Pipeline Export Niger-Bénin : ‘’Les enjeux du projet de construction et d’exploitation du pipeline export Niger-Bénin‘’
L’aventure pétrolière nigérienne a commencé au début des années cinquante (50), et il aura fallu attendre un demi-siècle d’incertitudes et de soubresauts pour que soit enfin inaugurée l’ère pétrolière du Niger en Novembre 2011 avec la mise en exploitation d’une partie des réserves du bloc pétrolier d’Agadem (Bassin Oriental du Niger) estimées alors à plus d’un demi milliard de barils de réserves prouvées (1P). Un projet pétrolier dit ‘’Projet Intégré Agadem ‘’ comportant deux phases a été créé à l’occasion. La première phase du ‘’Projet Intégré Agadem ‘’ était constitué du bloc pétrolier d’Agadem qui avait les gisements des trois champs (Agadi, Gouméri et Sokor) à mettre en exploitation, la construction d’un pipeline de 462,5 km pour l’acheminement du pétrole brut et la construction d’une raffinerie de pétrole de 20.000 barils par jour (b/j). Quoique de petite taille, le Niger dispose avec cette première phase d’une industrie pétrolière complète, produisant un pétrole de haute qualité traité par la Société de Raffinage de Zinder (SORAZ).
Depuis lors, les campagnes d’exploration se sont poursuivies dans le bassin d’Agadem, mais aussi dans celui de Bilma, de Kafra, de Ténéré, etc….qui ont conduit pour certains à des découvertes supplémentaires assez importantes ; ce qui a justifié la décision d’exportation du pétrole brut nigérien sur le marché international. En effet, la construction d’un oléoduc pour transporter le pétrole est un investissement extrêmement coûteux, et pour être rentable, cela implique la présence de réserves importantes pour une exploitation à grande échelle. Le niveau actuel des réserves prouvées et récupérables du bassin d’Agadem a atteint le seuil requis (plus de 1,2 milliard de barils de pétrole et plus de 20 milliards de m3 de gaz naturel en réserves probables (2P) selon les spécialistes) pour justifier cette exportation et c’est ce qui constitue la deuxième phase du ‘’Projet Intégré Agadem ‘’.
Initialement prévu pour être exporté vers le terminal pétrolier de Kribi au Cameroun, via le Tchad, et après la signature en Juillet 2018 d’un Mémorandum d’Entente pour l’acheminement du brut nigérien vers le Nigeria, les autorités nigériennes se sont finalement décidées de retenir la voie du Bénin pour cette phase ; en dépit du fait qu’il constitue le trajet le plus long de toutes les options, donc le plus coûteux en termes de montant d’investissement. Pour l’heure, ce tronçon constitue en avantages comparatifs, la meilleure option. Le pipeline export Niger-Bénin, d’une longueur totale de 1950 km (1293 km en territoire du Niger et 657 km au Bénin), d’un diamètre de 20 pouces (50,8 cm) et d’une capacité maximale de 180.000 b/j traversera plusieurs régions et départements des deux pays, et était initialement prévu être opérationnel en début de l’année 2022. La construction de ce pipeline a été quelque peu retardée en raison de l’apparition de la pandémie de la Covid- 19 ; mais les travaux pour la réalisation de ce projet de très grande envergure sont en ce moment en cours d’exécution. Avec cette infrastructure, le Niger compte quintupler sa production journalière actuelle de brut pour passer à 110.000 b/j pendant la phase d’exploitation. Il aurait cependant été bien plus prudent et visionnaire pour que le pipeline actuellement en construction soit d’une capacité en mesure de contenir, outre la production maximale prévue actuellement (jusqu’à 180.000 b/ j), mais envisager également les futures découvertes de pétrole (les recherches s’intensifient pourtant sur plusieurs blocs). Prévu être entièrement automatisé, ce pipeline qui va du site pétrolifère d’Agadem (Niger) jusqu’au futur terminal (d’une superficie de 40 ha) de Sèmè (Bénin) doit normalement être enfoui à une profondeur de 1,50 à 2,5 mètres, avec une surveillance par satellite qui se déclenchera lors des fouilles qui dépasseront 1,50 mètre de profondeur. La station terminale fonctionnera 24h/24 et sera installée en haute mer à 15 km de la côte pour desservir les tankers. Au niveau des eaux sensibles, le pipeline sera enfoui à 20 mètres au-dessous du lit des cours d’eau et les parties non sensibles seront détectées pour éviter tout risque de pollution. En outre, sur son parcours, huit (8) stations de pompage relais (en moyenne surtout les 230 à 250 km) doivent être construites, dont six (6) au Niger et deux (2) au Bénin. Il y a lieu de rappeler qu’une station de pompage relais a pour rôle de recomprimer le pétrole brut pendant son écoulement dans l’oléoduc pour compenser la perte de charge qu’il subit tout au long d’un parcours pouvant faire plusieurs milliers de kilomètres.
