Commentaire de l’article 47 de la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010 : Par Maître Bachirou AMADOU ADAMOU
Avertissement : Ce texte est tiré du manuscrit d’un ouvrage à paraitre instamment et qui porte sur le commentaire de l’ensemble de la Constitution article par article. La publication de cet article choisi tient à la nécessité de prévenir les conséquences d’un débat politique naissant et qui prend quotidiennement de l’ampleur. Ce débat mérite que l’on s’y attarde tant il semble occuper l’opinion publique nationale.
A cet effet, le but principal de cette réflexion purement analytique, est de mettre en lumière le contentieux de l’éligibilité de l’élection présidentielle tel qu’il est consacré par le constituant nigérien.
Le sujet est d’un intérêt certain au regard des questions qu’il suscite notamment, celles relatives aux contentieux de l’éligibilité à l’élection présidentielle. Au regard des passions qu’elles suscitent, il est de bon ton qu’une réflexion soit menée sur les dispositions de la Constitution et dans le cas d’espèce, sur son article 47 dans sa version consolidée par la loi n° 2017-50 du 06 juin 2017 qui dispose que :
« - Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (5) ans, renouvelable une (1) seule fois.
En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux (2) mandats présidentiels ou proroger le mandat pour quelque motif que ce soit.
Sont éligibles à la Présidence de la République, les Nigériens des deux (2) sexes, de nationalité d’origine, âgés de trente-cinq (35) ans au moins au jour du dépôt du dossier, jouissant de leurs droits civils et politiques.
Nul n’est éligible à la Présidence de la République s’il ne jouit d’un bon état de santé physique et mental, ainsi que d’une bonne moralité attestée par les services compétents.
La loi précise les conditions d’éligibilité, de présentation des candidatures, de déroulement du scrutin, de dépouillement et de proclamation des résultats.
La Cour constitutionnelle contrôle la régularité de ces opérations et en proclame les résultats définitifs. »
Cet article pose, outre les conditions de l’élection du président de la République et la durée de son mandat, les conditions subjectives de l’éligibilité aux fonctions de Président de la République. Dans le cadre de cette réflexion, la question de l’éligibilité, en tant qu’aptitude à être élu, d’un candidat doit être vérifiée avant l’élection
Les conditions subjectives de l’éligibilité à l’élection présidentielle comprennent, entre autres, des prescriptions relatives à la nationalité, à l’âge, à la jouissance des droits civils et politiques et des facultés mentales et à la moralité du candidat. Le traitement de ces questions est parfois source de graves conflits et traduit parfois des difficultés de construction des nations démocratiques[1]. Nous axerons donc notre réflexion sur deux points majeurs de l’éligibilité : l’état civil (I) et la capacité juridique (II).
- L’éligibilité tenant à l’état civil:
Le constituant exige du citoyen candidat qu’il satisfasse à un certain nombre de conditions pour accéder à la plus haute fonction de l’Etat. Les conditions liées à la nationalité (A) et à l’âge (B) constituent les exigences préalables à l’éligibilité définies par le constituant de 2010 et dont la méconnaissance entraine une inéligibilité du candidat.
A. La nationalité comme condition première de l’éligibilité
Pour le constituant nigérien, le candidat à l’élection présidentielle, contrairement aux autres élections, doit être de nationalité nigérienne d’origine. Cette condition se justifie par le fait que la fonction présidentielle est la plus haute fonction de l’Etat et par les prérogatives qu’elle consacre. Le Président de la République est le chef de l’Etat, il est le chef de l’Exécutif, chef suprême des armées et magistrat suprême. Au regard de toutes ces prérogatives, il exerce une fonction qui le conduit à prendre des grandes décisions qui engagent l’Etat, c’est tout naturellement que le constituant a réservé l’exercice de cette fonction aux seuls nigériens. Pour éviter toute interprétation subjective et lever tout équivoque, le constituant a pris le soin de préciser que la nationalité du candidat à l’élection présidentielle doit être une nationalité d’origine, c’est-à-dire une nationalité d’attribution (différente de la nationalité d’acquisition) en raison soit de la naissance au Niger soit de la filiation.
