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Rencontre cinématographique : Au cœur du cinquantenaire du FESPACO

Ambiance de fête et engouement pour les salles obscures

Le festival a fait du chemin. En 1969, cinq pays africains notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Haute Volta (actuel Burkina Faso), le Niger et le Cameroun, mais également la France et les Pays Bas étaient représentés à la première édition qui était appelée la Semaine du Cinéma Africain, qui a enregistré 24 films et environ 10 000 participants. Aujourd’hui le FESPACO a pris de l’ampleur. Ces dernières éditions ce sont environ 200 films qui sont programmés pour plus de 450 projections dans les différentes salles de cinéma de Ouagadougou. Et plus de 500 000 personnes participent aux diverses activités organisées dans le cadre de cette biennale. Pour cette 26ème édition la ville de Ouagadougou a connu une animation particulière.  

Pendant une dizaine de jours, le siège du village du FESPACO, un des centres névralgiques de l’évènement ne désemplissait pas. C'était une ambiance de fête avec des concerts animés par des artistes. Même atmosphère à la maison du peuple transformée pour l'occasion en un vaste marché. Des vendeurs de produits de consommation, de luxe, de produits alimentaires transformés, des marchands venus de plusieurs pays d’Afrique, chacun y va de son business.

Au village du FESPACO, comme à la maison du Peuple, et d’autres endroits de la ville   les restaurateurs rivalisent à faire régaler les visiteurs, avec des mets divers et variés, dont les très appétissants poulets bicyclettes proposés sous formes grillés, sautés à l’ail, au soumbala.

Sur la célèbre avenue Kwamé Nkruma, qui s’anime particulièrement, dans les autres quartiers de la ville, la fièvre du FESPACO est tout aussi perceptible.

Pour ce qui est des projections, les cinéphiles ont fait montre d'un engouement un peu plus habituel pour les salles obscures. Des projections comme celle des films, The mercy of the Jungle, Desrances, Rafiki, AKasha, Barkomo, Duga les charognards,… ont attiré un nombre impressionnant de spectateurs. Et sur la vingtaine de longs métrages en compétition, The mercy of the Jungle a eu le plus l’assentiment du Jury. Le lauréat qui vient du Rwanda, pays invité d’honneur de cette édition, présentait pour la première fois un long métrage en compétition au FESPACO. Et pour un essai, ce fut un coup de maitre. C’est en compagnie du président rwandais Paul Kagamé que le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré a remis le 2 mars dernier, le trophée tant convoité par les cinéastes, à Joel Karakezi en récompense à son film The mercy of the Jungle ou la miséricorde de la jungle. Le film a pour sujet les conflits de 1998 entre des groupes armés et des forces régulières dans cette zone poudrière de la République Démocratique du Congo frontalière du Rwanda.

De l’enthousiasme malgré la menace sécuritaire

Cette 26ème édition revêt un caractère historique. C’est celle du cinquantenaire de ce festival qui d’année en année a pris de l’ampleur. Si le FESPACO a pu se pérenniser et se développer c’est parce que d’abord il a toujours eu le soutien des burkinabè et des autorités. « Toutes les autorités, tous les chefs d’Etat qui se sont succédé ont adhéré à ce festival, parce que les burkinabè aiment la culture. Ils sont convaincus de l’importance de la culture », estime Mme Alimata Salemberé, celle qui en 1969 a dirigé le premier comité d’organisation de la première édition de la Semaine du Cinéma Africain, qui allait devenir le FESPACO. « L’Etat burkinabè qui ne dispose pas de plus de moyens que d’autres pays, apporte un grand soutien aux cinéastes », souligne le secrétaire général de la Fédération Panafricaine des Cinéastes, M. Cheick Oumar Cissoko, rappelant qu’en 2018, l’Etat burkinabè a mis à la disposition des cinéastes nationaux un fonds d’un milliard de francs CFA. Cet intérêt pour le 7ème art n’a jamais manqué au pays des hommes intègres (signification de Burkina faso). «Il y a eu plusieurs coups d’Etat au Burkina Faso, et souvent juste à quelques semaines du mois de février, et les couvre-feux étaient décrétés, mais pendant la période du FESPACO la mesure est suspendue », relève Mme Alimata Salemberé, évoquant l’attachement des burkinabè à ce festival.

