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Au-delà d’une révolution dans l’éducation nationale : Interview avec le Conseiller Spécial du Président de la République du Niger Responsable de la cellule éducation, M. Salim Mokaddem

«La population du Niger manque cruellement d’accès à une éducation secondaire de qualité, surtout dans les milieux ruraux et nomades. Lors du Sommet sur l’Education à New York en septembre 2022, le Président Bazoum rencontrera les bailleurs de fonds pour présenter sa vision d’investissement dans le capital humain. Il s’agira de soulever des questions de fonds pour construire 100 collèges-internats dans un premier temps sur les cinq prochaines années. L’objectif de ce projet d’envergure est d’offrir une éducation secondaire de qualité aux filles et de les maintenir à l’école. Indirectement, cette stratégie aura le potentiel de prévenir les mariages et grossesses précoces et de rompre le cercle vicieux combinant pauvreté et hautes fertilité et mortalité maternelle et -infantile.

Une équipe du Fonds des Nations Unies pour la Population s’est entretenue avec Mr Salim Mokkadem pour discuter des tenants et aboutissants de ce projet. Cet article relate les points saillants de ses propos.

Quelle est votre expérience personnelle par rapport aux internats pour jeunes filles ?

«Je connais les internats par une expérience familiale liée à ma sœur, qui a une dizaine d’années de plus que moi, qui est psychiatre et qui a vécu dans les internats du second degré (collège, lycée) à une certaine époque. Elle a donc bien connu les internats dans les années 60, c’est-à-dire,  à un moment où la scolarisation, notamment des jeunes filles, était plus qu’importante dans le monde entier, non simplement en Afrique, mais également en Europe et en Asie, comme vous le savez, suite aux événements tragiques et aux bouleversements familiaux, psychosociaux, liés à la Deuxième guerre mondiale et puis aussi aux questions liées à l’émancipation des femmes et à l’émergence des problématiques liées au genre. Ces internats d’après-guerre, d’un certain type, ont produit des évènements très positifs pour plusieurs raisons.

«D’abord, premièrement, parce que l’internat permet de faire une coupure essentielle vis-à-vis de la famille,  il coupe la jeune fille, l’élève, d’un milieu familial à un moment donné, et ceci est très positif globalement pour la croissance cognitive, affective de l’adolescente et pour promouvoir et favoriser la maturité socio-affective et psycho-sociale. Le fait de pouvoir se séparer d’un environnement qui peut être trop fusionnel, et donc écraser la psyché de l’enfant et empêcher son autonomie, surtout dans un environnement musulman ou les femmes sont généralement soumises à un ordonnancement très hiérarchisé et une souveraineté patriarcale, cela leur permet de se découvrir en tant que subjectivité libre et de pouvoir prendre le temps de réfléchir à leur existence indépendamment d’un contexte familial normé, cadré, traditionnel ou classique, qui reproduit les hiérarchies et les biais de domination existant dans es familles ou les dispositifs scolaires à l’instar des classes « genrées » ne permettant pas une émancipation individuelle authentique. Donc, d’un point de vue expérientiel et d’un point de vue purement personnel, j’ai pu en effet constater les effets positifs d’acculturation au sens très large que peuvent produire la séparation avec un groupe familial isolé et le fait de couper une jeune fille d’un environnement par trop traditionnel et conservateur de type patriarcal. Le fait d’être mixé, mélangé, avec d’autres personnes, d’autres classes sociales, d’autres familles avec d’autres histoires, d’autres langues ou cultures, ou expériences de vie, le fait de pouvoir échanger ave un autre véritablement autre, le fait de se comparer à un alter ego et de se confronter à d’autres jeunes filles de sa classe d’âge mais éloignées de soi, cela a des vertus psychopédagogiques essentielles et joue positivement sur la formation de l’individu,  sur la constitution de soi, de la subjectivité, sur le développement intellectuel, la maturité affective, la décentration et l’ouverture critique à la compréhension du monde, de soi, des autres.

Le deuxième point positif du dispositif scolaire de l’internat pensé comme un lieu social et pédagogique concerne, d’une certaine manière qu’on peut appeler anthropologique, la configuration sociétale et structurelle des sociétés où il prend sens. Le Niger fait partie d’une zone sahélo-saharienne. Qu’il y ait des internats permet aux jeunes filles d’être protégées socialement des bouleversements politiques, des guerres aux frontières, des attentats terroristes, d’une certaine violence endémique à la société sahélienne, et ainsi de pouvoir grandir dans une sécurisation affective et sociale qui est essentielle au développement sociocognitif de l’enfant. Je ne vous ferai pas l’offense de vous rappeler en quoi la pyramide de Maslow prend sens dans la réalité psychopédagogique de l’enfance et de l’adolescence ; en effet, les besoins de sécurité sont essentiels pour les apprenants afin qu’ils-elles puissent oser, se risquer et prendre sde risques intellectuels, afin de poser la construction du lien symbolique comme essentiel à l’acte d’abstraction et de communication, d’une part, et d’autre part, pour se déterminer d’une certaine façon aussi, en sortant de sa zone de confort, de ses facilités, sans peur d’être méjugé-e, et ainsi s’autoriser à se développer et à prendre des risques. Parce qu’apprendre, c’est aussi prendre des risques, c’est en effet risquer de se tromper, et accepter l’erreur comme méthode de correction, comme logique d’apprentissages par retour sur soi et sur ses erreurs pour intérioriser des schémas mentaux cognitifs et changer ses procédés et ses méthodes d’apprentissages. On reviendra peut-être sur ces logiques de cognitions et ces postures pédagogiques essentielles pour comprendre et acter le fait éducatif dans l’enseignement et dans l’apprentissage. Il y a des éléments inhibants dans certains évènements de la culture traditionnelle, en Afrique et ailleurs dans le monde.

