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Internats pour filles : une fausse et coûteuse solution à un problème réel (les mariages précoces) - Par Gado Alzouma  

 

Dans les pays africains, les solutions proposées pour le développement ne répondent pas aux attentes des populations concernées, mais répondent d’abord et avant tout aux attentes des dirigeants occidentaux. Ce sont les préoccupations des occidentaux envers nos pays qui sont érigées en préoccupations principales pour nous. Il en est ainsi de cette question de « mariages précoces ».

On sait que Bazoum, entre autres promesses, se propose d’instaurer partout des « internats pour  filles » et de créer ainsi les conditions de leur réussite scolaire. En dehors même du caractère probablement démagogique de cette promesse (vu le coût financier excessif que cela entraînerait à long terme), certains observateurs n’ont pas manqué de s’étonner que les internats soient exclusivement réservés aux filles sans qu’on nous explique pourquoi elles seraient prioritaires sur les garçons alors que ces deux groupes de scolaires vivent le même calvaire, notamment dans les zones rurales où l’Etat a totalement démissionné en ce qui concerne la prise en charge des jeunes envoyés dans les chefs-lieux de départements pour poursuivre leurs études secondaires. Souvent totalement abandonnés par leur famille et ceux qu’elles ont désignés pour les accueillir, ils décrochent au bout de quelques mois ou de quelques années, incapables de suivre les cours le ventre creux et confrontés à de multiples autres problèmes. Quant aux jeunes filles, elles sont souvent retirées de l’école par leurs parents pour être mariées à un âge précoce. C’est pour corriger toutes ces inégalités qui touchent principalement les jeunes filles rurales et améliorer leurs performances scolaires qu’on dit vouloir instaurer des internats. Toutefois, la vraie raison pour l’instauration des internats est ailleurs.    

Certes, il existe des inégalités sérieuses de genre au Niger (y compris dans le domaine de l’éducation) et ceci explique en grande partie le retard que nous accusons en matière de développement humain, mais il est clair que cette initiative ne vise pas à corriger ces inégalités-là. Cette initiative a un autre objectif et c’est Bazoum lui-même qui nous le dit : «…j’assurerai en particulier l’éducation des jeunes filles, en créant progressivement dans nos communes des internats où elles seront logées, nourries et blanchies. Je créerai donc les conditions pour les maintenir longtemps à l’école et les mettre ainsi à l’abri du mariage précoce et de ses effets sur le plan de la santé de la reproduction. Une fille qui va à l’école jusqu’à l’âge de 18 ans, c’est une fille préservée de 3 grossesses en moins, c’est une fille qui aura appris à être autonome et à prendre soin d’elle-même». Donc, de l’aveu même de Bazoum, la création des internats répond à un seul objectif : le maintien des jeunes filles à l’école jusqu’à l’âge de 18 ans en vue de les préserver des « mariages précoces ». Ce n’est ni l’équité, ni la réussite scolaire des jeunes filles qui intéressent ses promoteurs. Il s’agit d’abord et avant tout de confiner les jeunes filles pour qu’elles échappent à l’influence et aux décisions de leurs familles et de les maintenir le plus longtemps possible à l’école afin qu’elles ne puissent se marier avant un âge tardif. Le non-dit ici est donc la question démographique et de ce point de vue, ces idées leur sont dictées par leurs maîtres occidentaux: il faut stopper la croissance démographique dans notre pays et pour cela, il n’y a pas de meilleur moyen que de retarder l’âge au premier mariage, spécialement des filles.

Cette politique n'est donc pas dictée par des impératifs éducatifs (telle que l’amélioration des performances scolaires des élèves nigériens par exemple). Elle est dictée par les préoccupations démographiques des occidentaux envers nos pays. Il leur importe peu que les jeunes filles réussissent à l’école ou non... pourvu qu'elles ne se marient pas!!! C'est pourquoi elles seules sont concernées et pas les garçons, alors que les problèmes auxquels la jeunesse scolaire rurale est confrontée affectent les deux genres dans leur ensemble et de façon similaire.