S’il est permis de regretter que le Constituant n’ait pas été plus rigoureux dans sa démarche en donnant lui-même la définition de la « nationalité d’origine », on doit en même temps constater que celle-ci n’est pas le fruit d’une formule évasive, elliptique ou banale, énoncée au passage, et que l’on pourrait en conséquence considérer comme une clause de style secondaire et à tout dire négligeable[2]. On retrouve souvent la formule, dans les mêmes termes dans presque toutes les Constitutions. Le difficile débat auquel donne lieu sa compréhension actuellement, traduisent bien, au contraire, la volonté de garantir le rapport de confiance qui doit exister entre le futur Président de la République et le peuple, en faisant de la nationalité d’origine un des gages de la confiance et un des attributs de la loyauté du futur Président envers le peuple et sa fidélité à la Nation.
La question de la nationalité nigérienne est régie par l’ordonnance n°84-33 du 23 août 1984 portant code de la nationalité nigérienne modifiée par l’ordonnance n°88-13 du 18 février 1988 et l’ordonnance n°99-17 du 4 juin 1999 et son décret d’application n°84-132/PCMS/MJ du 23 août 1984 modifié par le décret n°88-58/PCMS/MJ du 18 février 1988.
Depuis 2014, une loi n°2014-60 du 05 novembre 2014 est venue modifiée certaines dispositions de cette ordonnance.
La notion de nationalité d’origine a été consacrée par l’Ordonnance du 23 août 1984 portant code de la nationalité nigérienne qui a opéré une distinction entre la nationalité par attribution et la nationalité par acquisition. Ainsi, conformément au Titre I de l’Ordonnance, la nationalité nigérienne à titre de nationalité d’origine s’acquiert en raison soit de la naissance au Niger (chapitre 2) soit de la filiation (Chapitre 3).
Les articles 8, 9 et 10 de l’Ordonnance du 23 août 1984 attribuent la nationalité nigérienne à titre de nationalité d’origine à : « tout individu né au Niger d’un ascendant direct au premier degré qui y est lui-même né » ; « l’enfant né au Niger de parent inconnus (…) jusqu’à sa majorité » ou encore « l’enfant nouveau-né trouvé au Niger jusqu’à preuve de contraire ».
Conformément à l’article 11 de l’Ordonnance n°99-17 du 4 juin 1999 modifiant l’Ordonnance du 23 août 1984, la nationalité nigérienne à titre de nationalité d’origine est aussi attribuée par filiation à « l’enfant légitime né d’un père nigérien ou d’une mère nigérienne » et « l’enfant naturel, lorsque le père ou la mère à l’égard duquel la filiation est établie est nigérien ».
Quant au titre II de l’Ordonnance, il consacre les modalités d’acquisition de la nationalité nigérienne, différente de la nationalité d’origine prévue au Titre I. Ainsi, la nationalité nigérienne peut être acquise par mariage, par adoption ou par décret de naturalisation.
On distingue traditionnellement trois aspects dans la nationalité nigérienne à titre de nationalité d’origine. La nationalité nigérienne à titre de nationalité d’origine est définie comme une nationalité par attribution en raison soit de la naissance au Niger d’un parent biologique qui y est lui-même né ; soit de la filiation au profit de l’enfant né dans les relations du mariage ou non et dont il est établi qu’au moins l’un des deux parents biologiques est nigérien.
En intégrant la nationalité nigérienne d’origine parmi les conditions d’éligibilité à la fonction présidentielle, le constituant a entendu limiter l’exercice de la haute fonction de l’Etat à une catégorie de citoyens, en excluant ainsi les personnes ayant acquis la nationalité par mariage, par adoption ou par naturalisation. Mais ce qu’il convient surtout de retenir, c’est que le choix de la nationalité d’origine dans le présent article, exclut d’office la catégorie d’individus nés au Niger d’un parent ayant acquis la nationalité sans y être lui-même né nigérien ; ou celui dont le parent a acquis la nationalité par naturalisation ou dans les conditions prévues au titre II de l’ordonnance, c’est-à-dire, par mariage ou adoption.
