Phénomène de la mendicité, un mal sociétal à déconstruire ! : Par ALOU AYE Issa, Sociologue-communicateur
La question de la mendicité au Niger est une question complexe et ancienne qui mérite une analyse minutieuse afin de mieux la cerner pour une prise en charge plus pérenne.
Au Niger, le contexte socioculturel et religieux incite, voire oblige, l’entraide, par solidarité, avec les nécessiteux, les vulnérables, les proches parents etc. Ceci pourrait bien avoir été le facteur déterminant au développement à la mendicité.
A l’origine la mendicité était acceptée et tolérée par la communauté nigérienne du fait qu’elle était exercée essentiellement par les Talibés. Ces élèves des écoles coraniques généralement en déplacement et en grand nombre, loin de leur(s) famille(s)étaient généralement à la charge de la communauté, consciente que cette dernière était de l’incapacité financière de leurs maitres à assurer leur prise en charge. C’était aussi probablement, une autre forme d’éducation qui préparait les jeune talibés (y compris ceux issus de familles plus ou moins aisées) à l’austérité et l’humilité pour la vie d’adulte, de prédicateur et de modèle sociétal.
Avec le temps, le champ de la mendicité s’est progressivement élargi avec l’acceptation de la mendicité de la part de certains groupes sociaux vulnérables comme : les handicapés, les infirmes, les vieilles personnes, les nécessiteux etc. Dès lors la mendicité va prendre une autre connotation pour passer de la simple source conjoncturelle d’assistanat envers les personnes en situation de vulnérabilité, à une source de subsistance voire un métier permanent beaucoup de personnes.
Du fait de cet ancrage socioculturel et religieux mais aussi de la pauvreté endémique dans notre environnement nous constatons ainsi une persistance de la mendicité malgré que, de façon conceptuelle, l’entraide, la solidarité et la compassion envers les nécessiteux, des valeurs cardinales religieuses et traditionnelles ne devraient aboutir qu’à une réduction de la fracture sociale et un épanouissement spirituel du fidèle. Ce dernier point joue une place prépondérante dans les gestes de solidarité qui semblent contribuer à la persistance de la mendicité dans notre société car la récompense espérée dans l’au-delà est immense. Il est en effet, rapporté par ADI Ibn Hatem que le Prophète (alayhi salat wasalam) a dit « Protégez-vous du feu de l’enfer ne serait-ce que par un morceau de datte ». C’est ainsi que chaque jour des millions de francs sont donnés soit en guise d’assistance, d’aumône, de zakat (aumône légale purificatrice en Islam) à ce lot de plus en plus important des mendiants.
Avec un tel soubassement pour ce phénomène sociétal quasi avilissant, comment faire alors pour déconstruire cette tare décriée de tous et qui continue à ternir l’image de tous ? Il faut réaliser qu’aussi longtemps qu’il y aurait pour des raisons culturelles, sociales ou religieuses, une main qui donne, elle (main) trouvera une autre prête à recevoir. Le cycle de la mendicité dans un tel contexte, restera intact sinon s’accroitra toujours dans nos sociétés. Pour y remédier, il faut plutôt réduire par divers mécanismes le nombre de ceux qui peuvent se sentir en besoin de tendre la main.
Il nous semble que nous devons revoir notre système de solidarité, présentement mis à rude épreuve par « la professionnalisation de la mendicité », afin de le redynamiser et le rendre plus efficace dans l’atténuation de la pauvreté et l’autonomisation des groupes vulnérables. A terme, l’objectif devrait clairement de casser le cycle de la pauvreté et de la dépendance. Nous suggérons un changement de paradigme dans la manière de vivre notre solidarité et notre spiritualité sur le sujet. Aider son prochain, assister un parent en détresse, couvrir la « honte » de son parent est de nos jours dévoyé et son efficacité très mitigée. Or pour lutter convenablement contre cette mendicité, il faudrait penser un véritable système endogène de mutualisation de nos efforts individuels afin de gagner dans l’envergure de l’action. Mettre par exemple nos aumônes, zakats et autres donations ensembles pourrait nous permettre la réalisation de plus grandes et plus efficaces actions d’atténuation de la pauvreté et d’autonomisation des groupes vulnérables.
La mutualisation des efforts peut, par exemple être orientée vers un Fonds National de Solidarité, et/ou sous forme de waqf. Ce fonds permettrait par exemple d’agir dans le développement local des zones les plus touchées par le phénomène de la mendicité à travers des actions concrètes en réinsertion socioéconomique des populations vulnérables. En outre, il faudrait qu’au nom du principe et de l’engagement politique affichés des plus hautes autorités du pays que les enfants enrôlés dans la mendicité soient récupérés dans des écoles de seconde chance afin de leur faire apprendre un métier, acquérir des compétences de la vie et leur garantir ainsi un avenir plus radieux.
En créant aussi les conditions de sédentariser les populations mobiles ou nomades, quand c’est possible, par des actions de soutien à l’activité économique et d’atténuation de la vulnérabilité, le Fonds National de Solidarité, peut contribuer progressivement à redonner aux enfants issus de ces communautés des chances de sortie du cycle de la mendicité et de la dépendance.
Pour finir, nous pensons qu’une revalorisation du travail comme source de revenus et de stabilité sociale doit occuper une place centrale dans toute stratégie à adopter pour résorber ce problème.
La mendicité est un fléau social, une tare et une atteinte grossière à l’humanité de tout individu ou groupe social. Elle doit de ce fait bénéficier de toute l’attention nécessaire afin de poser le meilleur diagnostic pouvant servir de base pour l’élaboration des meilleures stratégies pouvant y mettre fin. Une approche communautaire et organisée, sous l’égide de L’Etat, pourrait constituer la voie difficile mais nécessaire à suivre pour l’éradiquer et restaurer la dignité de tout un peuple trop fréquemment stigmatisé et bafoué à cause de ce fléau.
Par ALOU AYE Issa, Sociologue-communicateur