L’erreur est encore en Afrique subsaharienne considérée comme un péché et non comme un outil qui permet de progresser. Vous et moi, nous savons aussi que, malgré le caractère négatif de l’erreur, le fait de se tromper et de comprendre la logique de ses erreurs, de les reconnaitre, est essentiel pour progresser et avancer dans ses connaissances : se corriger, dans les structures traditionnelles, se tromper, est malheureusement encore trop considéré comme un événement rédhibitoire. C’est-à-dire que c’est pensé et relié à une sorte de carence, de faute morale, voir de péché, donc l’erreur est corrélée à une forme d’infériorisation, à une forme anthropologique de minoration et d’impuissance, de honte, de stigmatisation. Donc le fait d’être protégé, d’être sécurisé, dans une classe, dans un internat dans une structure pédagogique, permet aux jeunes filles d’avoir cette assurance, de construire cette sécurité affective dot nous avons tous besoin pour apprendre sereinement, et pour valoriser cette compétence de prise de risque nécessaire pour développer son intellect et son autonomie. La structure de l’internat, en sécurisant affectivement les adolescentes, leur permet alors d’acquérir des compétences qu’elles n’auraient pas acquises si elles avaient été maintenues dans d’autres contextes plus fermés, plus conservateurs, plus culpabilisant.

Le troisième point positif, c’est un point sur lequel on ne peut pas continuer à se voiler la face, qui est lié au caractère très pauvre de l’Etat du Niger. Le fait de pouvoir avoir des structures pédagogiques dans lesquelles un enseignement suivi, continu, est fait par une équipe d’adultes – bien sûr, qui doivent être, eux aussi, formés dans des contextes spécifiques, car on n’enseigne pas de la même façon dans un internat que dans une classe libre et ouverte- permet, outre la sécurisation effective matérielle du parcours socio-scolaire et de l’alimentation, de suivre, à moindre coût, des cohortes de jeunes filles qui, d’une certaine manière, auront l’implication pédagogique et le suivi qu’elles n’auraient pas eus si elles étaient restées dans un contexte classique, familial, différent du contexte innovant et sécurisant de l’internat. C’est-à-dire que le fait de pouvoir suivre, observer, de voir les enfants, les jeunes filles, du matin au soir, de constater leur difficulté personnelle d’ordre psychopédagogique et sociale, de suivre au plus près leur développement personnel, cela permet alors de faire  de leur profil cognitif et de travailler selon des  évaluations différenciées, et de faire une évaluation qualitative du progrès d’acquisition des connaissances chez les élèves, considérées de manière individuelle, de manière globale et holistique, et de les suivre de façon personnalisée, et de ne pas être dans l’appréciation générale plus ou moins anonyme. Dans le cadre de l’Ecole standard, et classique, l’élève est plus pris en compte dans son individualité et dans sa singularité par rapport à une classe dite normale, par rapport à un standard d’évaluation magistrale et générale. Mais étant donné le caractère micro sociétal que revêt un internat, il y a la possibilité très concrète de personnaliser les apprentissages et cela permet ainsi un suivi individuel et une programmation profilée de pédagogie différenciée adaptée aux difficultés réelles et aux profils cognitifs singuliers des élèves.

Un quatrième point positif qu’il me semble important de mentionner et qui est un gain majeur pour les effets de citoyenneté qu’il produit, c’est la réforme professionnelle et institutionnelle que ce type de structure va produire chez les adultes, et même chez les enfants, parce qu’ils seront obligés de travailler en équipe. Mon expérience me montre qu’il y a de grandes difficultés, au Niger, pour les équipes enseignantes, à mettre en place les compétences spécifiques du travail en équipe. Donc le fait d’être dans une microsociété un peu isolée du monde extérieur, avec une sécurisation affective et une sécurité alimentaire, obligera les adultes à avoir des responsabilités, à développer des programmes, des agendas de recherche, de (re-)mise en question, d’avoir des interactions avec leurs pairs. Ce qu’on appelle, dans le jargon pédagogique, les conflits sociaux cognitifs vont les opposer, les obliger à vivre avec leurs différences et à confronter de façon critique et dialectique leurs méthodes, leurs façons de travailler, leurs points de vue. Ca sera très positif pour les adultes, pour les enfants, pour les équipes pédagogiques et ca sera également très positif pour les élèves de voir qu’on s’occupe d’eux, collectivement, et que ça ne vient pas uniquement de l’extérieur d’un unique professeur ou enseignant tout puissant, mais qu’il y a une auto détermination des équipes pédagogiques et administratives, qu’il y a des agendas et des programmes particuliers les concernant, des évaluations spécifiques, des événements pédagogiques particuliers les concernant, etc. Cela aura également des effets bénéfiques sur la société alentour qui va être aussi concernée et impactée par les logiques socio-scolaires mises en place dans ces internats.

