Analyse des violences à l’école : Par Moustapha Liman Tinguiri, Planificateur de l’Éducation à la retraite à Zinder
Les enseignants constituent la ressource la plus significative et la plus précieuse des établissements scolaires. Ils sont également les acteurs essentiels du changement, c’est-à-dire du développement économique et social dans tous les pays à travers le monde. La politique éducative du Niger des années 1960 à 1980, était appréciable du fait de la qualité de l’enseignement, des infrastructures, mais surtout des conditions salariales qui permettaient de subvenir à tous les besoins importants, de tous ordres, de la vie. De nombreux jeunes rêvaient d’être enseignants car ces derniers étaient bien considérés et respectés dans la communauté.
La récession économique des décennies 1980 et1990, avec la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel, imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ont contraint notre pays à recruter des enseignants sans formation initiale, désignés selon des vocables différents (enseignants volontaires, enseignants communautaires, enseignants contractuels etc.). Désormais, on distingue au sein de la profession enseignante deux statuts professionnels principaux : le statut d’enseignant titulaire, fonctionnaire de l’État, et celui d’enseignant non-titulaire ou enseignant contractuel, recruté sous contrat par le ministère ou ses autorités décentralisées. Les enseignants contractuels représentent plus des trois quarts des effectifs globaux du corps enseignant et ont une rémunération nettement plus faible, pour le même travail effectué que les enseignants dits titulaires. Cependant il faut aussi noter qu’en termes de compétences, les enseignants contractuels sont généralement moins qualifiés que leurs collègues titulaires. Cependant, la différence criarde de revenu, a des effets pervers comme l’augmentation des taux d’absentéisme chez les enseignants contractuels et le recours à d’autres activités professionnelles pour compléter les revenus et même le départ définitif de la profession, vers un autre emploi mieux rémunéré et l’abandon de la craie. De ce fait, l’enseignement devient un pis-aller pour beaucoup de jeunes diplômés, une solution de remplacement, en attendant un lendemain meilleur, c’est à dire d’obtenir un autre travail qui rapportera plus de gains et d’avantages financiers.
Aussi, le fait de recruter « n’importe quel diplômé » pour occuper, en classe, la place d’un enseignant formé, dévalorise le statut social de de l’enseignant qui n’apparaît plus du tout comme un « professionnel ». La rémunération salariale insuffisante pour faire face aux coûts de la vie, la dégradation ou précarisation de la profession enseignante et l’impunité face aux agressions expliquent la vulnérabilité et l’augmentation des violences perpétrées par des élèves et des parents d’élèves sur des enseignants dans les établissements.
D’ailleurs, bon nombre d’enseignants dénoncent la démission des parents, qui ne viennent souvent à l’école que pour « solutionner » les cas de redoublement et/ou d’exclusion. Le manque d’autorité de certains parents sur leurs enfants, le laxisme ou l’absence de suivi du travail scolaire par beaucoup d’autres, expliquent les comportements déviants de nombreux élèves. Peu de parents s’investissent entièrement dans l’éducation de leurs enfants en leurs transmettant des valeurs telles que l’honnêteté, le respect des autres, le goût de l’effort, etc.
Le Conseil National de l’Education et ses démembrements territoriaux, ne se réunissent plus depuis bien longtemps, même si le décret qui les a institué n’est pas abrogé et l’Association des Parents d’Elèves (APE) ne joue plus efficacement son rôle d’accompagnement scolaire en vue « d’instaurer et d’entretenir une atmosphère de compréhension mutuelle entre maîtres, élèves, parents et autorités et de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail à l’école » ( voir l’arrêté n° 146/MI/MDI/DAPJ du 12 septembre 1989, du ministère de l’Intérieur portant création des APE).
Il est aujourd’hui évident que la redynamisation et la responsabilisation de ces structures serait d’un apport considérable pour des réflexions consensuelles pour mettre en commun les efforts et résoudre ensemble les problèmes posés par ce vaste chantier qu’est l’école. L’existence des organes de consultation/concertation permet aux acteurs sociaux (communauté, parents d’élèves, syndicats, associations, ONG, promoteurs d’écoles, etc.) de donner leur avis et de formuler des recommandations sur toutes les questions d’intérêt national intéressant l’éducation et de régler plus facilement les conflits entre les partenaires du système éducatif.
