La réforme monétaire est-elle sur la table des dirigeants de l’AES ? : Par Ali ZADA
Nombreux sont les citoyens de l’AES qui s’attendaient à ce que le premier sommet des Chefs d’Etats de la nouvelle confédération annonçât une sortie du FCFA pour les trois pays. Le communiqué qui a sanctionné les travaux n’a promis qu’une « banque d’investissement ». Cette institution pourrait donc naitre sous le FCFA, car en souveraineté monétaire, il n’y a pas mieux qu’une « banque centrale » pour promouvoir le développement. Donnons donc le temps au temps, les fers au feu de nos dirigeants étant nombreux. Félicitons-nous déjà des grandes victoires sur les hordes terroristes. Et félicitons-nous de l’engouement des populations de Niamey dont l’accueil sans précédent réservé aux héros Goita et Traoré témoigne d’une adhésion sans faille à la nouvelle union sahélienne.
Ceci dit, à mon humble avis, une réforme monétaire dans la doctrine économique néolibérale actuelle serait très risquée. Une nouvelle monnaie, soit-elle de l’AES ou nationale pour chaque pays, a besoin de baigner dans un environnement adéquat pour jouer son rôle de transformatrice de l’économie et se prémunir de la non collaboration du réseau bancaire en place depuis les indépendances
Je ne dis pas qu’une nouvelle monnaie a besoin de préalables de capacités agricoles et industrielles pour se lancer. Pour moi, le postulat du Dr Pouémi Tchundjang selon lequel « la monnaie précède la production », a valeur de dogme. C’est à la monnaie de développer l’agriculture et l’industrie et non l’inverse. Il faut donc très vite dépasser les leçons superficielles que les économistes de l’école néolibérale assènent au public en ne voyant en la monnaie que « unité de compte », « instrument d’échange » et « réserve de valeur ». Ces trois fonctions sont celles que l’école néolibérale veut que nous retenions de la monnaie, alors qu’elles ne représentent pas grand-chose dans la fonction d’une monnaie nationale. Echanger facilement est bien. Mais pour échanger il faut produire. La monnaie doit financer de la production. Ce n’est pas à la production de la justifier pour qu’elle soit.
Après cette controverse dogmatique il faut faire un tour d’horizon du dispositif institutionnel qui doit promouvoir et protéger la monnaie.
Beaucoup de pays africains ont leurs monnaies nationales, mais n’ont pas pu l’utiliser pour financer l’agriculture et l’industrie, leurs secteurs d’intérêt en matière économique. La raison en est que la création d’une simple banque centrale ne suffit pas pour diffuser la monnaie par le crédit aux ménages et aux entreprises. En effet, les circuits bancaires de tous nos pays sont dominés par des banques commerciales d’origine étrangère. Or, ces banques étrangères ne sont pas alignées aux politiques économiques et sociales gouvernementales appelant partout à la finance exclusive et au financement de l’agriculture et des initiatives privées artisanales, commerciales et industrielles. Ces banques financent ce qu’elles ont choisi de financer, autrement dit le commerce d’importation, l’immobilier, les véhicules de tourisme et les équipements domestiques sur des modèles d’affaires courts.
C’est dire que quand les banques de distribution du crédit ne s’intéressent pas prioritairement à l’agriculture et à l’industrie, la monnaie nationale a très peu de chances de se justifier. Et comme toute denrée qui s’apprécie par la demande, elle déprécierait si une sollicitation massive et quotidienne ne viendrait la valoriser.
Créer donc simplement une banque centrale ne suffirait pas. Loin de là. Il faut aussi créer des banques commerciales nationales en leur accrochant au cou la mission de distribuer le crédit aux agriculteurs et aux porteurs de projets industriels. Car une banque centrale isolée, détenant une monnaie sciemment boudée par les banques en charge de la distribuer, n’aurait pas de canaux pour financer la production. On l’a assez dit, les enseignes étrangères de banques qui tiennent nos circuits de distribution du crédit ne sont pas là pour développer nos économies, mais pour faire des affaires à risque quasi nul et en respectant des normes prudentielles incompatibles avec des économies anémiées comme les nôtres. C’est donc tout ce dispositif qu’il faut contourner par de nouvelles banques commerciales nationales, pour placer la banque centrale dans son rôle.
Il faut ensuite, pour protéger la monnaie nationale de la fuite de devises, fermer tous les robinets de leur évasion. La téléphonie mobile, les maisons d’assurances, les jeux de hasard dont le PMU, les bouquets de télévision et le transport aérien par des compagnies étrangères, sont entre autres des activités sans valeur ajoutée à l’économie, qui engendrent au contraire des pressions quotidiennes sur la banque centrale pour lui demander des devises à transférer dans leurs pays d’origine. Si la banque centrale est amenée à acheter sans cesses des devises à mettre à disposition de circuits d’évasion, la monnaie nationale et l’économie en générale, sont parties pour des difficultés qui pourraient s’avérer catastrophiques. Ces activités sont de simples saignées financières à nationaliser ou interdire selon chaque cas. Une monnaie nationale se fortifie par des producteurs et des exportateurs et non par des importateurs et des demandeurs de devises qui n’auront rien produit dans le pays.
Enfin, comme je l’ai déjà dit, la monnaie est une denrée qui s’apprécie par la demande. Les monnaies nationales africaines n’ont pas joui de fortes demandes de crédit de la part d’entreprises adossées aux grands secteurs productifs que sont l’énergie, l’agriculture, les mines et l’industrie. En termes clairs les monnaies nationales africaines n’ont pas de marchés demandeurs suffisamment larges pour les promouvoir. Les petites activités économiques, presque souvent hors des circuits bancaires, n’impriment pas de fortes demandes en monnaie. Il faut donc créer de grandes entreprises publiques demandeuses de crédit qui complèteront, avec les banques commerciales nationales, le dispositif institutionnel d’accompagnement de la banque centrale et de la monnaie. L’agriculture, l’énergie, les mines et les industries disposent dans tous nos pays de ressources en eau, en terres et en métaux et minéraux pour faire émerger de très grandes entreprises, comme celles étrangères qui nous pillent depuis des décennies.
Nous nous situons donc dans une exigence claire de réforme de paradigme. Nos économistes nourris au biberon néolibéral sursauteraient en entendant parler de création de banques et entreprises publiques. Tout notre problème est là, car pour eux, le secteur privé, soit-il médiocre comme il l’est déjà en Afrique, doit continuer à porter des espoirs nationaux qu’il a par trop longtemps déçus.
Une monnaie AES -ou des monnaies nationales des pays de l’AES-, doit donc préalablement baigner dans un environnement doctrinal économique réformé, qui aura quitté le paradigme néolibéral pour un souverainisme économique et monétaire global. Aucune monnaie nouvelle ne pourrait survivre avec les principes néolibéraux actuels de gouvernance monétaire sur lesquels veille le FMI.
En conclusion, au regard de ce j’ai dit, une nouvelle monnaie ne semble pas être à l’ordre du jour dans l’AES. C’est mon humble avis, faute d’information sur le sujet. Et si elle se hasarde à créer une autre monnaie de type libéral comme le FCFA, elle sera partie pour échouer à courte échéance.
Par Ali ZADA
• Expert en politiques publiques
• Enseignant à Swiss Umef University de Niamey