Surenchères des frais de scolarité privée : Ecoles privées ou entreprises mercantiles ?
En cette veille de rentrée scolaire, après les vacances estivales annuelles, le monde de parents d’élèves de la capitale est sur le gril, face au renchérissement vertigineux des frais de scolarité dans certains privés de la place.
Le constat du déclin progressif du système scolaire national ne date pas d’aujourd’hui, mais bien des années avec le désengagement de l’Etat dans les domaines sociaux de base, comme l’éducation et la santé, pour appliquer des programmes néo-libéraux de privatisation sauvage imposés par les utopistes et les doctrinaires des institutions de Bretton Woods, au tournant des années 80. En faillite économique, suite à la détérioration des termes des échanges pour écouler leurs matières premières, les Etats du Sud, principalement ceux d’Afrique subsaharienne, ont été obligés à abandonner ces deux secteurs très importants dans le devenir de leurs peuples, pour mettre en place des politiques ultra-libérales avec tout ce que cela comporte en termes de conséquences sociales et anthropologiques incalculables pour ces jeunes et fragiles Etats. En fait, il s’agissait de détruire le modèle d’une école populaire, entièrement à la charge de la république, creuset de la citoyenneté, de l’égalité républicaine et de l’unité nationale, pour y mettre à la place un système inadapté aux réalités de ces pays. L’école publique, celle qu’avait pensée Jules Ferry, le partisan farouche de l’instruction publique, est en train de laisser la place à une lente, mais sûre marchandisation de l’éducation aux mains du privé qui peut imposer ses règles, comme bon lui semble, face à la démission des pouvoirs publics face à leurs responsabilités régaliennes. Que l’on se comprenne bien, il ne s’agira point pour nous, dans cet article, de pourfendre l’enseignement privé dans son ensemble, mais bien de nous interroger, simplement, si l’école est un pur lieu de business florissant, ou une institution particulière, au-dessus de considérations mercantilistes, vénales, appartenant au monde des valeurs fondamentales de la société. En effet, l’apport de l’enseignement privé au Niger reste appréciable, par le biais d’établissements scolaires privés sérieux, professionnels, mus principalement par des considérations d’ordre moral mais qui ont dû se laïciser sous les besoins réels du pays. Le constat alarmant concernera ce nouveau type d’enseignement privé foncièrement et purement commercial, désorganisé, qui jette, aujourd’hui, bon nombre de parents d’élèves dans le désarroi total face à cette loi de la jungle qu’instaure cette lamentable conception de l’éducation, notamment, le rehaussement spectaculaire des frais de scolarité dans certains établissements scolaires privés de la place, décidé unilatéralement par ceux que l’on nomme, couramment, ‘’Messieurs les fondateurs’’. Ce sont ceux-là, aujourd’hui, les représentants attitrés de l’enseignement privé au Niger, qui se recrutent dans toutes les couches socioprofessionnelles nationales, même au sein de milieux n’ayant rien avec le monde de l’école. Cette caste de promoteurs d’écoles privées au Niger est, souvent, reconnaissable, à première vue, par d’aspects communs de trimbaler toujours un ordinateur portable contenant tous les renseignements utiles sur ses établissements, arpentant les couloirs de l’Administration publique, à la recherche de contrats de formation, louant, souvent, d’immeubles sans cour-arrières et non prévus pour être de salles cours, et employant d’encadreurs au rabais. Ainsi, à chaque coin de rue de la capitale, que ce soit au centre-ville ou dans la banlieue, ces établissements scolaires privés rivalisent avec les antennes paraboliques installées sur les toits des maisons, par d’enseignes publicitaires, souvent trompeuses ou carrément mensongères sur les filières d’enseignement proposées au public. Exploitant souvent la naïveté de parents d’élèves peu avertis de la question de formation technique et professionnelle, ces établissements scolaires privés sont, tout simplement, des entreprises purement mercantiles, commerciales, loin des nobles idéaux d’une école de qualité, à défaut d’être accessible à tous, concernera, néanmoins, le grand nombre de citoyens. En plus de bénéficier de subventions publiques annuelles, ces vampires scolaires se montrent sans pitié face une clientèle abandonnée à son triste sort qu’ils soumettent à leur diktat quotidien de fixer unilatéralement les tarifs de scolarité, sans indice légal précis, sans égard au portefeuille de leur clientèle, dans l’indifférence totale des pouvoirs publics, quand certains de ces responsables publics sont aussi des complices dans la marchandisation galopante de l’enseignement privé. Partout au monde, dans les Etats dignes de ce nom, les frais de scolarité publique ou privée font l’objet d’une attention toute particulière, du fait, sans doute, de la spécificité de la question scolaire, à savoir l’éminente place du système scolaire dans la vie d’une nation. Même les Etats dits de type libéral ne laissent jamais au privé le privilège de fixer, de façon unilatérale, leurs tarifs qui doivent toujours être indexés par rapport à certaines données économiques, fiscales ou environnementales précises. Mais, au Niger, l’Etat a capitulé sur ce terrain, en fermant, délibérément, les yeux sur ces dérives commercialistes vers lesquelles se dirige, aujourd’hui, une bonne partie de l’enseignement privé du pays. Ainsi, l’enceinte de l’Ecole Terminus II de Niamey peut bien être mise à la disposition d’une université privée étrangère, par un bail emphytéotique, sans que cela puisse émouvoir, outre mesure, tous ceux qui étaient attachés à un enseignement public gratuit de qualité, aussi bien à la portée du fils du paysan qu’à celle de l’enfant du riche ! Aujourd’hui, cette école républicaine, égalitaire, qui avait permis au Niger post-indépendant de continuer à se construire, après le départ de la tutelle coloniale qui assurait la gouvernance du pays, est en train de disparaître, progressivement, dans l’indifférence générale de tous, pouvoirs publics, structures disciplinaires, partenaires sociaux et parents d’élèves. En effet, chacun de ces protagonistes a sa part dans la survenance de ce drame scolaire national, mieux de cette tragédie scolaire que vit le Niger contemporain. Les gouvernements se succèdent à la tête du pays, mais, le problème de l’école, d’une manière générale, demeure entier et finit de convaincre les derniers sceptiques sur l’incapacité structurelle du Niger contemporain à réformer son système scolaire totalement grabataire. D’une manière générale, c’est même la présence à l’école qui se pose, de nos jours, lorsque les diplômes ne suffisent plus à justifier les mérites et les responsabilités personnelles ou collectives au sein de la société ; celle du type d’école qui convient au monde présent et à ses grandes exigences et complexités. Car, tout projet pédagogique présuppose, nécessairement, des choix anthropologiques pour savoir dans quel type d’hommes et de femmes nous voulons former à la citoyenneté d’aujourd’hui et de demain. On a beaucoup pointé, dans ce désastre scolaire national, la responsabilité première du régime démocratique survenu dans la gouvernance politique du pays. Sauf qu’il faudrait, objectivement,nuancer ce constat par le fait que ce genre de régime politique n’est pas forcément porteur de tels travers, qui sont, plutôt, le résultat d’une certaine conception de la démocratie dans le pays ; piètre conception ayant abouti, dans les faits, à une instrumentalisation des suffrages populaires à des fins purement partisanes ou claniques. Dans ‘’ce chaos démocratique’’, l’institution scolaire nationale a pris un coup mortel avec la politisation rampante de l’administration publique qui a durablement hypothéqué les belles promesses d’une société démocratique, libre, égalitaire où les droits de chacun sont reconnus et protégés.
On dit, souvent, que le système scolaire d’un pays donné est le fidèle reflet de son état actuel, c’est-à-dire qui témoigne, à la fois, de ses espérances et de ses angoisses. C’est pourquoi, la crédibilité de toute réforme du système scolaire national ne pourra que s’inscrire dans un changement profond global de toute la société, dans son ensemble, au-delà de simples mots, de professions de foi et de voeux pieux auxquels l’on assiste dans la tragi-comédie qui se joue, actuellement, sous le regard ricanant d’une société endormie et insensible à la douleur d’une nation, de plus en plus, mal éduquée et mal formée. A-t-on seulement conscience de l’urgence et de l’impératif catégorique de la question ? Toute la question semble être là, manifestement !
Sanda