritable solidarité entre tous les hommes de la planète, indistinctement des différenciations physiques des uns et des autres ! L’humanité est et demeure, n’en déplaise aux nationalismes et autres égoïsmes primaires, une seule et unique famille, une chaîne de solidarité ininterrompue depuis le processus d’hominisation jusqu’à la fin des temps. L’apparition et la propagation de la pandémie de la Covid-19 pourraient être, à ce sujet, comme une sorte de piqûre de rappel de cette vérité intangible !

Par Ayouba Karimou, CT/DG-ONEP

26 août 2021
Source : http://www.lesahel.org/