Les limites de l'imposture : Par BORY Seyni
C'est une bien vilaine histoire qui débordera, à n'en point douter, le cadre temporel des élections générales actuelles et verra s'agrandir le petit groupe de protagonistes aujourd'hui cause : plus de deux mois après le début du feuilleton judiciaire qui a entouré l'affaire, on n'est toujours pas fixé, au-delà de tout doute raisonnable, sur l'authenticité des documents attestant de la nationalité d'origine du candidat à la présidence de la République du Niger, Bazoum Mohamed, le "favori" des media publics français aux élections présidentielles dont il disputera le second tour le 21 février prochain avec l'ancien chef de l'Etat, Mahamane Ousmane.
Dans son arrêt N°12/CC/ME rendu le 17 décembre 2021, la Cour constitutionnelle du Niger a, en tout cas, clos le débat, estampillant le dossier du sceau de ce que les magistrats appellent dans leur jargon "l'autorité de la chose jugée". Traduit en langage ordinaire, cela veut dire que personne ne peut plus publiquement en discuter, sans prendre le risque de s'exposer à des poursuites judiciaires. Ce qui est dit et dit. Ainsi soit-il…
Amen !
Le fait est qu'aucun juge terrestre n'a, nulle part, encore acquis le pouvoir de mettre dans les fers l'esprit et la mémoire. On nous permettra donc, ici, de nous souvenir que M. Bazoum Mohamed a, dans un passé pas très lointain, déjà été mêlé à une histoire falsification de documents administratifs.
Peu après l'assassinat du colonel Mouammar Kadhafi en octobre 2011 en Libye, et la longue chasse à l'homme engagée contre ses serviteurs et proches (2012- 2013), de nombreux hauts fonctionnaires et cadres civils et militaires du régime déchu trouvent refuge au Niger. Parmi eux, deux coffres-forts ambulants, dont le propre fils du guide de la Révolution libyenne, Saadi Kadhafi, et un certain Béchir Saleh Béchir, directeur de cabinet et homme de confiance du leader assassiné dont il a par ailleurs été grand argentier pour avoir présidé aux destinées du Fonds libyen d'investissement, un fonds souverain évalué à quelque huit milliards de dollars.
Sous la houlette de son chef, Bazoum Mohamed, l'administration diplomatique du nouveau pouvoir fraîchement installé prend le dossier en charge et se met à la tâche. Le cas de Saadi Kadhafi et de ses compagnons d'infortune est rapidement traité sous le chapitre des droits de l'homme. Haut en verbe, le ministre de la Justice, Marou Amadou, précisera que les riches hôtes de marque libyens de Niamey le seront aussi longtemps qu'ils n'entreprendront pas d'activités politiques de nature à nuire à leur pays d'origine et tant que des garanties de sécurité ne leur seront pas assurées dans celui-ci.
Quelques mois plus tard, pourtant, les malheureux, dépouillés et ruinés, sont livrés pieds et poings liés à Tripoli, Niamey expliquant avoir drastiquement négocié les conditions humanitaires de cette opération qui a laissé pantoises les ONGs de défense des droits humains dans le monde entier. La presse spécialisée évoqua, un moment, de scandaleuses transactions financières, mais on n'en saura pas plus, même s'il se dit encore, dans certains milieux, qu'une plainte de Saadi Kadhafi est toujours dans le circuit contre les autorités de Niamey.
Tout aussi ténébreuse s'est révélée être la gestion du sort de Béchir Saleh Béchir, alors recherché par Interpol à la demande des autorités de son pays. Le 12 mars 2012, le célèbre fugitif, mué en Conseiller à la Présidence du Niger, reçoit un passeport diplomatique nigérien qui le fait naître en 1946, à Agadez, au Niger, alors même qu'il a vu le jour en cette année 1946 dans la localité de Traghan, dans la région de Mourzouk, en Libye… Ce document de voyage officiel lui permettra un moment de circuler de capitale en capitale dans une relative quiétude, avant de s'établir à Johannesburg, en Afrique du Sud. De mémoire de nigérien, personne, pas même le président Mahamadou Issoufou dont l'institution a été associée à cette forfaiture, n'a cherché à en connaître les tenants et aboutissants et encore moins à en inquiéter les auteurs.
Interpellé une fois par un journaliste sur le sujet, Bazoum Mohamed, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale, de l'Intégration africaine et des Nigériens de l'étranger déclare tantôt avoir été induit en erreur par ses services, tantôt avoir reçu … des instructions. L'affaire fit l'objet de quelques entrefilets dans les media, et on n'en parla plus.
En 1996, catégoriquement opposé à la candidature du général Ibrahim Baré Mainassara aux élections présidentielles consécutives à son coup d'Etat, M. Bazoum Mohamed effectue, au titre du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), une série de missions à l'extérieur pour supplier les partenaires du Niger de … couper toute forme de soutiens au régime en gestation au pays. Au cours d'une conférence très médiatisée, il eut, en conclusion de son réquisitoire, ce propos pathétique qui doit encore bourdonner dans les oreilles des diplomates réunis pour la circonstance : "J'ai honte pour mon pays" !
Trois années plus tard, en 1999, le même homme salua "le putsch démocratique" qui venait de voir le président Baré Mainassara tomber sur le tarmac de l'escadrille de Niamey, déchiqueté sous les balles de sa propre garde prétorienne…
Plus récemment, en novembre 2020, lors de son passage dans le cadre d'une série de rencontres initiées fort intelligemment par les étudiants de l'Université de Niamey avec les candidats à l'élection présidentielle en cours, le potentiel futur magistrat suprême du Niger s'énerve à la seule évocation des détournements de dizaines de milliards de francs survenus au ministère de la Défense nationale et, complètement hors de lui, qualifie de "mensonges" les commentaires unanimement salués comme courageux faits quelques mois auparavant par un ancien collègue en charge du département sur le rapport officiel établi sur la question, le Pr Issoufou Katambé.
Devant cet auditoire de rêve, M. Bazoum Mohamed avait une occasion en or "d'avoir honte !" pour la gouvernance de son pays : il n'eut pas un mot de compassion ou d'empathie à l'égard des soldats morts sur le front de la lutte contre le terrorisme parce qu'équipés d'armes défectueuses du fait de la cupidité de bureaucrates et de leurs hommes de main.
Contre toute évidence, le dauphin du président Mahamadou Issoufou qui l'a d'abord proposé comme candidat,à son parti, le PNDS, avant de l'imposer comme présidentiable à l'ensemble du pays,nie tout en bloc. Par de-là le cercle des parents et proches du Pr Katambé, tous ceux qui ont mal à ce pays se sont sentis blessés par cette attitude déni.
Il faut dire qu'en dénonçant les truands en col blanc qui ont peuplé les couloirs de son ministère en particulier et de l'administration nigérienne en général tout au long des dix ans du si mal nommé régime de la "Renaissance", le Pr Issoufou Katambé a, son corps défendant, désigné un système de prédation, d'usurpation et d'imposture que Bazoum Mohamed entend "CONSOLIDER", selon les termes du slogan phare de sa campagne.
L'enjeu du second tour de l'élection présidentielle du 21 février prochain, qui prendra l'allure d'un véritable référendum "POUR" ou "CONTRE" Bazoum à mesure qu'approche l'échéance, est de savoir si l'électeur nigérien lui en donnera l'occasion.
Par BORY Seyni, Journaliste