Toutefois, cette limitation est exclusive à la seule élection présidentielle. Pour les autres fonctions électives, la seule condition limitative est celle relative à la durée de l’acquisition de la nationalité par naturalisation.
Conformément à l’article 28 de la loi du 05 novembre 2014, l’individu ayant acquis la nationalité nigérienne par naturalisation ne pourra, « pendant un délai de 10 ans, à partir du décret de naturalisation, être investi de fonction ou de mandats électifs pour l’exercice desquels la qualité de nigérien est requis ». Le même article prévoit que l’individu ayant acquis la nationalité par naturalisation, ne pourra, « pendant un délai de 5 ans à partir du décret de naturalisation, être nommé dans la fonction publique nigérienne ou nommé titulaire d’un office ministériel ». Toutefois, en ce qui concerne la nomination à la fonction publique, cette restriction n’est pas absolue et peut-être, dans certains cas, inapplicables. Il en est ainsi du naturalisé qui a rendu ou est susceptible de rendre au Niger, des services importants, ou dont la naturalisation présente pour le Niger, un intérêt exceptionnel. Il en est également de même du naturalisé dont l’Etat dont il était le ressortissant au moment de sa naturalisation accorde, par convention, sans restriction, aux nationaux nigériens, la possibilité d’exercer la fonction considérée. Dans ce dernier cas c’est la règle de réciprocité qui le commande.
La loi du 5 novembre 2014 a affecté le contentieux de la nationalité au juge judiciaire (article 43) dont la compétence en la matière est exclusive et constitue, devant les autres juridictions, une question préjudicielle qui oblige le juge, y compris le juge constitutionnel, juge du contentieux de l’élection présidentielle, à surseoir à statuer.
B. La condition de l’âge
Le candidat à l’élection présidentielle doit, outre la nationalité, être âgé de 35 ans au moins. Ce principe de limitation d’âge rompt ostensiblement avec le principe d’égalité des citoyens dans leurs droits. Rien ne semble d’ailleurs justifier une telle limitation d’âge qui était de 40 ans sous l’empire des Constitutions précédentes. La limite d’âge a été rabaissée à 35 ans en 2010, au cours des travaux préparatoires. Le Conseil consultatif national, assemblée constituante, chargée de l’adoption du projet de la Constitution n’a d’ailleurs jamais pu s’accorder sur la question. C’est de façon totalement aléatoire que le Président du Conseil consultatif, Monsieur Morou Amadou a alors choisi de mettre au vote de la plénière, la proposition faite par la commission des textes fondamentaux, de fixer une tranche d’âge comprise entre 35 ans minimum et 70 maximum pour les candidats à l’élection présidentielle. Mais, contre toute attente, l’Assemblée plénière n’a pas retenue de limite d’âge maximum. Cela s’explique sans doute par le fait que la plupart des leaders politiques de l’époque, qui sont les candidats potentiels, avait un peu plus de la soixantaine. Ce paradoxe est encore aujourd’hui difficilement justifiable, tant il est vrai qu’après 70 ans, généralement, l’être humain aura perdu une part importante de sa condition physique et de son dynamisme à produire des résultats efficaces alors qu’à 35 ans, l’être humain se trouve au summum de sa maturité et de sa forme, donc plus apte à servir efficacement la Nation.
Il est à se demander si par l’effet de cette limitation d’âge, cette disposition ne remet pas en cause l’article 24 de la présente Constitution qui prescrit à l’Etat l’obligation de protéger la jeunesse contre l’exploitation et l’abandon et de veiller à son épanouissement matériel et intellectuel.
A l’évidence, le contraste saisissant entre l’article 47 et l’article 24 de la Constitution pose la question de la hiérarchie des droits consacrés par la Constitution. La balance des intérêts en présence entre le droit d’éligibilité du citoyen âgé de moins de 35 ans et la protection de la fonction présidentielle pencherait inéluctablement vers le premier. C’est d’autant plus évident que par cette limitation, c’est toute la jeunesse qui se trouve déposséder de son droit d’éligibilité. Cela explique la pérennité de la gérontocratie dans notre pays où on attribue aujourd’hui encore, vraisemblablement à tort, une certaine sagesse aux personnes les plus âgées, que l’on considère mieux qualifiées pour occuper les plus hautes fonctions électives. Par la suite, on s’étonne que la jeunesse soit marginalisée, alors qu’on a créé sciemment les conditions de son sous-développement. Il y a tout intérêt à écarter cette limitation d’âge, en vertu du principe de l’égalité des citoyens, notamment l’égalité des électeurs tant dans l’expression de leur suffrage que dans leur prétention à se porter candidat à une élection, en ramenant l’âge limite à la majorité civile qui est de 21 ans.
