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Chronique culturelle : Le poète Hawad entre errance et Furigraphie

Hawad FurigraphieMahmoudan Hawad, né en 1950, dans l’Aïr au Niger, est romancier, dramaturge, poète, peintre, calligraphe et essayiste. Aujourd’hui, il est une des grandes figures de l’art contemporain dans le monde et le concepteur du mouvement de la Furigraphie. Auteur de plus 20 oeuvres écrites en tifinagh, une écriture pratiquée par les touareg, il est traduit en français, en italien, en espagnol, en arabe et en anglais. Il suscite un intérêt dans le monde de la recherche, tant pour son originalité que par les thèmes qu’il aborde.

La Furigraphie est l’expression de sa façon de résister face au chaos et au non-sens de la vie moderne, de construire des espaces inédits pour penser, ressentir et dire autrement les choses, sans se détacher de sa culture basée sur le nomadisme, un mode de vie à la fois spatial, culturel, intellectuel et spirituel. Hawad compare la Furigraphie à une démarche qui refuse l’exotisme et les canaux de l’art occidental. C’est une invitation à la créativité, à la résistance et à la réinvention tout en préservant les racines culturelles touarègues afin d’explorer de nouveaux territoires par une errance qui lui permet d’aller vers les autres cultures à la recherche de l’oeil de la certitude en soufi averti.

Sa poésie, sa peinture et ses réflexions politiques refusent toute idée de frontières qu’il considère comme des blessures de trop sur « le dos maigre de l’Africain. ». Hawad est profondément engagé dans la lutte contre l’oppression, la marginalisation et la violence. Ses poèmes sont des cris de résistance contre les forces qui cherchent à faire table rase sur son identité. Car dit-il :

L’oppression, tel un spectre insidieux S’infiltre dans les veines de la cité, Imposant son joug, tissant ses chaînes.

Hawad évoque souvent le sentiment d’exil, la nostalgie de son désert natal qu’il a quitté dès l’âge de sept ans. Ses vers portent la douleur de l’éloignement. J’ai été locataire et des prisons et des grands hôtels.

J’ai connu la faim et aussi la grève de la faim. Et il n’est pas de mets dont j’ignore le goût.

Hawad rend hommage à la mémoire collective de son peuple à travers les légendes, les épopées et les souvenirs transmis de génération en génération qui meurent aujourd’hui sous ses yeux.

L’usage de l’écriture du Tifinagh et de la langue tamajeq est un des moyens de s’affranchir des stéréotypes de l’art occidental. En effet, ce sont des outils culturels concrets, des armes qu’il réinvente au quotidien afin de décoloniser les esprits, mais aussi d’appeler à la résistance à travers des thèmes tels que la soif, le mouvement, l’errance, l’anarchie, la désertification, l’exploitation minière et leurs conséquences sur l’écosystème d’un Sahara mortifié et dépossédé et dont les habitants ne reçoivent que radio activité comme dédommagement.

Car, dit-il, « La poésie est ma monture. Elle me permet de partir, de rebondir, de sortir d’une situation d’encerclement, d’étouffement, de vieillissement ou de détérioration de ce qui m’entoure « Je ne cherche ni harmonie ni tranquillité ni espace à occuper. (…) On n’échappe pas aux souffrances, on les affronte, on rentre dedans, on hurle le chaos. La poétique de la furigraphie, c’est le moment où tous nos gestes et cris, nos douleurs et joies, nos audaces et nos peurs, tout est mis en scène, chaque acteur sans pathos joue son rôle. »

Les différentes formes d’art de Hawad explorent dans, tous les sens, le drame de la condition humaine face aux problèmes environnementaux, de l’identité. Il se considère comme un poète de l’errance et se définit comme le « néant qui anéantit son anéantissement », nous invite donc à une réflexion inclusive sur la manière d’être nomade, au-delà humain tout court aujourd’hui, à partir des voies de la créativité littéraire et artistique pour échapper aux contraintes et aux schémas imposés par le modernisme. Hélas, Hawad semble être un écrivain, un peintre presque du moins incompris dans sa démarche même si, ailleurs, il est sollicité aux grandes rencontres littéraires et artistiques mondiales. Ses oeuvres picturales entrent dans les musées et galeries, ses calligraphies décorent les mosquées. Il accumule prix et distinctions, entre autres, le Prix international de poésie Argana (2017) décerné par le Maroc qui reconnaît l’importance de son oeuvre poétique, le Prix Ostana, Italie, (2023). En tant qu’intellectuel novateur, il est le plus grand représentant de la littérature de la langue berbère pour être à l’origine d’un courant de pensée inédite en rapport avec les défis de son temps : la furigraphie.

Comme dit un proverbe, nul n’est prophète chez soi. Hawad semble un inconnu au Niger, un pays dont la vision est « de Faire de la Culture un moyen d’affirmation de son identité, de sa refondation et un puissant levier de développement durable, ainsi qu’un facteur incontournable d’intégration nationale et internationale. »

Rien que pour sa contribution à la valorisation du Tifinagh et le fait d’être porteur d’un courant de pensée et de création artistique à portée universelle, Hawad aurait déjà été hissé au rang de monument vivant, son nom attribué à des espaces culturels, au moins à Agadez, afin de l’immortaliser et que l’oubli ne l’ensevelisse pas sous les dunes de Sahara pollué. Les générations futures en parleront pour l’immense patrimoine qu’il leur léguera.

Par SALEY Boubé Bali
Université André Salifou de Zinder