Autre signe de l’adhésion du peuple et du gouvernement burkinabè à cet événement, malgré le contexte sécuritaire caractérisé par des attaques terroristes dans plusieurs zones du pays, le festival a mobilisé plus de monde que d’habitude. L’esprit du FESPACO a eu raison de la psychose. Les cérémonies d’ouverture et de clôture ont été ainsi organisées en grande pompe avec un record de la mobilisation des populations. Etaient présents à la cérémonie d’ouverture du festival le président de la commission de l’Union Africaine, M. Moussa Faki, ainsi que des ministres de la culture de certains pays africains dont le Mali, la Cote d’Ivoire, l’Afrique du Sud, le Cameroun, le Rwanda, tandis que pour la clôture, les présidents Paul Kagamé du Rwanda, Ibrahim Boubacar Keita du Mali, l’ancien président ghanéen, Jerry John Rawlings étaient aux côtés du Président du Faso Roch Marc Christian Kaboré. Les festivaliers ont afflué de par le monde. Plus de 500.000 participants selon les estimations. Une mobilisation qui selon le ministre burkinabè de la culture, M. A. Karim Sango témoigne de « la capacité commune à résister et à faire échec aux forces du mal ». À cette occasion, le président de la commission africaine M. Moussa Faki, qui a déploré l’insuffisance de la solidarité vis-à-vis des pays du Sahel dans la lutte contre le terrorisme, a annoncé un prix de l’organisation panafricaine, dédié à la paix et à la sécurité. C’est le réalisateur tunisien Ben Mohamoud qui a remporté ce prix avec son film Fatwa, également primé avec l’étalon de bronze de Yennenga.

Cette biennale du cinquantenaire a été riche en hommage aux pionniers du cinéma africain, ceux qui ont contribué à son développement. Il s’agit entre autres, de Sembène Ousmane, Paulin Vierra, Oumarou Ganda, Med Hondo, Moustapha Alassane, Gaston Kaboré,… dont les œuvres ont été « la sève » qui a nourri le FESPACO. Le président de la Haute Volta, le Général Sangoulé Lamizana qui a soutenu la première édition de ce qui allait devenir le FESPACO, mais aussi la présidente du premier comité d’organisation de l’événement, Mme Alimata Salambéré âgée aujourd’hui de 77 ans, et qui était à cette cérémonie, ont eu droit également à des hommages.   Il y avait également des projections rappelant la première édition du festival, celle de 1969.  

Comme de tradition les acteurs du monde du 7ème art, toutes générations confondues, se sont retrouvés au deuxième jour du FESPACO pour la cérémonie de libation sur la Place dédiée au cinéma africain. A cette occasion, la statue du cinéaste camerounais Jean Pierre Dikongué Pipa a été dévoilée à côté de celles des autres grands noms du cinéma. Il y a eu une minute de silence à la mémoire de ceux qui sont décédés.

« Le FESPACO, c’est un parcours de cinquante ans fait de difficultés, de périodes de joie et de déception, de réussite, d’espoir. Le FESPACO a fait du chemin et a grandi, nous souhaitons qu’il aille encore de l’avant, qu’il vive pour que vive le cinéma africain » a dit le vieux cinéaste ivoirien, Timoté Bassolé, membre de la FEPACI.

Ce cinquantenaire a été aussi l’occasion de la tenue du 10ème congrès de la FEPACI et du retour de son siège à Ouagadougou dans les locaux mis à sa disposition par le Burkina Faso. A l’issue du congrès qui l’a reconduit, le secrétaire général, M. Cheick Oumar Cissoko a annoncé un nouveau départ pour l’organisation.