Ces idées ne viennent pas de Bazoum, bien sûr. Elles ont été pensées par les officines néomalthusiennes (des think tanks et des ONGs internationales notoirement connues pour leurs obsessions antinatalistes telles que par exemple l’International Planned Parenthood Federation, Girls Not Brides, la Fondation Bill et Melinda Gates, etc.) qui initient et promeuvent ces politiques (sinon les imposent) à nos dirigeants qui ensuite répètent comme des perroquets les formules inventées à cet effet, tout en se donnant des airs intelligents et originaux. En même temps aussi, pour eux, répéter ces idées partout où ils vont, c'est donner des gages de servilité aux maîtres occidentaux.

Pour aboutir à leurs objectifs, les dirigeants français ne se gênent plus pour vouloir nous imposer des politiques sociales visant à régenter notre vie privée, convaincus qu’ils sont qu’ils savent mieux que nous ce qui est bon pour nous et que si nous ne voulons pas calquer nos modèles familiaux sur les leurs, c’est parce que nous sommes attardés sur la voie de la « civilisation » comme l’affirmait Sarkozy lors de son discours de Dakar. La propension à vilipender les Africains pour n’être pas « entrés dans l’histoire » n’est d’ailleurs pas propre aux dirigeants occidentaux. Nos propres dirigeants croient qu’il existe un modèle civilisationnel et des attributs sociaux de la modernité auxquels nos sociétés devraient aspirer pour être, en quelque sorte, dans les normes. Les cultures, les croyances et les comportements sociaux étant différents d’une société à l’autre, ils se représentent ce qui se passe en Occident comme étant la norme, le canon ou le standard à partir duquel il faut calibrer et juger des autres cultures. Tout écart par rapport à la norme occidentale (notamment en matière de traditions matrimoniales et de comportements reproductifs) est jugé par eux comme une manifestation d’inculture, de « retard », voire de «sauvagerie ». C’est pourquoi il n’est pas rare de les voir reprendre à leur compte les expressions méprisantes et insultantes par lesquelles les racistes européens jugent des problèmes de natalité et de fécondité dans nos pays : « Ils font trop d’enfants » ; « Ils se reproduisent comme des lapins », etc.

Certes, les problèmes relatifs aux mariages précoces sont réels et nous devons leur trouver des solutions mais ces solutions ne doivent pas être simplistes et expéditives du genre : « Gardons-les le plus longtemps possible à l’école pour qu’elles ne se marient pas».  Les internats pour les filles et seulement les filles, sont une solution fausse et coûteuse. En voici les raisons :

  1. D’abord ce n’est parce que nous aurons confiné les filles dans des internats que nous empêcherons les parents de les marier quand ils le voudront. On ne voit pas ce que les internats changeront de ce point de vue. Des études anthropologiques récentes ont d’ailleurs montré que l’une des raisons pour lesquelles les parents marient leurs filles à un âge « précoce » est la crainte qu’elles ne tombent enceintes hors mariage ou ne trouvent tout simplement pas à se marier à un âge plus avancé car les filles sont confrontées a un problème que les garçons n’ont pas : dans nos sociétés (et peut-être même ailleurs), plus elles avancent en âge, moins elles ont de chances de se marier. Il est sûr et certain que chez nous, peu de parents nigériens souhaiteraient le célibat définitif à leur fille.

  2. Si l’objectif ultime du développement des infrastructures scolaires dans nos pays est par exemple d’avoir des écoles secondaires de proximité, très proches du lieu de résidence des élèves et si possible dans chaque village suffisamment peuplé comme c’est presque déjà le cas pour les écoles primaires, alors l’utilité des internats ne s’explique plus à long terme. Il suffit de développer, comme je le propose ci-dessous, des établissements secondaires de proximité pour faire face à l’isolement auquel ils sont confrontés lorsqu’ils doivent quitter leurs familles.

  3. Il est très peu probable que l’Etat puisse soutenir le coût des internats à long terme puisque l’augmentation de la population scolaire supposerait leur création continuelle. Les internats pèseront d’un poids excessif sur l’ensemble du budget de l’éducation nationale, au détriment des nombreux autres secteurs (aussi bien de de l’éducation que du développement national en général). On peut donc parier que d’ici quelques années cette politique des internats s’arrêtera faute de moyens. Cela aura été un gâchis énorme (en temps et en argent) comme il en existe de nombreux autres dans l’histoire de notre développement. Je pense donc que c’est une initiative démagogique prise sur un coup de tête et qui n’aura aucune pérennité.

Je pense aussi qu’il existe des solutions alternatives aux mariages précoces ; solutions beaucoup moins coûteuses et plus efficaces.