Qu’est-ce que c’est que ce lieu de mouvements divers, ordonnés, pensés, évalués, où il y a des jeunes filles qui apprennent, qui font des sorties, qui ont des activités pratiques, pédagogiques, qui, peut-être, vont faire de la littérature, c’est-à-dire faire un petit journal imprimé, qui vont avoir des activités avec des parents d’élèves, avec leurs pairs, avec les COGES, les assemblées de parents d’élèves, les équipes pédagogiques, qui vont aussi peut être participer dans certains internats, à la co-construction de leurs écoles en faisant en partie les murs d’enceinte des internats, et donc prendre part de façon responsable et engagée dans leur lieu de vie, et prendre part de façon essentielle à la co-construction  de leur lieu de formation, sinon un lieu de vie pleine et qui a du sens pour ces élèves ?.

En conclusion, pour ces quatre raisons majeures, il me semble que les internats, avec les conditions de sécurité, de formation des enseignants, de garantie alimentaire requises, me semblent être une innovation pédagogique pertinente et doivent être suivis et soutenus du fait de leur originalité et des gains de formation à tout niveau tout à fait certains.

Je vous remercie pour la clarté de vos propos. Est-ce que vous connaissez des évidences sur les bénéfices des internats dans le milieu rural et en Afrique subsaharienne ? Je vois, déjà les bailleurs de fonds dire oui, c’est très bien, mais quelles sont les évidences du coût bénéfice de ces approches internats versus externats ? Est ce qu’il y a d’autres alternatives éducationnelles qui feraient tout aussi l’affaire ?

Pour les preuves, pragmatiques et effectives, on a plusieurs données statistiques et historiques qui sont propres à l’histoire du Niger. Pratiquement, toutes les élites du Niger, depuis les années 60, viennent des internats. Il y a un effet positif émulateur certain des internats sur des cohortes de jeunes gens. Les internats ont été des lieux de vie et des centres sociaux importants dans toute l’Afrique de l’Ouest sur les populations concernées.

Le deuxième élément pragmatique qui plaide en leur faveur, c’est l’effet de décharge sociale et économique que produisent les internats sur les familles car elles sont assurées que leur progéniture ait de quoi manger et soit protégée des aléas de la vie sociale, de la pauvreté, des harcèlements divers et de la violence sociale endémique aux sociétés pauvres. Vous savez qu’il y a des incursions de terroristes actuellement sur le territoire. Il y a de l’insécurité notamment à l’Ouest, au Nord-Est et à l’extrême Sud-Est. Les internats donnent, de ce fait, une forme d’assurance aux populations que leurs filles seront protégées, à l’abri du besoin, en un lieu sécure, donc elles auront moins d’anxiété. Les élèves internes sont certainement plus productives et plus citoyennes au sens propre du terme, dans la mesure où elles s’intègrent plus, elles réfléchissent plus de manière désengagée sur les problèmes personnels et individuels qu’elles sont susceptibles de rencontrer. Et, ça c’est un élément non négligeable dans les effets positifs et concrets, qu’on pourrait dire sociopolitiques, de la vie en commun dans les internats.

Le troisième élément, que j’aurai dû mettre en premier lieu, porte sur les évaluations concernant les résultats des élèves. On a eu récemment les résultats des premiers et deuxièmes cycles des examens de fin d’année qui ne sont pas très brillants au niveau national. Ça varie entre 30% et 35 % de réussite selon les régions. Or, il est clair que quand on vit en circuit fermé, en internat, on peut faire, ce qu’on appelle en langage pédagogique, des examens blancs ou des « colles » les samedis matin. On peut aussi aménager les curricula, les emplois du temps, les remédiations, les soutiens set renforcements disciplinaires, les tutorats, en fonction du profil des élèves en difficulté et on a plus de temps pour se consacrer, d’une certaine façon, aux profils et aux besoins des élèves.