De la gouvernance du pipeline
Le 20 septembre 2018, l’Etat du Niger et la China National Oil and Gas Exploration and Development Company Ltd (CNODC) ont signé un accord cadre relatif à la construction et l’exploitation de ce pipeline. Le 26 avril 2019, CNODC a créé une filiale de droit nigérien, la West African Oil Pipeline (Niger) Company (WAPCo-Niger) qui aura pour mission la construction, l’exploitation, l’entretien et la gestion dudit pipeline. Le 23 août 2019, le Conseil des Ministres adopte le projet de décret portant approbation de la Convention de transport entre la République du Niger et la WAPCo-Niger. La WAPCo-Niger obtint ainsi l’Autorisation de Transport Intérieur (ATI) et le gouvernement de déclarer d’utilité publique le système de transport par canalisation. La déclaration d’utilité publique du système de transport permettra ainsi d’engager la procédure d’expropriation au profit de l’Etat de toutes les propriétés immobilières qui seraient impactées par les travaux de canalisation. La WAPCo, est une société créée tant au Bénin qu’au Niger avec la même mission. Vu le caractère éminemment stratégique de cette opération, la Société Nigérienne de Pétrole (SONIDEP) doit avoir une attention régulière et permanente des activités de la filiale nigérienne de WAPCo ; la Sonidep, étant désormais le ‘’bras armé‘’ de l’Etat dans les aspects juridique, légal, technique, opérationnel, économique, financier, fiscal, commercial, social, environnemental,… de toute la chaîne de valeurs (de la signature des contrats, en passant par l’exploration/recherche, l’exploitation/production, le raffinage jusqu’à la distribution des produits pétroliers et la commercialisation du pétrole brut sur le marché international) de l’industrie pétrolière nigérienne. Pour sa part, l’Etat béninois a signé le 05 août 2019, avec la société WAPCo-Bénin (créée à cet effet), un accord relatif à la construction et à l’exploitation d’un système de transport des hydrocarbures par pipeline, dénommé ‘’Projet de Pipeline d’Exportation Niger-Bénin‘’. En vertu de cet accord, le Conseil des Ministres de la République du Bénin a adopté le 15 janvier 2O2O, un décret N° 2O2O-024 de loi portant régime juridique, fiscal et douanier applicable au projet de pipeline d’exportation Niger-Bénin. Cette loi définit les cadres légal, fiscal et douanier dans lesquels s’effectueront la construction et l’exploitation du système de transport sur le territoire de la République du Bénin. Aussi, la République du Niger et la République du Bénin ont signé le 23 janvier 2019 à Niamey, un accord bilatéral dans le cadre de la construction et de l’exploitation d’un système de transport des hydrocarbures par pipeline. Les intérêts enjeu dans le choix de l’itinéraire du Bénin La multiplicité et la diversité des acteurs illustrent l’importance de ce projet, ainsi que les intérêts et avantages en jeu. Nous estimons que les facteurs ayant permis de faire pencher la balance en faveur de la voie béninoise (au lieu de la voie du Tchad-Cameroun) sont multiples et d’ordres économiques, financier, politique et stratégique.
