Skip to main content

Niger - Aïcha Macky : "J'ai voulu changer le regard sur l'infertilité"

 L’arbre sans fruit - bande-annonce

demo
 
 L’arbre sans fruit - bande-annonce L’arbre sans fruit - bande-annonce

Le Point Afrique : L'Arbre sans fruit est-il votre premier film ?

Aïcha Macky : C'est mon premier film professionnel. Après des études de littérature et de sociologie au Niger, j'ai eu une bourse de la région Rhône-Alpes pour faire un Master 2 de réalisation de documentaire de création à l'université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal. J'avais fait deux films à l'école. Le premier, intitulé Moi et ma maigreur, était un autoportrait. C'était une façon d'interroger la prise de médicaments de rue qui favorisent le gavage. C'est ce que font beaucoup de Nigériennes pour devenir grosses et répondre à la norme sociale. Le second, Savoir faire le lit, était une étude comparative entre le Sénégal et le Niger sur la perception du corps de la femme et sur l'éducation sexuelle transmise par les parents. L'Arbre sans fruit est mon premier film professionnel. Le tournage a commencé en 2016. Je suis la réalisatrice et c'est Julien Bossé qui a filmé. Il m'a beaucoup apporté, car quand on signe son premier film, on a besoin d'un chef opérateur qui fait plus qu'appuyer sur la touche « REC » (enregistrer, NDLR.).

Comment est née l'idée d'un film sur l'infertilité ?

Au début je voulais faire un film sur la mortalité maternelle, sur l'histoire de ma mère. Pendant mes études au Sénégal, j'ai aussi appris qu'une amie était morte en couches. Cela m'a touchée. Et quand je suis rentrée au pays, j'ai senti la pression sociale par rapport à l'enfant qui ne venait pas dans mon couple, après plusieurs années de mariage. C'est ainsi que l'idée du film a évolué.

Vous dites, au début du film, en vous adressant à votre mère : « En donnant la vie, tu as perdu la tienne, et moi, je meurs à petit feu en ne la donnant pas. »

Oui, je vivais une sorte de mort sociale parce que je n'arrivais pas à donner la vie. Donc, j'ai commencé à rencontrer des femmes qui m'ont raconté leur vécu. Je me souviens que l'une d'elles m'a dit : « On est des femmes incertaines ; j'ai perdu de l'assurance même dans mon foyer tellement j'ai honte de moi. » C'est le genre de témoignages qui m'ont marquée. J'ai commencé à écrire sur le regard social posé sur ces femmes. Il y a par exemple une chanson au Niger qui dit qu'une femme qui ne peut pas donner la vie ne mérite pas d'avoir un foyer.

C'est une situation qui détonne dans un pays comme le Niger, où le taux de fécondité est très élevé.

Quand vous voyez qu'il y a 7,6 enfants par femme au Niger, c'est un paradoxe. On se dit qu'il suffit presque de toucher les femmes pour qu'elles soient enceintes. Au Niger, vous allez trouver des femmes qui ont jusqu'à 18, voire 20 enfants. Cela existe. Donc, c'est incompréhensible pour la société que certaines femmes ne parviennent pas à procréer. Et souvent, c'est perçu comme étant tout simplement un refus de leur part. Surtout si ce sont des femmes dites « intellectuelles » qui sont concernées, ou des femmes qui travaillent.

Une femme qui n'a pas d'enfant n'est pas dans la norme ?

Non, en effet. Quand j'expliquais que je n'avais pas d'enfant après cinq ans de mariage, on me posait beaucoup de questions. C'est difficile car on rentre dans ton intimité. On me dit par exemple que c'est à cause de mon métier, ou on me reproche de vouloir faire comme les Occidentales. Parfois les gens me disent aussi : « Tu ne veux pas avoir d'enfants pour ne pas grossir et garder la ligne. » Donc ce film, c'est un carnet de vie mais je me suis aussi inspirée du vécu d'autres femmes, dont la parole est enfouie. À travers ma situation personnelle, je pouvais mettre en lumière cette situation inconfortable, et évoquer plus largement la question de la condition féminine.

* "L'Arbre sans fruit" a été réalisé par Aïcha Macky et produit par Les Films du Balibari. Le documentaire est en projection le mercredi 8 novembre à 20 heures au cinéma Grand Écran à Mauges-sur-Loire, le vendredi 17 novembre au Festival AFRIKAMERA à Berlin, Allemagne, le lundi 20 novembre à 19 h 30 au cinéma Arvor à Rennes, le mardi 21 novembre à 20 h 15 au Cinéma CLUB6 à Saint-Brieuc, et le jeudi 30 novembre au cinéma Agnès Varda à Juvisy-sur-Orge.

Propos recueillis par Agnès Faivre
06 novembre 2017
Source : http://afrique.lepoint.fr/culture/