Donc les résultats au niveau des évaluations, je parle des résultats aux examens, sont beaucoup plus positifs dans les secteurs fermés que dans les écoles ouvertes ou semi-ouvertes. D’abord parce que les enseignants, dans les milieux fermés, peuvent suivre beaucoup plus facilement, dans une sorte de continuité pédagogique, les enseignements et les apprentissages de leurs élèves. Et deuxièmement, parce qu’on est plus en flux tendu, on réagit donc immédiatement à la mauvaise note, au problème de l’élève, de la classe. Parce que quand il est à la maison, un élève est distrait par les activités, par les problèmes, par le fait d’aller chercher du bois, de travailler, d’être sollicité par le socius… Bref, il est immergé dans un type de problème qui fait diversion par rapport à son métier d’élève. Car c’est là le but : faire en sorte qu’une période de la vie d’un enfant soit consacrée uniquement à des acquisitions de compétences et à des apprentissages. On en est loin dans les pays subsahariens et en Afrique en général. Mais c’est ça le but : élever le niveau scolaire, maintenir les élèves à l’école, au collège, au lycée, et travailler à former les ressources ou le capital humain – même si je n’aime pas ces expressions maladroits des économistes peu soucieux de prendre en compte l’humain dans leurs analyses « scientifiques » – nécessaire et utile au développement socioéconomique du Niger. L’évidence qualitative est reportée sur les améliorations du climat scolaire et renforce les résultats qu’on peut alors apprécier par le biais d’évaluations quantitatives renseignées.

Et puis, il existe un autre type de faits qui plaide en faveur des internats qui me semble important à mentionner, surtout en ce moment très disruptif ou les réseaux sociaux ont tendance à diviser les sociétés et pas simplement dans les sociétés en voie de développement mais dans toutes les sociétés du monde. Le fait qu’il y ait d’une certaine manière un peu moins d’Internet de loisirs, un peu moins de réseaux sociaux, un peu moins d’applications virtuelles dans les internats et l’obligation pour les élèves d’avoir à discuter entre eux, d’avoir à se confronter physiquement en présentiel, même quelquefois, à se disputer, à se chamailler, bref à avoir des problèmes sociaux et affectifs qui sont des problèmes de leur âge et pas des problèmes virtuels qui viennent d’ailleurs, des problèmes idéologiques liés à l’insertion d’un monde socioéconomique dans leur univers affectif, le fait de se parler entre pairs, de se reconnaître, de s’éprouver en chair et en os, leur donnera une dimension citoyenne certaine. . Nous sommes donc plus qu’enthousiastes et positifs à plus d’un titre sur les retombées sociales, pédagogiques, psychoaffectives et didactiques, des internats. Les enfants évoluent dans un cadre sain, avec des questions, des rythmes de vie qui sont les leurs, et non pas avec des questions qui viennent de Tik Tok, d’Instagram ou de je ne sais trop quel univers virtuel déréalisant, chronophage et destructeur d’’attentions. Donc là, on a les preuves concrètes.

On le voit bien : quand les élèves arrivent des campagnes et qu’ils continuent leur cursus scolaire en ville, on sent que le calme rural et la protection social jouent en leur faveur, étant plus en conformité avec des valeurs de respect, de politesse, de citoyenneté. J’ai l’exemple des cohortes d’élèves que j’observe à Niamey. Au départ, ils sont un peu moins habitués aux usages urbains, mais ils ont un peu plus de moralité que les enfants des villes. Ils ont en eux des valeurs traditionnelles issues de la campagne, de leur famille, et ils sont un peu moins sujets au divertissement et à la consommation facile. Il faut quand même le dire parce que c’est quelque chose dont on ne parle pas assez : il y a des valeurs traditionnelles en Afrique qui sont très positives. Le respect de l’autorité notamment joue dans le rapport à l’enseignement car le fait de respecter les anciens facilite le respect de adultes que sont les enseignants. Et une des difficultés qu’ont les élèves en ville ou dans les espaces semi-ouverts, c’est que l’autorité des enseignants est souvent mise à mal par la jeunesse un peu perdue des villes, en quête d’identité et de reconnaissance affective. Dans un espace traditionnel, l’enseignant, c’est aussi l’aîné et c’est aussi le représentant symbolique de l’ancienneté ; il est donc respecté. Ça aussi, c’est un garant d’absence de délinquance, de valeurs citoyennes et de climat scolaire positif.

Et est-ce que vous connaissez d’autres modèles d’internat dans d’autres pays similaires au Niger ? Est-ce que vous avez pu en visiter ?

J’en ai visité quelques-uns en Corée du Sud, en Allemagne, en Algérie et au Nigeria. J’irai en visiter quelques-uns dans les pays des Caraïbes qui ont des profils sociohistoriques similaires à ceux du Niger. J’en ai visité quelques-uns dans les pays du sud comme le Benin et le Togo. Il y a des avantages certains dans le comparatisme éducatif, mais, il y a aussi des particularités et des particularismes non reproductibles ou transférables.

Par exemple, dans les pays de la côte de l’Afrique de l’Ouest, on est beaucoup plus catholiques, protestants, que musulmans, et l’internat procède d’une culture de la communauté écclésiale ou évangélique. Je ne dis pas ça de manière péjorative, mais ces valeurs scolaires viennent aussi de l’histoire spécifique souvent liée au passé historique et  culturelle de la colonisation au sens où il s’agissait de faire une communauté, d’enseigner les religions du colon, d’enseigner des pratiques collectives portant les valeurs du monde colonial. Il existe des valeurs communes et communautaires dans l’espace ouest-africain. Il ne s’agit pas de le nier. Rappelons seulement que le passé détermine le présent et cela est vrai au Niger comme partout ailleurs. Qu’on pense par exemple à l’enseignement du fait religieux dans les établissements scolaires en Europe, et à celui de la laïcité en Afrique de l’Ouest : on est bien confrontés au même souci d’éveil de la pensée critique et d’éducation à la tolérance,  mot que je ne prononce jamais parce qu’il pourrait paraître ambigu, du fait de son relativisme discutable.