Outre la condition de la nationalité d’origine et de l’âge, la capacité juridique est également déterminante parmi les conditions de l’éligibilité.
II. La Capacité juridique
Au sens de l’article 47 de la Constitution, la capacité tient tant à la jouissance des droits civils et politiques (A) qu’à la santé physique et mentale (B). Ainsi, l’inéligibilité d’un candidat peut être motivée par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales. Le candidat à l’élection présidentielle doit ainsi faire preuve de dignité morale et présenter un bon état général de santé. Cette condition raisonnable dans le principe, devient problématique dans l’hypothèse de son instrumentalisation pour écarter la candidature d’un concurrent sérieux ou gênant à la compétition[3].
A. La capacité tenant à la jouissance des droits civils et politiques
Tout citoyen est par principe titulaire de droit civils et politiques, jusqu’à preuve de contraire. Dès lors, en tant que sujet de droit, il a normalement vocation à les exercer, c’est-à-dire à les mettre en œuvre par lui-même. Mais dans certaines circonstances, l’on peut être privé de l’une ou de l’autre de ces aptitudes. Ainsi par exemple, un citoyen peut se voir refuser certains droits civils ou civiques. Il sera frappé d’une incapacité de jouissance dans l’hypothèse où ces droits lui seront refusés. Dans ces conditions, une incapacité de jouissance correspond à une véritable privation de droit notamment le droit d’être éligible en l’espèce et exclut d’office la capacité d’exercer. L’inéligibilité est la situation dans laquelle une personne est empêchée de se présenter à une élection ou encore celle qui s’oppose à la poursuite d’un mandat électif[4].
La déchéance des droits civiques entraîne donc l’inéligibilité du candidat. Se pose alors la question de la constitutionnalité de l’inéligibilité qui résulterait de plein droit d’une condamnation pénale.
Le législateur apporte des éléments de réponse à l’article 38 du Code pénal selon lequel la condamnation pénale entraine de plein droit la non-inscription sur la liste électorale ou la radiation de cette liste ainsi que l’inéligibilité. Toutefois, l’article 39 alinéa 2 du même code vient atténuer cette logique répressive en donnant ainsi au juge pénal, la possibilité de déroger au principe posé aux articles 38 et 39 alinéa 1.
En vertu du principe constitutionnel de l’individualisation de la sanction pénale, le code pénal a prévu à ses articles 21 et 25, des peines complémentaires à la peine principale et qui peuvent porter, entre autres, selon la matière, sur la dégradation civique ou l’interdiction partielle ou totale, pour une durée précise, des droits civiques, civils et de famille.
A la différence de la dégradation civique qui est prononcée en matière criminelle (art 19 du Code pénal), l’interdiction prononcée en matière correctionnelle (article 25 du Code pénal) constitue une peine complémentaire, c’est-à-dire une peine prononcée par le juge pénal, en complément de la peine principale, et qui pouvait être fragmentée par le juge.
Le débat a été compliqué par l’article 8 de la loi électorale du 14 août 2017 qui reprend la logique répressive des articles 38 et 39 du code pénal qui instituent, parallèlement à la peine complémentaire prévue aux articles 19 à 25 du code pénal, une peine accessoire automatique qui résulte de la condamnation sans que le juge n’ait à la prononcer. Cette logique répressive de l’article 8 de la loi électorale, répond à un impératif de moralisation de la vie politique, conduisant ainsi, pour préserver la qualité du corps électoral qui fait cruellement défaut, à l’institution de l’incapacité électorale en raison d’une condamnation judiciaire.