La Fédération Africaine des Critiques de Cinéma (FACC) a également tenu son congrès électif.   Les critiques ont donné le pouvoir aux femmes, en portant Fatou Kiné Sene à la tête de la fédération ainsi que deux autres femmes aux postes du secrétariat et à la vice-présidence.

Des coups de Gueule…

Ont-t-ils été débordés, les organisateurs de cette 26ème édition, couplée au cinquantenaire du FESPACO ? L’organisation a été diversement appréciée, voire critiquée.

Des invités qui sont restés chez eux faute de billets ; des réalisateurs qui ont mal apprécié les lieux et surtout les programmations de leurs films à des heures tardives ; l’attitude souvent zélée des agents de sécurité vis-à-vis de certains officiels ; pour une raison ou une autre, l’édition 2019 de ce festival a suscité quelques coups de gueule.

Elle n’était pas la seule dans ce genre situation, mais Aicha Boro, n’a pu s’empêcher de pousser un coup de gueule à cause de l’heure tardive de la projection de son documentaire, le loup d’or de Balolé. Heureusement qu’elle a eu une belle consolation, car au soir du 2 mars, son film a été primé, ce qui fait d’elle la première lauréate de l’étalon d’or de Yennenga en catégorie documentaire long métrage. Une innovation a été     instituée à partir de cette 26ème édition de d’or pour le documentaire long métrage.

Habituée du FESPACO depuis 1993, lauréate du grand prix documentaire en 2013, la cinéaste tunisienne Nadia El Fani,   a étalé dans une tribune les déceptions vécues à cette 26ème édition du festival où elle était présidente du jury compétition documentaires long et court métrage. Appelant à une amélioration de l’organisation, elle a déploré « la galère des membres du jury ». Elle évoquait entre autres la non disponibilité à temps du programme, du catalogue pour les synopsis et fiches techniques des films ; des erreurs dans la lecture de leur palmarès qui n’a pas été rendu public par le jury et, elle dit avoir été prise à partie pour avoir voulu relever tout cela. « Critiquer le FESPACO, ce n’est ni offenser ni insulter les organisateurs, c’est leur dire en face tout ce qui n’est plus admissible après cinquante années d’existence sur des défauts récurrents d’organisation. Pour moi, c’était mon dernier FESPACO si rien n’est fait pour améliorer l’organisation de ce grand festival pour notre continent et pour lequel j’ai une immense affection », a-t-elle écrit.

Mais le coup de gueule qui a fait surtout le buzz, est celui des femmes du métier du cinéma, à travers le mouvement #memepaspeur, qui libère la parole des actrices victimes de harcèlement. L'actrice française Nadège Beausson-Diagne, la comédienne et réalisatrice Azata Soro deux icônes de ce mouvement ont publiquement révélé les agressions dont elles ont été victimes. Azata Soro est l’actrice dont le visage avait été lacéré avec un tesson de bouteille par le cinéaste burkinabè Tahirou Tasséré Ouedraogo lors du tournage de la série "Le trône". Le mouvement avait exigé à travers une pétition l'exclusion de cette série du FESPACO. Dans la foulée, la chaîne TV5 Monde a annoncé au dernier jour du FESPACO, « mettre fin à toute collaboration avec le cinéaste burkinabè TahirouTasséré Ouedraogo, condamné par la justice pour avoir agressé et défiguré une de ses assistantes sur un tournage ». Le communiqué publié par la chaîne internationale francophone précise qu’elle « ne diffusera pas la série "Le Trône", se réserve le droit de poursuivre M. TahirouTasséré Ouedraogo, en justice pour réparation des préjudices causés ».    

Le cinquantenaire du FESPACO aura été ainsi diversement marqué et apprécié.