  1. L’argent utilisé pour les internats pourrait être affecté à développer partout des écoles secondaires de proximité qui rendront superflue leur création, car le coût de la création et du maintien annuel d’élèves internées est de beaucoup plus élevé que celui de la création d’un collège ou d’un lycée de proximité. La création d’un collège ou d’un lycée a un coût à peu près fixe alors que l’internat a un coût variable qui aura tendance à augmenter au cours des années, jusqu’à devenir insupportable pour les finances publiques, du fait de l’augmentation de la population scolaire féminine mais aussi de l’inflation et de bien d’autres problèmes.

  2. A mon avis, les mariages précoces des filles scolarisées s’expliquent en partie par l’inscription tardive des élèves à l’école dans notre pays. Dans les zones rurales en particulier, les élèves sont inscrits à l’école à l’âge de 6 ou 7 ans. Ce qui veut dire que les filles ne sont pas très avancées (elles ne seraient alors qu’en 4eme) dans les études quand elles atteignent l’âge de 13 ou 15 ans, l’âge auquel les parents commencent à songer à les marier. S’en suivent 5 années au cours desquelles elles courent le risque d’être mariées à tout moment avant le bac (qu’elles n’atteignent que vers 20 ans). Si ces élèves étaient inscrites à l’école à 5 ans, à l’âge de 15 ans elles auraient déjà leur BEPC et seraient en seconde avec seulement deux ans pour finir leurs études secondaires. Or il n’y a aucune raison que les élèves français fassent en moyenne leur bac à 16, 17 ou 18 ans tandis que les élèves nigériens font leur bac en moyenne à 20, 21, voire 22 ans ou plus. Il faut abaisser l’âge de la scolarisation pour écourter les années et éliminer une bonne partie des risques de mariage précoce.

  3. La baisse de la scolarisation à cinq ans permettra de résoudre en partie le problème des mariages précoces car à 15 ou 16 ans, les filles seraient déjà en seconde ou en première et donc seule une proportion relativement faible d’une cohorte de 15 à 18 ans sera mariée alors qu’une proportion plus élevée le sera dans une génération inscrite à l’école à 7 ans car cela veut dire que les membres de cette génération auront atteint la classe de quatrième à l’âge de 15 ans et la terminale à  20 ans, soit un intervalle long de 3 à 4 ans au cours duquel une plus grande proportion serait mariée que dans un intervalle de 2 ans seulement (15 ans en seconde et 18 ans en terminale). On a donc théoriquement moins de mariages précoces dans le premier scénario que dans le second.

  4. Par ailleurs, la baisse de la scolarisation à cinq ans entrainerait une entrée plus précoce dans la vie active vu que, du fait des nombreuses années blanches, des redoublements, du manque d’emploi, etc., les jeunes (surtout ceux qui sont d’origine rurale et qui sont ceux qui sont le groupe plus affecté par ce phénomène), n’accèdent au premier emploi que vers l’âge de 30 ans (au mieux) ou même l’âge de 40 ans ou plus. C’est là l’une des conséquences des inégalités scolaires dans nos pays car les enfants des fonctionnaires, grands commerçants et personnalités importantes commencent leur carrière professionnelle beaucoup plus tôt en moyenne que les enfants des classes populaires et rurales.

  5. Enfin, bien qu’on insiste lourdement sur les mariages précoces dans notre pays, il faut remarquer que les filles des villes se marient plus tardivement (vers l’âge de 17 ans et plus) que celles des zones rurales et que cet âge tend à s’élever au fil des années. Comme l’urbanisation et le niveau de scolarisation des femmes tendent à augmenter, l’âge au premier mariage tend aussi à s’élever : ce qui veut dire que ce n’est pas un phénomène fixe qu’il faut mettre sur le compte de prétendues « mentalités débridées » des Africains, mais un phénomène pour ainsi dire « naturellement » soumis au changement. Internats des filles ou pas, l’âge au premier mariage des filles continuera à s’élever si ces deux facteurs (urbanisation et taux de scolarisation féminine) continuent aussi à s’élever. Il faut donc laisser tout simplement le temps faire son œuvre en généralisant la scolarisation au lieu de se lancer dans des aventures dispendieuses et sans lendemain.

Gado Alzouma, Professeur titulaire des universités