Selon cet article, par l’effet d’une condamnation, l’individu doit donc être regardé comme ayant été privée de ses droits civiques, bien que le juge pénal n’ait pas prononcé contre elle la peine complémentaire de l’interdiction des droits civiques. Cette conception maximaliste de la peine entraîne, à la fois, la perte de la qualité d’électeur et l’inéligibilité.
Il apparaît à l’évidence, que l’inéligibilité qu’instaure l’article 8 du code électoral avec les articles 38 et 39 du code pénal, constituent une sanction ayant le caractère d’une accusation en matière pénale alors même qu’elle n’était pas directement prononcée par le juge pénal et pouvait ainsi ressembler à ce qu’il est convenu d’appeler la peine accessoire automatique, c’est-à-dire celle qui résulte automatiquement de la condamnation, mais sans que le juge ait à la prononcer. Se pose alors la question relative à la conformité de cet article aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Il est de jurisprudence que le principe constitutionnel d’individualisation de la peine implique qu’elle soit prononcée par une juridiction de jugement et suppose une appréciation de la culpabilité[5]. Ce principe a également été consacré à l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui fait partie des textes de référence constitutionnelle intégrés dans le bloc de constitutionnalité. C’est ce que certains textes constitutionnels[6] ont qualifiés de « principe de nécessité ». La jurisprudence a par ailleurs déduit du principe de nécessité des peines une règle de prohibition des peines automatiques[7].
Ainsi, dans une situation comparable à celle de l’article 8 de la loi électorale nigérienne, le juge constitutionnel français, dans ses observations relatives aux élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997, a estimé que « la peine automatique d’inéligibilité prévue par [une loi électorale] appelle de sérieuses réserves au regard des principes de la nécessité des peines, des droits de la défense et du procès équitable. Cette disposition constitue en réalité une survivance sur le maintien de laquelle il est légitime de s’interroger ».
Mais c’est dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 qu’il a clairement posé le principe de la prohibition des peines accessoires automatiques, en affirmant que « l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce ».
Aux termes de cette jurisprudence, il a ainsi été jugé que « la radiation des listes électorales constitue une sanction ayant le caractère d’une punition. Cette peine est attachée de plein droit à diverses condamnations pénales sans que le juge qui décide de ces mesures ait à la prononcer expressément et sans qu’il puisse en faire varier la durée. Dès lors, cette peine accessoire, à la fois automatique et insusceptible d’être individualisée, méconnaît le principe d’individualisation des peines ». Cette décision a ainsi affirmé la valeur constitutionnelle du principe d’individualisation des peines, corollaire du principe du plein pouvoir de juridiction qui exclut les peines accessoires automatiques.
Dès lors, les caractéristiques de l’interdiction prévue par l’article 8 du code électoral et l’inéligibilité automatique, qu’elle implique emportent son inconstitutionnalité. La perte des droits civiques qui entraine la non-inscription ou la radiation de la liste électorale ainsi que l’inéligibilité ne peut résulter que d’une condamnation pénale prononcée par le juge et non d’une application de la loi électorale.
C’est également la position affirmée par le Conseil constitutionnel français dans sa décision
n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 en estimant que la peine en elle-même, qui trouvait à s’appliquer sans que le juge l’ait prononcée, méconnaissait le principe constitutionnel d’individualisation des peines. Le Conseil a jugé que ce principe implique que l’incapacité
« doit être prononcée par le juge en tenant compte des circonstances propres à l’espèce ».
S’il était inscrit dans la Constitution le principe selon lequel ne peuvent faire acte de candidature les personnes dont le casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour une infraction criminelle ou pour une infraction délictuelle, l’article 8 de la loi électorale n’aurait pas été incompatible à la Constitution. Mais à l’heure actuelle, les informations recherchées par le juge constitutionnel, par ailleurs juge électoral, lorsqu’il demande aux candidats à l’élection présidentielle, de produire leur casier judiciaire, se résument à la dégradation civique pouvant résulter d’une condamnation pénale pour crime ou l’interdiction des droits civiques, civils ou de famille, prononcée par un tribunal, pour une durée précise, résultant d’une condamnation pour infractions délictuelles.