Pas de prix pour le Niger, mais le cinéma nigérien est sur le chemin de sa relance, estime le Directeur Général du CNCN, M. Sani Magori.

Le Niger était présent au 26ème FESPACO avec 3 documentaires en compétition, deux autres films en panorama. Pour les documentaires sélectionnés il y a un long métrage « Solaire Made In Africa» du réalisateur Saguirou MALAM ; un court métrage « Bibata est partie»   de la réalisatrice Nana Hadiza Akawala et dans la catégorie film d'école « L’Algaita au cœur du Manga », dont le réalisateur est Ari ADAM de l’Institut de Formation aux Techniques de l’Information et de la Communication (IFTIC). Les deux films retenus   en panorama sont « Etincelles » de Riba Bawa Kadade et « Ma belle-mère ma coépouse » du réalisateur Djingarey Moussa Hamadou. Le Film, Sur les traces de Mamani Abdoulaye, réalisé par Amina Mamani Abdoulaye, la fille de l’illustre écrivain a été également projeté au niveau du site du MICA.

Le Niger n’a pas eu de prix au FESPACO 2019. Mais pour le Directeur général du Centre National de la Cinématographie du Niger, M. Sani Magori, cette rencontre est un «tremplin, et le plus important est de croire ».   Le fait que cinq films nigériens soient en sélection parmi les 167 retenus sur plus de 1000 candidatures est déjà une victoire, estime M. Sani Magori. Le cinéma nigérien est sur le chemin de sa relance, et cette édition du FESPACO a été l’occasion de rencontres professionnelles, de présentations de projets cinématographiques et a permis de faire la visibilité pour le pays, soutient-il. Mais le cinéma nigérien a surtout besoin de financement.

Le Niger a pris un stand au niveau du site du Marché International du Cinéma et de la Télévision Africain (MICA). Les films, les sociétés de production, mais aussi le CNCN ont été présentés aux partenaires et au public. La délégation du Niger a saisi l’occasion du FESPACO pour parler de la conférence UA19 que le Niger accueille en juillet 2019. « C’est une opportunité pour nous de vendre l’image du Niger, un pays qui est prêt à accueillir ses illustres hôtes », a dit M. Sani Magori.

Il y a eu également une conférence animée par Harouna Niandou sur le thème « mémoire et avenir du cinéma nigérien » ; la cérémonie de vernissage du livre intitulé Oumarou Ganda, le cinéaste de la révolte des pauvres, coécrit par Harouna Niandou et Maizama et édité par le CNCN. Une chanson composée par l’artiste Ali Achibili de Zinder a été appréciée par le public à cette occasion. Ce qui selon M. Sani Magori est un hommage à Oumarou Ganda, premier lauréat de l’étalon d’or de Yennenga en 1972, de l’histoire du FESPACO qui célèbre son cinquantenaire. Mais la statue d’Oumarou Ganda tarde à sortir sur la place du cinéaste à Ouagadougou. «Oumarou Ganda était quelqu’un de très humble, très ouvert, et le cinéma c’était sa passion » a témoigné la présidente du premier comité d’organisation, Mme Alimata Salemberé lors de la cérémonie de libation.

Aussi, lors de ce FESPACO, la Tunisie, le Maroc, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, à travers leurs centres nationaux de cinématographie, ont signé un mémorandum en vue de permettre à des films de se réaliser dans les mêmes conditions. Chaque année, ils vont ainsi prendre un film qu’ils vont amener au bord de la production, ce qui pourrait être élargi à deux ou trois films, a expliqué M. Sani Magori. Enfin, un autre point à relever est le projet d’ouverture d’un pavillon africain de cinéma africain à Cannes auquel le Niger a adhéré. « Ce sera l’occasion de trouver des partenaires pour renforcer le dispositif existant », espère le Directeur général du CNCN.

Par Souley Moutari, Envoyé spécial (ONEP)

15 mars 2019
Source : http://www.lesahel.org/