Les intérêts et avantages pour le Niger et le Bénin
Au stade actuel du développement de l’industrie pétrolière nigérienne, l’axe du Bénin offre mieux que toutes les autres voies, plus d’avantages, dont entre autres, le fort voisinage entre les deux pays, les parfaites relations commerciales qui existent entre eux, l’existence dans les deux pays de codes d’investissement et d’une loi sur l’embauche qui facilite l’installation des investisseurs, la stabilité politique, la sécurité, l’appartenance à plusieurs organisations communes (CEDEAO, UEMOA, Conseil de l’Entente, OCBN, OHADA,…), le Port Autonome de Cotonou étant la principale voie d’accès des marchandises du Niger et aussi le fait que le Niger aura l’avantage d’être le seul pays à utiliser ce port pour l’exportation de son pétrole (Le Bénin n’aura pas à utiliser ce terminal ; ses gisements pétroliers se trouvant en haute mer), etc... Le pipeline export Niger- Bénin, qui sera le pipeline pétrolier le plus long de l’Afrique présente plusieurs autres avantages pour les deux pays Frères. Ce projet d’un coût de 4,5 milliards de Dollars US (2500 milliards FCFA environ), en investissement direct, créera environ 3000 emplois pendant la phase des travaux et 500 emplois permanents (300 au Niger et 2OO au Bénin) pendant la période d’exploitation du pipeline, et cela particulièrement au niveau du site de Koulélé (périmètre pétrolier d’Agadem), des huit (8) stations de pompage relais et de réchauffement, du terminal de Sèmè et les brigades de contrôle. A plus ou moins long terme, et avec d’éventuelles découvertes de pétrole à l’Ouest (Bassin sédimentaire des Ullimenden) du Niger (blocs de Tounfalis, du Dallol,…), la voie béninoise est (une fois de plus) la mieux indiquée pour l’exportation. Comme je le mentionnais ci-dessus, la capacité du pipeline actuellement en chantier devrait inclure les prévisions des futures découvertes ; nous avons à son temps suggérer de réexaminer cette situation et éventuellement corriger certaines imperfections (il est apparemment trop tard ; les travaux étant très avancés). Aussi, il est à craindre qu’on ne se retrouve dans les toutes prochaines années avec un oléoduc saturé et incapable de satisfaire les exportations à venir ! Le Niger ne restera pas indéfiniment petit producteur de pétrole (avec indéfiniment un plafond de 180.000 b/j). Les avantages économiques et financiers directs et indirects pour le Niger et le Bénin sont inestimables et à priori difficilement quantifiables.
