Amères vérités : L’objectif du propos du Président Bazoum sur l’armée malienne et les armées africaines
L’objectif du propos du Président Bazoum sur l’armée malienne et les armées africaines, ce n’est pas tant de froisser les Maliens que de faire croire aux partenaires européens de la France que les pays africains, à commencer par les voisins du Mali, ne cautionnent pas ce qui s’est passé dans ce pays mais qu’ils trouvent juste et raisonnable la posture de Paris sur le Tchad en l’endossant. À peine Bazoum Mohamed a-t-il claqué la langue sur les grands sujets de préoccupation de ses compatriotes qu’il a gaffé. L’homme, on le sait, ne sait pas tenir sa langue et ce n’est pas toujours, hélas, pour dire ce qui est vrai et/ou juste. Le vendredi, à Paris, lors de la conférence de presse conjointe qu’il a animée avec Emmanuel Macron, le président français, Bazoum Mohamed, a froissé plus d’un. Non pas pour avoir dit des vérités qui blessent, mais pour avoir parlé exactement dans le sillage de la nouvelle vision de la présence militaire française sur nos terres, en épousant strictement les desiderata et les nouvelles approches, tels que le président français les a déclinés. Ce qui, en apparence, pourrait être pris pour une vérité que son prédécesseur Issoufou n’a pas osé dire en son temps, n’en est pas évidemment une. C’est une question de tempo, corrélé à un contexte et à une musique qui sied à une situation nouvelle et le président Bazoum semble avoir bien appris la leçon avant de la réciter devant les caméras.
Le fait d’avoir écorché l’armée malienne, au pouvoir avant tout, n’est certainement que la volonté de reprendre à son compte, à la demande de Paris, le discours officiel d’une France hypocrite qui ne se gêne plus par rapport à ses prétendues valeurs, de jouer au deux poids, deux mesures ; une France qui ne comprend toujours pas qu’elle rame à contre-courant et qu’elle finira, tôt ou tard, par être emportée par le courant. Et comme la chanson, diffusée à profusion par Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian porte mieux dans la gorge d’un chef d’Etat pair africain, le président Bazoum a accepté de faire le sale boulot. L’objectif ? Ce n’est pas tant de froisser les Maliens que de faire croire aux partenaires européens de la France que les pays africains, à commencer par les voisins du Mali, ne cautionnent pas ce qui s’est passé dans ce pays, mais qu’ils trouvent juste et raisonnable la posture de Paris sur le Tchad en l’endossant. Un sale coup dans lequel le président nigérien s’est empêtré puisqu’il a été obligé, dans une incohérence totale, d’expliquer que la situation au Tchad est plus acceptable que celle du Mali.
Bazoum Mohamed a parlé mais il est loin d’avoir dit la vérité, particulièrement à propos des prétendus déboires militaires sur les fronts de guerre qui expliqueraient les coups d’Etat dans nos pays. Il sait très bien qu’il n’en est rien. Les coups d’Etat, en particulier, sont le corollaire d’une gouvernance aux antipodes des attentes populaires et des serments solennels que les chefs d’Etat font de travailler exclusivement dans l’intérêt de nos pays. Mais, que se passe-t-il ou plutôt que font-t-ils ? Tout autre chose. Dans le cas du Niger, la corruption, les détournements massifs des deniers publics, les conflits d’intérêts, le trafic de drogue, n’ont-ils pas anéanti l’Etat et fait émerger sur ses cendres des fortunes privées colossales ?
Dans le cas du Mali, la rectification intervenue récemment par une armée malienne décidée à oeuvrer dans l’intérêt du Mali et non de la France, n’a pas d’autre objectif que d’écarter des hommes qui travaillaient à perpétuer la position plus que préjudiciable de la France le Mali ; des hommes, pour dire les choses telles qu’elles sont, qui ont trahi leur pays et son profond désir de contrer désormais la volonté de la France de saucissonner le Mali en deux. Cela, bien évidemment, est inacceptable pour la France…et pour Bazoum Mohamed qui agit ainsi dans le sillage d’Issoufou Mahamadou. Pourtant, le processus de transition entamé au lendemain du coup d’Etat qui a déposé Ibrahim Boubacar Keita, n’a pas été suspendu. Ce sont des hommes qui travaillaient à saboter la transition militaire ¯ pour le compte de qui ? ¯ et par rapport aux actes desquels les émissaires de la Cedeao ont été pris à témoin, qui ont été soigneusement écartés. Pour ça, la France a poussé des cris d’orfraie. Un petit jeu hypocrite qui a choqué le monde entier.