Le but demeure de préserver la paix sociale et de mettre à distance tous les dogmatismes et tous les irrédentismes religieux. Le Président du Niger en est convaincu et j’en suis convaincu aussi. C’est pour ça qu’il m’a nommé à ce niveau de responsabilité. Et tant qu’il n’y aura pas de jugement critique indépendant de la part des citoyens, des élèves, des familles, nous aurons toujours à faire avec des individus obtus, fanatisables, qui ont des appartenances identitaire imaginaires et qui vont virer facilement vers des dogmatismes dangereux. Et donc, comme dans les autres pays de la sous-région, il y a toujours un soubassement idéologique religieux comme base de référence morale et culturelle : cete base est soit musulmane ou catholique, soit protestante, et est authentique ou issue de la colonisation arabe, anglaise, française, portugaise, allemande, etc., mais elle s’est hybridée, métissée, mélangée, voire estompée, dans les cultures originaires et premières. La vie aficaine ne peut être concevable sans sa sagesse spécifique, sans prendre en compte le rôle essentiel de la vie en communauté ; c’est une vie de valeurs religieuses autant que sociales et philosophiques.

L’expérience que nous tentons au Niger, ce n’est pas de former une communauté de religion, mais c’est de former une communauté de citoyenneté. Et ça, c’est très important à préciser pour éviter les ambiguïtés politiques. On n’a peut-être pas assez insisté dessus, mais cette notion de citoyenneté est fondamentale, d’abord pour le capital humain, ensuite pour l’avenir qui est le nôtre. Il nous faut des citoyens qui soient capables de faire la différence entre des fake news et une information référencée. Et puis, nous savons très bien, vous et moi, que l’autonomie du jugement permet de retenir et de contenir les passions funestes et mortifères et ainsi de ne pas sombrer dans les adhésions superstitieuses et dogmatiques de type émotionnel et pathologique.

Donc les modèles que j’ai pu voir ici ou là ne sont pas directement transposables. Véritablement, il y a une expérimentation originale au Niger, c’est pour ça qu’il faut la suivre et qu’il faut l’accompagner. Ça veut dire aussi que les adultes qui devront être dans ces internats doivent être pratiquement recrutés sur profil, avec des entretiens sur leur rapport à l’enfant, leur rapport à la pédagogie, leur rapport aux compétences. Donc il y a des éléments, pour répondre précisément à votre question, qui sont transposables. C’est le bon matériel, la sécurité, les éléments d’organisation administrative, de gouvernance pédagogique, d’organisation des curricula. Il y en a d’autres qui le sont un peu moins. Quel profil spécifique aux nigériens peut-on trouver chez les Sénégalais, les burkinabés, les maliens, les tchadiens ? Car il y a des ressemblances et des similarités mais elles sont toujours accompagnées de petites différences importantes. Le diable git dans les détails. Ces petites différences sont significatives si on veut faire de la pédagogie fine et avoir de bonnes pratiques dans le domaine.

Quelles seraient les barrières que vous voyez dans la mise en place de ce projet pilote ? Le ministre a parlé d’un premier internat pilote à Kellé. Est-ce que vous avez connaissance des résultats de cet internat pilote jusqu’à maintenant ? Quelles seraient les barrières qu’on peut anticiper dans la mise en place de ce grand projet ?

Vous avez raison de poser cette question parce que vous pouvez avoir l’impression que je suis dans un panégyrique extrêmement positif et une certaine forme hagiographique de prosélytisme naïf. Je vous remercie donc pour cette question. Vous avez raison de mentionner les obstacles, mais sachez que nous ne les ignorons pas. La première barrière, je viens de le dire à l’instant, quand je parlais de recrutement par profil, ce sont les compétences des adultes. Il faut qu’ils soient irréprochables du point de vue de l’éthique, irréprochable du point de vue de leur compétence. Ça ne veut pas dire qu’ils soient des génies. Attention ! On est dans une expérimentation, tout le monde a le droit de se tromper, et les adultes aussi. Mais ça veut dire, par exemple, qu’il faut apprendre à travailler en équipe, apprendre à recevoir une critique sans se vexer, apprendre à respecter les autres. Je vous assure que cela n’est pas évident : je suis responsable d’une cellule d’éducation à la présidence, et ce n’est pas du tout évident de faire travailler les gens dans un collectif. Pour beaucoup de cadres, ça ne va pas de soi. Il faut faire preuve de beaucoup de tact pour ne pas froisser les uns et les autres. Voilà donc les premières barrières d’ordre organisationnel (monde du travail et gouvernance ou management) qui sont liées à des facteurs relevant d’une anthropologie culturelle, pour ne pas dire une typologie psychologique. Ça, c’est très important à ne pas omettre : les personnes et les cultures avec lesquelles on doit travailler ne sont pas négligeables, de même que les motivations des personnels.

