L’avenir a besoin de la Cour Constitutionnelle au Niger : Par Me AMANI Yahouza, Avocat à la Cour
La Cour Constitutionnelle du Niger vient de rendre un arrêt de rejet n. 10/CC/ME en date du 08 décembre 2020 en décidant comme étant mal fondée la requête d’un candidat à l’élection présidentielle, laquelle requête tendait à déclarer principalement l’inéligibilité du candidat du Parti majoritaire au Pouvoir.
Cet arrêt intervient à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle dans une ambiance peu commode pour l’image du pays. En effet, de l’analyse dudit arrêt, ressort un constat basé sur le mimétisme juridique et sur l’exercice flexible du pouvoir juridictionnel de la Cour Constitutionnelle.
1. Le Mimétisme juridique de la Cour Constitutionnelle
Le Mimétisme se traduit par l’appréciation sélective des faits et des actes de la procédure et enfin par la dévolution du pouvoir d’investigation.
A. L’appréciation sélective des faits et des actes de procédure par la Cour Constitutionnelle
La Cour a fait état dans son premier considérant en la forme de l’arrêt que la requête a été enregistrée le 02 décembre 2020 sur le numéro 36 à son greffe. Elle ajoute dans le premier motif au fond que le dossier de la procédure de sa saisine a été porté à sa connaissance dans la soirée du 04 décembre 2020. Qu’en tenant compte de cette date et des investigations menées en son siège et en dehors de celui-ci, la Cour s’est trouvée dans l’impossibilité matérielle de rendre son arrêt dans les délais impartis de quarante heures pour traiter les réclamations portant sur l’éligibilité d’un candidat.
Partant de ce raisonnement, on constate la différence que fait la Cour entre la date de l’enregistrement d’une requête à son greffe et la prise de la connaissance du dossier de la procédure. Il faut noter que cette différence est superflue, car c’est par l’enregistrement ou le dépôt d’une requête au greffe que la Cour est saisie de tout le contentieux.
L’article 22 du règlement intérieur fait obligation au Greffier en Chef de transmettre aussitôt toute requête qu’il a enregistrée au Président de la Cour Constitutionnelle.[i] Nul ne peut douter des diligences de rigueur du Greffe, surtout pour une affaire concernant la candidature à l’élection présidentielle.
La Cour fait état du mémoire en défense du représentant du candidat du Parti majoritaire au pouvoir en date du 03 décembre 2020. Cette précision implique la connaissance de la requête et la réplique par ledit représentant avant même la Cour. La curiosité procédurale est de comprendre la logique de porter la requête en question à la connaissance de la partie défenderesse par la Cour Constitutionnelle avant que cette dernière ne soit elle-même au courant du contenu du dossier de la procédure. Il y a lieu de noter la diligence exemplaire de la partie défenderesse tant par son mémoire en défense qu’aux éléments de réponses donnés à la Cour sur sa demande.
B. La dévolution du pouvoir d’investigation de la Cour Constitutionnelle
Il est du devoir de la Cour de mener des investigations sérieuses pour asseoir sa conviction dans une situation douteuse et de pleine de contradiction. Elle peut également déléguer cette mission à un de ses membres ou à toute autre personne compétente.
La Cour a rappelé que le requérant a en vain fait envoyé une sommation de dire au Tribunal de Grande Instance de Diffa pour s’assurer de la conformité de l’acte produit dans ses registres par le ministère d’huissier de justice dont procès-verbal est dressé et versé dans son dossier.
Elle puise ces éléments dans les pièces jointes à la requête, objet de sa saisine.
On constate dans les considérants 5 et 6 de l’arrêt que la Cour a délégué souverainement son pouvoir d’investigation au Président du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Diffa pour vérifier si le certificat de nationalité inscrit sur le registre de 1985 a bien été délivré au candidat du Parti majoritaire au Pouvoir. Les recherches effectuées par le TGI de diffa sont revenues infructueuses au motif que ses registres les plus récents sont de 2002, 2003, 2004 et 2005 et sont sur des cahiers de 200 pages.
Le TGI de Diffa ne justifie pas l’absence des registres antérieurs à 2002. Y a-t-il eu, vol, incendie, destruction des registres par Boko Haram ? Est-ce que les différentes missions d’inspection des juridictions par le Ministère de la Justice n’ont rien constaté au niveau du TGI de Diffa ? Pourquoi l’état de la tenue des registres est resté sans aucune mesure de reconstitution ?
Outre les recherches dans ses archives de 2016, la Cour Constitutionnelle a également demandé à la partie défenderesse des explications sur la discordance des numéros et la production de l’acte original ou à défaut la photocopie légalisée.
La partie défenderesse a mis en relief son ignorance et l’absence de souvenance sur la discordance des numéros. Toutefois une copie légalisée sans numéro a été produite dans le dossier de la Cour. Cette dernière s’est repliée sur la variation des numéros des deux certificats de nationalité dont la faute n’est pas imputable à l’intéressé pour fonder entre autres sa décision.
Une candidature à l’élection présidentielle a une importance, on ne peut plus importante, pour que la constitution du dossier ne soit pas prise à la légère.