Pour plus de professionnalisation de l’enseignement, tous les enseignants recrutés sans formation pédagogique initiale doivent être instruits en Législation scolaire, Morale professionnelle et Déontologie en vue de connaitre les règles du métier et de l’environnement scolaire. La connaissance des textes législatifs et réglementaires de portée générale et des textes fondamentaux qui régissent le métier des enseignants est nécessaire pour amener les enseignants à manifester quotidiennement une conscience morale et professionnelle envers les élèves, les collègues et l’ensemble de la communauté.
Les violences envers les enseignants peuvent être physiques comme des coups et blessures, avec ou sans armes ou le plus souvent verbales, comme les insultes, moqueries ou des mots blessants. Le cas de l’élève de CM2 qui a tué son enseignant à coups de couteau, dans le département de Bouza à Guidan Alami, le 6 mai 2022, reste très isolé et assez particulier.
Les principales raisons évoquées qui seraient à l’origine des violences résultent de mauvaises notes ou appréciations obtenues à l’issue d’évaluations (devoirs, interrogations, examens, etc.) ; des sanctions ou des manières de dire et de faire des enseignants pour rétablir l’ordre au sein de la classe ou de motifs particuliers liés à la vie juvénile, à l’adolescence ou même à la consommation de stupéfiants. Certains élèves sont en réaction par rapport aux règles de discipline de l’établissement, aux humiliations ou « au manque de respect » de certains enseignants à leurs endroits, ou encore de tensions au sein de la famille, de l’entourage, ou d’autres conflits …
L’Etat doit prendre toutes les dispositions idoines pour protéger l’école et les enseignants en adoptant les textes règlementaires qui vont permettre de réprimer tout mauvais comportement à l’école, particulièrement d’élèves fautifs vis-à-vis de leurs enseignants et mieux gérer la discipline. Autant l’enseignant n’a pas le droit de porter la main sur un élève, on ne doit plus accepter que des élèves agressent impunément leurs enseignants. L’Etat doit protéger les enseignants, en sa qualité d’employeur par l’application des dispositions déjà prévues dans le statut de la fonction publique, aux agents victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations et outrages dans l’exercice de leurs fonctions. La protection fonctionnelle est inscrite dans les deux chapitres suivants :
Le Chapitre IV : Des droits, garanties et obligations communs aux agents de la Fonction Publique :
• Article 17 : L’agent de la Fonction Publique a droit, conformément aux règles fixées par la loi pénale et les lois spéciales à une protection contre les menaces, attaques, outrages, injures ou diffamations dont il peut être l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. L’Etat ou son démembrement intéressé est tenu d’assurer cette protection et de réparer, le cas échéant le préjudice qui en est résulté. L’Etat ou son démembrement tenu dans les conditions prévues à l’alinéa précédent est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des auteurs de menaces ou attaques, restitution des sommes versées à son agent. Il dispose en outre, aux mêmes fins, d’une action directe qu’il peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale.
Et le Chapitre VIII : De la rémunération et des avantages :
• Article 39 : Les agents de la Fonction Publique bénéficient d’une protection sociale en matière de risques professionnels, des prestations familiales, de pensions de retraite et de soins de santé dans les conditions fixées par la loi.
Face à l’intensification des violences envers les enseignants, l’État doit garantir à tous ses agents ou « employés » la jouissance inaliénable des droits inscrits dans le statut général de la fonction publique.
L’école est un bien commun à tous les nigériens pour forger l’Homme de demain, c’est-à-dire des citoyens respectueux des droits, devoirs, de la démocratie républicaine et de toutes les valeurs nationales et universelles reconnues de l’Homme. L’amélioration du système scolaire et de la qualité de l’éducation, nécessite : une bonne gouvernance et gestion du système notamment en ce qui concerne les nominations aux différents postes de responsabilités qui doit reposer sur le mérite et les compétences ; la formation de tous les diplômés sans formation pédagogique initiale en Législation scolaire, Morale professionnelle et Déontologie ; la revalorisation des salaires et du statut des enseignants, et la lutte contre l’impunité à l’école.
Une sensibilisation sur la valorisation de l’enseignement comme une profession prestigieuse, doit être menée pour accroitre le respect dû aux enseignants et pour attirer comme par le passé de nombreux jeunes vers ce noble métier indispensable au développement du pays.
Par Moustapha Liman Tinguiri, Planificateur de l’Éducation à la retraite à Zinder