La deuxième barrière, et il n’y a aucune raison de ne pas le dire, c’est qu’il faudra faire très attention au suivi des fonds pour éviter que des détournements ne se fassent aussi bien au niveau de la nourriture que du matériel, des livres et de l’argent donné, etc.  Cela me semble important et c’est endémique à toute l’Afrique. Je ne veux pas être trop dur, mais disons qu’il faut un suivi appliqué, attentif, déontologique, comptable autant que gestionnaire. Et vous comprenez pourquoi tout à l’heure j’insistait sur le caractère éthique de la gouvernance car l’objectif n’est pas de faire de la garderie o de la rétention des jeunes filles mais de former des esprits et des corps et de transformer par l’éducation la vie sociale et économique du Niger. Sur ce plan, les finalités doivent être claires ; c’est-à-dire que ce qu’on pourrait appeler la bonne gouvernance, la bonne conduite de et sur le terrain, suppose tout deux des profils de compétences axiologiques et techniques bien définies. Je n’insiste pas là-dessus, car ça coule de source qu‘on enseigne ce que l’on est avant d’enseigner ce que l’on sait.

Et quant au troisième élément obstructif, il concerne les bailleurs de fonds car il ne faudrait pas qu’ils nous lâchent en chemin. On a un gros problème en général avec les bailleurs de fonds par rapport à la lenteur de leurs décaissements et le blocage des fonds liés souvent au niveau de difficulté technique des dossiers financiers à remplir pour les administrateurs nigériens. Donc il faudra que les PTF remédient à cette lourdeur et à cette machinerie bureaucratique car ça, c’est quelque chose de rémanent. Je vous en parle en connaissance de cause dans et je me fais l’écho de l’ensemble des praticiens et des agents de terrain. Les procédures sont trop longues, les dossiers sont trop durs à remplir. Il faudrait un peu plus de facilité, de flexibilité, pour le coup, plus de plasticité, de néolibéralisme dans les pratiques de décaissements. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut être cavalier et ne pas regarder dans le détail comment ça se fait ! Mais il n’y a aucune raison pour que cette grande partie administrative, très bureaucratique, très lourde, empêche les choses d’avancer et bloque la réalisation de la politique éducative du Niger.

Il y a des réalités de terrain qui font que, au vu des particularités nigériennes et du profil spécifique des élèves, il nous faut rapidement des fongibles, des cahiers, des tableaux, des ramettes de papier, il faut rapidement des stylos, il faut des choses comme ça pour le travail de tous les jours dans les classes. Et s’il faut attendre six mois, sept mois,  avant de pouvoir travailler faute de moyens, je vous le dis tout net  en tant que spécialiste de l’éducation, c’est plus que préjudiciable pour certains enfants, car à un mois près, on les rate dans leurs stades de développement, on les met en régression et en impossibilité de progresser et d’apprendre. Vous avez certainement des enfants, vous le savez, il y a une application continue du travail de suivi et d’évaluation. Si n’y a pas à un moment donné, le bon support pédagogique, s’il n’y a pas le tableau lisible, il n’y a pas d’énergie dans la motivation d’apprentissage. S’il n’y a pas le ventilateur qui tourne et qui vient rafraichir en saison chaude, vous êtes sûr qu’il n’y a pas assez d’acides aminés dans le cerveau, il n’y a pas assez de magnésium, et les élèves décrochent car ils s’endorment. La question matérielle peut être supérieure à la meilleure des volontés du monde et oblitérer tous les apprentissages initiaux.

Absolument et les défis dus au vide et au confinement ont vraiment démontré l’importance de tous ces facteurs à l’apprentissage des enfants.

Je rajouterais, si vous le voulez bien, juste pour terminer, le fait qu’il faudrait associer les chefs coutumiers et religieux, les paysans et les familles elles-mêmes pour qu’elles comprennent bien le projet éducatif des internats de jeunes filles afin qu’elles ne fassent pas obstacle, barrage, voire même rupture avec ce projet innovant de scolarisation. Il faudrait aussi leur montrer qu’il n’y a pas de contradiction fondamentale entre la pratique de l’Islam ou la pratique de n’importe quelle autre religion et l’éducation en milieu fermé. Et ça, ce n’est pas évident à faire comprendre aux familles, et aux autorités religieuses et coutumières.

Pour nous, ça nous apparaît clair, mais on peut aller dans un village et les pluies n’arrivent pas, il y a alors des difficultés vivrières et l’Etat est souvent loin des sooucis quotidiens des villageois, les routes sont loin, et on entend de belles promesses qui ne sont pas tenues, on voit les grandes voitures rutilantes et des blancs  de projets et d’ONG bien nourris qui arrivent dans des villages tout souriant et qui repartent encore plus souriants, et on est toujours dans les difficultés avec le puits qui est ensablé, les récoltes qui ne se font pas, les routes endommagées ou absentes, l’absence d’infrastructures énergétiques et hydrauliques, etc. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a un contrat de confiance à instituer et je pense que là, les bailleurs de fonds sont autant responsables, ils sont co-responsables. On est dans une pratique d’aide au développement indéfini. On est dans une pratique de construction permanente et continue, et c’est pour ça que les termes du contrat de confiance sont importants.

Absolument ! Je pense que le contrat social, le contrat de confiance comme vous le dites, et une co-construction est absolument importante. Et là, en se focalisant sur la partie de la demande pour un tel projet, de la demande des familles, des communautés et de leurs soutiens, comment est-ce que vous ferez pour les faire venir à bord ? comment vous parleriez à une famille ? Quelles sont les barrières que vous pouvez anticiper pour qu’elles participent non seulement à envoyer leurs filles, mais également d’un point de vue financier, parce que tout cela coûte ?

Premièrement, il faut des hommes et des femmes qui soient des agents de synergie, des relais entre les acteurs du système scolaire, des vecteurs de liaisons permanentes et continues entre les villages, les chefs coutumiers, etc.  et l’établissement. Ça veut dire qu’il va falloir fabriquer, je pèse mes mots, un nouveau type de poste qui soit l’équivalent de secrétaire, de factotum, de ce qui était le surveillant général et dont le métier est de socialiser, c’est à dire de faire l’interface entre l’intérieur et l’extérieur qu’est la société civile. Ça, c’est un nouveau profil, un nouveau type de métier, de nouvelles compétences et connaissances et savoir-faire et être à mobiliser. Voilà un défi intéressant entre parenthèses.

La deuxième chose importante, c’est qu’on doit obliger les acteurs des internats, adultes et élèves, à entrer dans l’ordre de la communication. Soit sous la forme d’un petit journal, d’un blog, d’un site internet, ou d’une simple feuille de chou ou bien autour d’un verre de thé, d’un cadre imprimé où un élève une fois par semaine ou une fois tous les quinze jours, une fois tous les mois, une fois tous les trois mois, part dans les villages avec un adulte, et explique ce qu’il fait en classe, ce que les élèves de l’internat ont fait comme activités pédagogiques, les difficultés que les internes rencontrent dans leur vie d’élève. Bref, il faut associer la communauté traditionnelle et le peuple de manière collective sur le modèle d’une coopération, d’une coopérative, à la façon du pédagogue Piaget ou en appliquant les pédagogies actives des années 60 et 70, sans tomber dans un délire idéaliste et utopiste.

C’est donc une façon de vivre l’institution scolaire qui dialogue et se tourne vers une communauté ou l’école n’est pas considérée comme étrangère au village et inversement le village n’est pas considéré comme étant étranger à l’école. Donc, c’est pour cela qu’il faut travailler par projet. Qu’est-ce qu’on fait dans un village ? Quel type d’outils on utilise ? Quel type de langage on parle ? Les élèves vont réfléchir à ça et inversement cela va amener souvent le village à se demander : qu’est-ce qu’on fait dans une école ? Qu’est-ce qu’on propose de travailler ? Et donc faire que le village soit une école pour l’école et que l’école soit une école pour le village.

Et puis le dernier point encore une fois, il faut qu’il y ait de la participation, pas forcément financière ou matérielle de tous les acteurs du système en place. Ça peut être modulé : ça peut être nettoyer la cour, ça peut être raconter une histoire, ça peut être venir aider des jeunes filles dans leurs problèmes de santé sexuelle, etc.  Il faut lister un certain nombre de choses que savent faire les paysans, les villageois et ne pas leur demander des choses qu’ils ne peuvent pas faire. On ne peut pas leur demander une participation financière, un dû, si le projet lui-même suscite de la part des bailleurs de fonds une aide etc. 

Donc il faut être logique, ça ne doit être que symbolique, contractuel et donc dans l’ordre du possible. Cela veut dire que la logique de l’internat procède d’une demande d’équilibre, et c’est ça l’équité : chacun apporte ce qu’il peut en fonction de ce qu’il est et de ce qu’il a. On ne peut pas demander une participation, par exemple identique dans tous les villages car ils ne sont pas tous dotés de la même façon. La participation devra se faire en fonction de leur budget, qui est rare, au Niger. Il faut donc quelque chose de l’ordre de la justice distributive.

Absolument, et cela semble passer par ce premier profil qu’il faut absolument fabriquer. Et cette personne, d’où est ce qu’elle viendrait ? comment vous la recruteriez ? Parce qu’elle semble être l’agent clé pour faire bouger les choses et pour faire l’interface.

On a beaucoup d’inspecteurs qui à mon avis chôment, on a beaucoup de conseillers pédagogiques qui à mon avis chôment, on a beaucoup d’enseignants qui sont dans les ministères et qui ne sont plus face à des élèves. Ce n’est pas une critique, mais il faut les reprendre et les mettre sur le terrain. Il faut redéfinir le rôle d’un conseiller pédagogique. Un conseiller pédagogique, ce n’est pas quelqu’un qui vient dans une classe pour dire : «  ça, c’est bien, ça c’est mal ». Il faut les remettre en situation dans les classes ou dans les interclasses, pour qu’ils accompagnent les élèves, les professeurs, les adultes et les familles, etc. Voilà, on a le matériel humain, on peut travailler avec ce qu’on a déjà. Il ne s’agit pas de créer un nouveau métier. C’est un nouveau métier, mais à partir de la modification des métiers anciens. L’école doit se réformer et ceux qui sont dans l’école doivent se réformer au même titre que les élèves.

Le conseiller pédagogique doit avoir le rôle d’une interface entre la société civile et l’école. Ça ne doit pas être un spécialiste de l’école. Il a un rôle, d’interface, de médiateur ou de facilitateur. Et je pense que nous aurons beaucoup à gagner si nous regardons ce qui se fait aujourd’hui dans les facultés de pédagogie, les Ecole Nationales des Instituteurs (ENI), pour redéfinir des métiers parce qu’il y a beaucoup de perte et beaucoup d’évaporation. Le grand principe, c’est que si je suis dans une classe, si je passe un diplôme, alors je quitte la classe et je passe un autre diplôme. Je quitte même l’enseignement pour devenir un commandant ou un chef de la structure. Ca n’a pas de sens ; ce sont des pertes de ressources humaines irrationnelles et improductives.

Il faut changer ce système pour changer les choses. Il faut « déverticaliser » les rapports éducatifs et les hiérarchies scolaires pour « horizontaliser » les pratiques de gouvernance et pédagogiques. Ça ne veut pas dire faire perdre des responsabilités aux inspecteurs et aux conseillers pédagogiques, ça ne veut pas dire faire perdre ou ôter de la souveraineté à des cadres, ça ne veut pas dire faire perdre de la gouvernance à des administrateurs ou des responsables académiques. Ça veut dire qu’un conseiller pédagogique n’est pas là pour se tourner les pouces. Parce qu’il est conseiller pédagogique, il doit produire des documents, il doit aller voir ce qui se fait en classe et avec les chefs de village ou les paysans. Il doit le faire parce qu’il est en observation réfléchie et en situation de tiers réflexif et c’est lui qui doit faire l’interface entre la société civile et l’Ecole, d’abord parce qu’il a les compétences et le temps pour ça, et, ensuite, parce qu’il sera payé pour ce faire et qu’il sera formé pour obtenir les compétences idoines.

Donc il ne s’agit pas de produire une nouvelle ligne budgétaire. Il s’agit de redéfinir dans le temps un répertoire de compétences, de références validées en fonction des objectifs et des logiques de ces internats. Donc c’est vraiment un chantier innovant, un chantier très intéressant et je pense qu’il faut des gens engagés, qui ont une éthique et un souci historique à la fois politique au sens technique du terme et idéologique, des gens qui voient le rôle d’innervation sociétale de ces structures, des gens qui pensent les modifications pédagogiques dans le tissu nigérien comme étant des actions de modification des esprits et des consciences pour faire que le Niger sorte de sa pauvreté et de son état socioéconomique.

Avant de terminer, est ce que vous avez d’autres points clés que vous voudriez nous communiquer ?

Oui, il y a deux points clés principalement sur lesquels je voudrai insister. Premièrement, je pense qu’il faut rendre moins hermétique la formation des enseignants. Ce n’est pas acceptable que les formations soient à ce point peu transparentes et que les curricula relèvent de la science infuse. Ce qui se fait dans une école normale est mystérieux et ce n’est pas normal. On devrait avoir accès au curriculum, voir quels sont les psychologues que les élèves normaliens étudient, quelles sont les méthodes qu’ils étudient, comment ils sont formés, etc. Ça, ça me semble important. La transparence dans les apprentissages, ça rassure tout le monde. C’est un contrat didactique entre les formateurs et la société civile.

Deuxièmement, j’insiste, c’est une redondance, sur le fait qu’il faut redéfinir les missions des conseillers pédagogiques et des inspecteurs. Ils ne sont pas là pour être des surveillants généraux de l’application des décrets, des arrêtés, des réformes. Ils sont là pour aider les enseignants à mieux travailler et à mieux faire avec leurs difficultés professionnelles et ils sont mandatés pour aider les familles à faire en sorte qu’elles soient co-éducatrices avec les enseignants. Ils sont là pour aider aussi la société civile à faire monter le niveau de compétence des citoyens. Donc, il faut redéfinir ces missions là et mettre ces corps de fonctionnaires du Ministère de l‘éducation nationale en action et les obliger à passer par des pratiques pédagogiques actives et non pas simplement à être des métastases supplémentaires de la bureaucratie qui ne vit que par des textes, des séminaires de réflexion, des commissions, des recommandations, etc., etc., qui nous fatiguent et qui nous donnent des indigestions de papier.

«Il est temps que les technocrates aillent sur le terrain de la vie scolaire et cessent d’alimenter des réflexions théoricistes trop souvent coupées de la réalité de la classe et de la vie réelle des élèves.

Propos recueillis le 4 août 2022 par le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP/UNFPA) au Niger

Source : http://www.lesahel.org/