Il est bien curieux de constater des variations et des discordances dans les éléments constitutifs du dossier pour un candidat habitué des élections depuis la 3e République et disposant non seulement d’un secrétariat aux élections, d’une direction de campagne mais aussi d’un Conseil, faisant partie des ténors du Barreau du Niger. La Cour n’a pas fait preuve de rigueur d’analyse et d’investigation approfondie en se limitant aux informations apparentes du TGI de Diffa et des pièces du dossier. D’où l’exercice flexible de son pouvoir juridictionnel.
2. L’exercice flexible du pouvoir juridictionnel par la Cour Constitutionnelle
Il est important de relever le conservatisme juridique des circonstances pour envisager des réformes de la Cour constitutionnelle.
A. Le Conservatisme juridique des circonstances de la Cour Constitutionnelle
La défense du candidat du Parti majoritaire au pouvoir invoque la caducité du certificat de notoriété de son client au motif qu’il a juste servi pour les besoins de scolarité et de bourses.
La Cour a passé sous silence ce moyen de défense au lieu de chercher à discuter sa pertinence argumentaire car le certificat de notoriété n’a pas une fonction circonstancielle. La photocopie légalisée du certificat de nationalité sans numéro dans le dossier n’a pas également suscité des questionnements dans l’exercice du pouvoir souverain décisionnel de la Cour constitutionnelle. De tout cela, la Cour déduit que rien n’est imputable à la partie défenderesse. Or il est bien connu que tout citoyen dispose d’un droit de rectification de ses actes d’état civil et surtout pour une candidature à l’élection présidentielle.
La rectification permet de corriger les erreurs sur un acte d’état civil et par là assurer l’inscrutabilité de l’éligibilité de la personne concernée. Il existe une procédure au sein de la Cour pour corriger des erreurs matérielles sur ses propres arrêts.
Une telle attention du législateur prouve suffisamment l’intérêt du droit à la rectification des actes personnels ou publics.
L’actif jurisprudentiel démontre quelques hésitations de libération et de création de la Cour constitutionnelle pour des affaires hautement politiques. Pour y remédier, des réformes s’imposent tant sur le plan de la composition que sur le fonctionnement de la Cour.
B. Les réformes du cadre juridique de la Cour constitutionnelle
Les excellentes conditions de travail sous l’épée du serment confessionnel doit assurer la plénitude et l’exercice effectif de toutes les prérogatives constitutionnelles de la Cour.
Cependant, on peut noter le caractère peu glorieux dans la manifestation de sa totale indépendance vis-à-vis de la classe politique et des attentes populaires.
C’est pourquoi, l’article 121 de la Constitution en vigueur concernant la proposition des deux représentants par le Président de la République et du Bureau de l’assemblée nationale doit être revu. Le texte indique la proposition des personnalités par les deux plus grands hauts responsables du pays sans préciser l’autorité ou le comité ad hoc appelé à entériner leur proposition.
Ce serait plus subtil d’y penser à un comité de sélection surtout que tous les candidats à la Cour sont appelés à produire un dossier comportant notamment un curriculum vitae qui permet de juger de leurs qualifications et expériences professionnelles accompagné de tous les documents probants ; un extrait du casier judiciaire ; un certificat de nationalité nigérienne.
Aussi est-il fondamental de revoir le nombre des membres de la Cour et la limitation à une seule procuration par conseiller lors de l’élection du Président et du Vice-Président.
En effet, comme le tirage au sort s'effectue en présence des sept (07) membres de la Cour, sauf cas de force majeure dûment constatée au procès-verbal, il est donc possible d’exiger la présence effective de tous les conseillers. L’article 7 du règlement intérieur sur le point du nombre de procuration par membre de la Cour doit être reformé. Il se pourrait que les deux représentants du Président de la République et du bureau de l’Assemblée nationale puissent disposer de deux procurations chacun pour déjà dégager une majorité de 4 sur 7.
Sept membres composent la Cour Constitutionnelle d’où la nécessité d’élargir le nombre de sept à neuf. L’arrêt commenté a relevé des tâches lourdes et énormes de la Cour au point où, elle se met en situation de ne pas respecter des délais légaux et impératifs.
Deux représentants proposés par le Chef de fil de l’Opposition politique et de l’Association nationale des municipalités du Niger sont à ajouter pour mieux respecter la logique démocratique. Le Chef de fil de l’Opposition politique a un statut particulier et déférant en droit positif, il est donc pertinent qu’il soit représenté.
Les municipalités sont le pivot de la démocratie locale et leur représentation pourra répondre à l’équilibre institutionnel. Retenons que la politique n’est pas une religion et le Droit non plus. Mais lorsque la politique rentre sur la scène judiciaire, le Droit sort par la petite porte. D’où, il est aussi important de retirer le serment confessionnel aux membres de la Cour Constitutionnelle. Son instauration par la classe politique d’après la 3e République relevait plus de la politique politicienne pour justifier l’absence de confiance aux responsables des organes républicains.
Cette question a été largement traitée dans la précédente publication sur les élections d’adieu au Niger mais aussi dans une revue du syndicat autonome des Magistrats du Niger sous la 5e République au premier mandat du défunt père de la Nation, le regretté Tandja Mamadou (Paix à l’âme de l’illustre disparu).
[i] Règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle sur son site internet en date du 10 décembre 2020.
Par Me AMANI Yahouza, Avocat à la Cour