Pour un petit jeu hypocrite, c’en est un. Au Tchad où un peu plus tôt, un président en exercice, Idriss Deby Itno, a été assassiné, la France a été la première à soutenir la transition militaire et à adouber immédiatement le successeur désigné manifestement par ses soins. Le prétexte ? Ce sont les chefs d’Etat africains, notamment dans le cadre de la Cedeao, qui vont se mettre à le chanter et à le faire passer comme un alibi solide pour accepter ce qu’ils trouvent inacceptable ailleurs. Ils prétendent, comme Bazoum Mohamed l’a encore chanté à Paris, que ce pays courait un grave danger face à la menace terroriste et qu’il fallait nécessairement cautionner l’assassinat d’un des leurs, tel que le veut Paris. Ridicule, n’est-ce pas ? La thèse l’est d’autant plus que Bazoum et le siens veulent faire croire que le respect de l’ordre constitutionnel, qui commandait une transition dirigée par le président de l’Assemblée nationale, aboutirait à une guerre civile. En revanche, le fait de cautionner l’inacceptable a pour effet systématique et… magique, de mettre un terme à la rébellion et à l’imminence d’une guerre civile. À moins que celui a imposé le successeur du président assassiné ne soit le même qui a suscité la rébellion et l’assassinat d’Idriss Deby, on ne comprend pas cette logique démentielle. On le comprend, Bazoum Mohamed a un intérêt certain à chanter comme le coq gaulois. Sa prétention à soutenir que nos pays, dans leur lutte contre le terrorisme, n’ont pas besoin de 1000 ou de 10 000 soldats français mais plutôt d’une assistance militaire et financière s’inscrit exactement dans la logique du nouveau cadre stratégique promis par Emmanuel Macron. La vérité, que Bazoum s’est gardé de dire puisque n’étant pas autorisé à aborder le sujet sous cet angle, c’est que le Niger s’apprête à recevoir sur son territoire tous les déchets rejetés par les autres. Le correspondant de France 24 l’a bien expliqué : Paris a quelques difficultés avec le fils Deby qui, on l’imagine, sous la férule des cadres de l’armée et du giron familial, ne veut pas entendre parler de son retrait des élections à venir. Ce qui mettrait davantage la France dans une posture délicate. Paris a également des difficultés, on le sait, avec le Mali dont les fils ont repris en main leur destin, en s’éloignant du giron français, acquis manifestement à la cause d’un Mali désintégré.
Il n’y a qu’au Niger où la France obtient tout ce qu’elle veut, que cela compromette les intérêts du Niger ou pas. L’allié sûr de la France, a dit le journaliste français, c’est le Niger dans cette zone et Bazoum Mohamed, comme Issoufou Mahamadou, hier, ne peut que miser sur cette coopération tordue qui dessert le peuple nigérien. L’actuel président est d’ailleurs, suivant les signaux laissés par Paris, sur le point de supplanter tous les autres aux yeux de la France. Alors que c’est le fis Deby qui préside le G5 Sahel, c’est curieusement lui qui a été retenu pour être à Paris à la date indiquée, déjeuner avec Emmanuel Macron et animer avec lui une conférence de presse.
Le Président Bazoum, pour tout dire, a commis un impair diplomatique et il est sans doute meilleur, ne serait-ce que dans le discours, que Issoufou Mahamadou qui a prétendu que celui qui dénonce la présence militaire étrangère sur nos terres est pire que ceux qui s’attaquent à notre pays.
BONKANO.