Face à des dispositions législatives qu’il est chargé d’interpréter et dont l’application a pour effet d’exclure des postulants de la compétition pour la conquête et l’exercice du pouvoir, le juge invite au soutien de cet exercice, la hiérarchie des normes qui place la Constitution et les instruments juridiques internationaux au-dessus des lois.
B. La Capacité tenant à la santé et à la moralité du candidat
La fonction présidentielle est d’une importance telle qu’elle requiert, pour son exercice, un « bon état de santé physique et mental ». S’il ne fait aucun doute que la déficience mentale est un motif justifiable de l’inéligibilité, la question de l’état de santé physique mérite d’être discutée, tant celle-ci demeure « ambiguë ». En l’absence de définition précise, on peut légitimement s’interroger sur la situation du handicap physique d’un candidat, tel que par exemple, l’infirmité, la cécité, etc. Le cas ne s’est pas encore posé en jurisprudence. Toutefois, il serait difficilement concevable, au regard du principe d’égalité posé aux articles 8 et 10 de la Constitution et au principe de non-discrimination posé à l’article 26 de la Constitution, de déclarer l’inéligibilité d’un candidat en raison de son handicap, sauf à démontrer que l’intensité du handicap est telle qu’il lui sera impossible d’exercer la fonction, de sorte qu’il sera déclaré inapte au travail. Mais, le seul constat du handicap ne saurait suffire à le rendre inéligibilité. Autrement dit, la situation de handicap n’est pas incompatible avec la fonction de Président de la République.
En dernier lieu, figure la condition de la « bonne moralité ». Celle-ci doit être attestée par les services compétents. En pratique, elle donne lieu à une enquête de moralité des candidats à l’élection présidentielle par les services de la Direction de la Sureté du Territoire (DST). Toutefois, si la finalité recherchée est la probité des candidats, il serait bien plus efficace de se reporter au casier judicaire. Car, on ne saurait, là encore, sans méconnaître le principe de la légalité de l’infraction posé à l’article 18 de la Constitution et au principe de la présomption d’innocence garantit à l’article 20 de la Constitution, se fonder sur des seuls rapports d’enquête de police pour écarter des candidats à l’élection présidentielle tant l’enjeu est considérable. En effet, on imagine mal la Cour constitutionnelle se fonder, en l’absence de tout jugement, sur une enquête de police, pour déclarer l’invalidité d’une candidature. C’est pourquoi, pour éviter tout risque de crispations du jeu électoral, il conviendrait, de notre point de vue, de se reporter au casier judiciaire, pour vérifier la condamnation prononcée par un tribunal pour manquement à la probité et/ou aux bonnes mœurs, en lieu et place de l’enquête de moralité des services de police.
A la différence de nombreux Etats africains, la condition de la résidence ne figure pas parmi les conditions de candidature à l’élection présidentielle au Niger. Cela s’explique certainement par le fait que la diaspora est intégrée dans le corps électoral et considérée comme la neuvième région électorale du Niger.
Les précisions relatives aux conditions objectives d’éligibilité notamment, la présentation des candidatures, le déroulement du scrutin, le dépouillement et la proclamation des résultats sont renvoyées au domaine législatif, sous réserve de leur conformité à la Constitution.
Maitre Bachir, Docteur en Droit Public, Enseignant-chercheur,
Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches en Droit International et Communautaire --- CERDIC
[1] Léon Dié KASSABO, « Le Contentieux de l’élection présidentielle en Afrique », disponible sur la revue en ligne Afrixlex.
[2] Philippe ARDANT, « L’article 5 et la fonction présidentielle », op. cit., p. 39.
[3] Léon Dié KASSABO, « Le Contentieux de l’élection présidentielle en Afrique », op.cit.
[4] S. LAMOUREUX, « La disparition de la sanction automatique d’inéligibilité pour les comptables de fait : quel avenir pour la sanction électorale ? », Revue Française de Droit Constitutionnel, n°55, 2003/3, p.609
[5] Conseil constitutionnel français, Décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986, Loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance, cons. 3 et 23.
[6] L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée »
[7] Conseil constitutionnel français, Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 49.