Les intérêts et avantages pour le Niger :
En tant que pays exportateur sur le marché international, le Niger pourrait tirer de gros revenus de l’exploitation de son pétrole pour toute la durée de vie du projet (25-30 ans au moins). Il y a toutefois lieu de noter que la rente directe issue des revenus du pétrole, dépend en partie des cours mondiaux du pétrole dont la maîtrise n’est à la portée d’aucun acteur mondial. Des cours du baril de pétrole raisonnables et une très bonne gestion des revenus pétroliers cumulés pourraient constituer une véritable manne pour le Niger, déjà très pauvre et endetté, et de rompre avec le cycle infernal de la ‘’malédiction des ressources‘’ que vivent beaucoup de pays africains producteurs et exportateurs d’or noir.Outre les revenus directs (redevances, dividendes) et indirects (impôt sur le revenu, droits de douanes et autres taxes), le projet d’exploitation/ exportation du pétrole nigérien peut produire beaucoup d’autres effets induits. Il devrait en principe, avec une très bonne promotion du ‘’Contenu Local‘’, générer des milliers d’emplois, créer de nombreuses opportunités d’affaires indirectement et directement sur les activités pétrolières et des activités économiques hors-pétrole. Sur le territoire national, le tracé du pipeline concernera les régions de Diffa, Zinder, Maradi, Tahoua et Dosso ; ce qui explique sa dimension supranationale. Il y a lieu de noter que les régions d’Agadez (blocs de Kafra, Ténéré, Grein, Djado,…) et de Tillabéry (bloc de Tounfalis,…) situées sur le bassin sédimentaire Ouest (Ullimenden ) présentent également d’excellentes perspectives pétrolières. Le Niger, dont le territoire est constitué à plus de 90% de bassins sédimentaires (bassins susceptibles d’abriter des gisements d’hydrocarbures gazeux, liquides et solides), ‘’coincé‘’ géographiquement et géologiquement entre l’Algérie, la Libye et le Nigeria (tous gros producteurs d’hydrocarbures et qui exportent de 1,7 million à 2,3 millions de barils de pétrole par jour), il est certain, que tôt ou tard, notre pays connaîtra inch’Allah, le même miracle pétrolier que ses voisins sus-mentionnés. Alors, dimensionner le pipeline export du Niger à un maximum de 180.000 b/j, semble proprement manquer de vision et d’anticipation… pour un pays qui aspire un jour, à produire et exporter au moins 250.000 à 300.000 b/j (producteur moyen) ou pourquoi pas le million de barils de pétrole quotidiennement (gros producteur). Cela laisse aisément penser (jusqu’à preuve du contraire) que la capacité du pipeline actuellement en construction ait été arbitrairement choisie ; sur la base d’aucune étude. Pourtant, de grosses et très agréables surprises, particulièrement dans le bassin des Ullimenden à cheval entre la partie Ouest du Niger, l’Est du Mali, le Nord du Burkina Faso et le Sud algérien ne sont pas à exclure. En effet, cette zone dite des ‘’Trois frontières‘’ (que les experts pétroliers appellent aussi le ‘’Koweït du Sahel‘’… au vu de son probable potentiel pétrolier et gazier) détiendrait un inestimable potentiel pétrolier et autres ressources minières et énergétiques stratégiques (uranium, cobalt, lithium, hydrogène,…). Les puissances étrangères (grosses consommatrices d’hydrocarbures) et détentrices des plus hautes technologies en sont très conscientes. Aujourd’hui les plus grandes compagnies des puissances pétrolières disposent de laboratoires équipés d’énormes simulateurs ultramodernes leur permettant d’explorer virtuellement les entrailles de la terre. A partir de ces laboratoires (situés dans des lieux ultra protégés de leurs pays), leurs ingénieurs plongent dans un monde sous terrain d’ordinaire invisible, naviguant à travers des couches de grès et de calcaire jusqu’à tomber sur des formations rocheuses contenant des hydrocarbures. Ils peuvent ainsi directement à partir de Houston, Paris ou Beijing ‘’dépister‘’ des formations pétrolifères en Afrique, ou ailleurs dans le monde. Ce type de procédés ultrasophistiqués leur confère un énorme gain de productivité, d’informations et de connaissance de notre sous-sol. C’est grâce donc à ces technologies, qu’ont été révélées les énormes potentialités en ressources extractives stratégiques de cette zone dite des ‘’Trois frontières‘’ dans le Sahel et les provinces Nord-Est de la République Démocratique du Congo, toutes deux en proie à d’interminables conflits armés. L’occupation par certaines forces armées occidentales (fondues dans les forces multinationales Barkhane, Minusma, Minusco,…) de ces deux zones, ne sont nullement l’effet d’un hasard. Les prétendues ambitions de ces groupes pseudo-islamistes terrorisant gratuitement les populations sont à l’antipode de la création d’un Etat islamique au Sahel (ces groupes terroristes étant aussi islamophobes que leurs commanditaires).
A suivre
Par M. Mahaman Laouan Gaya, Ancien Ministre, ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO)