La ruée vers le fauteuil présidentiel : quels critères pour figurer parmi les favoris à l’aune de l’histoire politique post-conférence nationale du Niger ? / Par Abdourahamane Oumarou LY
Le scrutin présidentiel 1er tour, prévu pour le 27 décembre 2020, c’est tout naturellement que les prétendants au fauteuil présidentiel se manifestent les uns après les autres. En ce début du mois de novembre 2020, la presse fait déjà état de 30 candidats déclarés[1]. Certes, il reviendra à la Cour constitutionnelle, conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution et du Code électoral, de déclarer parmi eux les heureux éligibles, mais tout laisse croire que même avec des recalés, il y aurait un afflux de candidats plus que de coutume. Aussi, depuis l’ouverture démocratique des années 1990, jamais autant de prétendants ne se seraient bousculés au portillon du palais présidentiel. Abondance de candidatures ne nuit pas serait-on tenté d’affirmer.
Pour certains, cette inflation, signe de vitalité démocratique, est l’occasion pour les électeurs d’avoir une large palette de choix parmi autant de projets de sociétés que de candidats.
Pour d’autres, cette pléthore de candidatures, signe d’un appétit politique certain, n’est ni plus ni moins qu’une banalisation de la fonction suprême.
Si tous les candidats éligibles à la course présidentielle sont placés sur la même ligne de départ, à l’aune de la sociologie politique Nigérienne, incontestablement les favoris sont à rechercher parmi ceux qui remplissent un certain nombre de critères (1). Toutefois, les candidatures des outsiders (indépendants et petits partis) que Jean Garrigues appelle les candidatures de témoignage ne sont pas dépourvues de tout intérêt (2).
- Les critères d’éligibilité en faveur des grands partis
Nous sommes dans les conditions politiques[2] qui ne s’acquièrent pas du jour au lendemain et qui contribuent fortement à l’élection d’un candidat. Olivier Duhamel formule l’équation de l’éligibilité (E) à la présidentiable comme suit : E = N+ O+ P+ X. Il s’agit de la notoriété (N), de l’opinion publique favorable (O), du soutien d’un parti politique (P), et de la stature d’homme d’Etat (X). Dans le contexte nigérien, à ces variables, nous ajoutons le financement (F). On se rend compte que les partis qui remplissent ces conditions en arrivent à se permettre quelques libertés par rapport aux textes.
- La notoriété : la notoriété s’acquiert au fil du temps. La reconnaissance des personnalités politiques passe par une carrière professionnelle riche au cours de laquelle, elles auront occupé divers postes de responsabilités. A titre illustratif, parmi les candidats présidentiables, on relève un ancien président de la République, des anciens présidents de l’assemblée Nationale, premiers Ministres, ministres, députés etc. Ceux là sont déjà connus de l’opinion publique. Depuis la période post- conférence nationale, les lois politologiques révèlent qu’en dehors des régimes d’exception (militaires) dont il ne sera pas tenu compte[3], les présidents élus, sauf Monsieur Mahamane Ousmane[4], ont tous eu une vie publique assez remplie.
A contrario, faire irruption du jour au lendemain sur la scène politique ne donne aucun gage de succès dans l’immédiat. On se demande pourquoi, ces nouveaux présidentiables veuillent brûler les étapes en briguant directement la magistrature suprême sans passer par les fonctions d’élu local ou même la députation.
- La popularité auprès l’opinion publique : elle découle de la notoriété, il faut être connu pour être apprécié. On attribue à Rousseau la première utilisation du terme d’opinion publique dans son sens contemporain: «l’empire du jugement des autres». C’est à travers les médias que la classe dirigeante et l’opposition occupent l’espace public, font connaître leurs actions. Et l’opinion publique porte ses jugements, attribue ses bons et mauvais points, approuve ou réprouve leurs propos et faits. Le rôle des médias dans le façonnage de l’opinion publique est déterminant, d’où les mésententes récurrentes entre l’opposition et le pouvoir quant à leur accès. A défaut de visibilité, sans pouvoir mettre un nom sur le visage d’un présidentiable, à l’heure du bulletin unique, comment l’électeur pourrait-il le choisir ? Comme si certains candidats ne se rendent pas compte du rôle considérable des médias en ne saisissant pas les occasions offertes par les évènements de portée nationale pour prendre position[5]. Dans ces conditions, briguer la magistrature suprême reste hasardeux et les motivations qui poussent à agir incompréhensibles ; sous d’autres cieux, on aurait qualifié ces candidats de "plaisantins".
- Le soutien d’un parti politique : le parti politique constitue une machine électorale structurée avec des instances de réflexion, de mobilisation, des sources de financement. Il va sans dire que le candidat qui dispose d’une telle structure est avantagé par rapport au candidat indépendant, tenu de mettre en place une organisation ad hoc et des relais sur le territoire national, à ses frais.
- La capacité reconnue d’homme d’Etat : cette capacité ne désigne pas seulement les dirigeants de l’Etat qui exercent le pouvoir mais englobe aussi les personnalités politiquesréputées avoir la capacité de le faire en cas d'accès au pouvoir. Ce critère rejoint la notoriété. Dans le système nigérien, ils se recrutent forcément au sein des leaders des grands partis, sans dénier toute aptitude aux autres.
- Le financement : l’argent occupe un poids excessif dans la vie publique. Les partis au pouvoir disposent d’une longueur d’avance, eux qui peuvent attribuer les marchés publics à leurs opérateurs économiques à charge pour ces derniers d’assurer le financement des activités de fonctionnement du parti et les campagnes électorales. S’il y a lieu, il est fait recours à l’extérieur.
Les leaders disposant de peu de moyens ont beau sensibiliser les citoyens d’accepter les cadeaux offerts par les partis nantis, « bouffer » et voter pour les partis de leurs choix, ce discours a du mal à passer. L’achat des consciences produit ses effets et les grands partis s’en donnent à cœur joie, ce d’autant plus que les dépenses électorales ne sont ni plafonnées, ni contrôlées.
Au vu de ce qui précède, il résulte de l’évolution politique du Niger que les partis qui disposent des atouts sus-indiqués figurent parmi les favoris à l’élection présidentielle. Cette position privilégiée leur permet de s’adonner à des activités à la limite de la loi ; c’est le cas de tous ces grands partis dont les leaders ont déjà entrepris des "tournées de prise de contact ou de proximité" ; sous le regard impuissant de certains candidats qui attendent l’ouverture officielle de la campagne. Les médias couvrent abondamment ces activités, en publi-reportage ou non.
Les candidats indépendants et les petits partis, en dépit de leurs chances infimes de l’emporter, ont un rôle à jouer dans l’élection présidentielle, à divers niveaux.
- Le rôle des petits partis et des candidats indépendants dans l’élection présidentielle
Pour qui est à la recherche d’idées innovantes et de programmes captivants, les petits partis et les candidats indépendants les offrent, qui plus est, ils peuvent soit, jouer les trouble fête, soit se faire désirer dans l’éventualité d’un second tour.
- Des programmes basés sur le changement
A lire ou écouter les programmes des candidats indépendants et des petits partis, l’idée maîtresse qui transparaît c’est le changement, à au moins deux niveaux. D’abord le renouvellement du personnel politique. Les jeunes leaders estiment que depuis la conférence nationale, on assiste à un jeu de chaise musicale entre les mêmes hommes/femmes politiques (Salim Salim Zanguina de Force Niger sur Dounia TV, octobre 2020), incapables de s’entendre. Le dégagisme est une volonté unanimement partagée par tous les jeunes leaders, mais force est de constater que dans tous les pays du monde, le renouvellement générationnel ne s’opère pas du jour au lendemain à cause justement des raisons sus évoquées.
Ensuite, pour la jeune classe politique, les programmes mis en œuvre jusque-là n’ont pas produit de résultats, pour ne pas dire qu’ils se sont soldés par un échec ; ils en veulent pour preuves, depuis des lustres, le classement peu enviable du pays au niveau de l’IDH, la faillite de sociétés composant le maigre tissu industriel à l’instar de la Braniger, de la Sonitextil (Dr Souleymane Abdallah de Nigerena, sur TV Dounia le 30 octobre 2020).
- La volonté affichée de déranger les partis d’origine
Parmi les partis nouvellement créés, beaucoup de leaders transfuges n’ont pas quitté en bons termes avec leurs anciens camarades. Des mésententes, des querelles ou des ambitions (légitimes ?) frustrées expliquent les scissions (M. Alma Oumarou du RPP-Farila, transfuge de MPR-Jamahuriya, M. Ousmane Idi Ango de l’ADR-Mahita, transfuge du PNDS Tarayya, M. Mounkaila Issa du RNDP-Anneima Bani Zoumbou, transfuge de l’ANDP Zaman Lahiya ) pour ne citer que ceux-là. En quittant leurs partis, les transfuges cultivent le vœu cher de se faire regretter en laissant un grand vide difficilement comblable. Et si ces nouveaux leaders peuvent se placer dans une position de trouble-fête en détournant l’électorat du parti-mère, ils ne s’en priveraient pas. Histoire de vengeance.
- Le moment tant attendu par les petits partis et les candidats indépendants : la négociation des alliances électorales
Lorsque les petits partis et les candidats indépendants réalisent un score honorable au premier tour, ils peuvent se faire désirer y compris par leurs anciens partis dans le cadre des alliances du second tour. En la matière, toutes les combinaisons sont possibles. A travers ce jeu, certains font le bon choix et finissent par se retrouver avec le candidat élu à la magistrature suprême, donc au pouvoir avec tous ses privilèges.
Au total, dans l’histoire politique post-conférence nationale, les élections présidentielles ont toujours couronné une personnalité à l’expérience politique certaine, connue du grand public, soutenue par une grosse machine partisane structurée et capable de mobiliser des ressources financières. Ces lois politologiques n’ont pas encore été démenties, qui sait peut-être à l’occasion des élections de 2020/2021 ?
Abdourahamane Oumarou LY
Contributeur
Bibliographie
Olivier Duhamel, Guillaume Tusseau, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Seuil 3ème édition 2013 ;
Abdourahamane Oumarou LY, Partis politiques, démocratie et Etat de droit en Afrique : l’exemple du Niger, Paris, Harmattan, 2017.
[1] La Roue de l’histoire du 29 octobre 2020
[2] Il y a lieu de les distinguer des conditions juridiques d’éligibilité sur lesquelles la Cour constitutionnelle se prononce, qui sont les mêmes pour tous les candidats.
[3] Le Général Baré fut une exception, bien qu’issu de l’armée, il occupa des fonctions ministérielles (Santé publique).
[4] Cela peut aisément s’expliquer par le fait que la période post-conférence Nationale fut une période "révolutionnaire". Il fallait coûte que coûte balayer la classe politique en place et la remplacer par des hommes neufs, peu importe leurs expériences politiques et/ou administratives.
[5] A l’exemple du candidat (Dr Abdoulaye Amadou Traoré, candidat indépendant d’abord, puis fondateur de PPNU Sawyi) qui se présente régulièrement à l’élection présidentielle (2011 et 2016), et s’éclipse après le scrutin pour refaire son apparition à la prochaine élection présidentielle.