Entretien avec Amina Mamani Abdoulaye, réalisatrice du film «L’envoyée de Dieu», en compétition officielle au FESPACO 2023 : «Ce film, c’est une manière de rendre hommage à toutes ces filles qui sont mortes malgré elles ; c’est aussi montrer qu’on peut to
Après votre succès avec le documentaire ‘’Sur les traces de Mamani Abdoulaye’’, vous venez de réaliser «L’envoyée de Dieu». Qu’est ce qui explique le recours à la fiction pour votre nouveau film ?
Ce n’est pas un simple recours à la fiction ; j’ai eu envie de raconter cette histoire en fiction avec beaucoup plus de liberté et d’imagination. Je peux bien conter cette histoire en documentaire, mais je pense que je serai limitée car il serait beaucoup plus question du vécu et de témoignages des victimes qui ont été kamikazes, si elles sont toujours en vie. Ça peut aussi être difficile d’avoir une fille qui peut témoigner, puisque si elle est kamikaze, logiquement elle devrait être morte en tuant des personnes…Et la kamikaze dirait tout simplement qu’on lui a attaché une bombe qu’elle doit aller exploser.
Mais là, ce que j’ai raconté comme histoire, c’est beaucoup plus le point de vue de Fatima, la petite Kamikaze, l’actrice. Normalement, elle n’a pas son mot à dire, elle est choisie, et elle exécute tout ce qu’on lui dit comme font toutes les kamikazes… Alors que dans mon histoire, Fatima qui est «L’envoyée de Dieu» qui a osé parler au boss. Il y a une confrontation entre le boss et elle. Par exemple : lorsque le boss lui dit: «tu es choisie par Allah pour accomplir une mission divine», elle lui demande «pourquoi il n’a pas choisi ta fille ?». Le boss dit encore que «c’est la volonté de Dieu», elle lui pose cette question : «quel Dieu ?». C’est une grosse surprise pour le boss, et comme il n’a pas de réponse il s’énerve…
Vous voyez, en réalité ça ne se passe pas comme ça, personne n’affronte le boss. Mais, moi, j’ai créé cette confrontation parce que depuis le début de cette histoire de Djihadistes, dès que j’apprends une attaque ou une explosion par les enfants, j’ai très mal au cœur et automatiquement je me pose ces deux questions que la fille a osé poser au boss. Peut-être un jour quelqu’un va arriver à leur poser cette question, mais en tout cas pour le moment moi, j’ai osé à travers mon personnage que j’ai créé moi-même. C’est frustrant d’obliger les enfants des autres, des innocents à commettre un tel crime et ils meurent bêtement.
Ce film, c’est une manière de rendre hommage à toutes ces filles qui sont mortes malgré elles ; c’est aussi montrer qu’on peut toutefois refuser, dire non. Vous me diriez qu’on n’a pas trop le choix face à ces gens-là. Je sais que ce n’est pas évident, mais il faut montrer aux autres, qu’il y a toujours une possibilité quel que soit là où on se retrouve. Il s’agit pour moi de montrer également le sacrifice fait par Fatima : elle a refusé de tuer les gens au marché où elle a été déposée. La ceinture d’explosif qu’on lui a fait porter et activée pour un compte à rebours de 10 mn ; la fille est ensuite droguée. Pendant 9 mn, elle a déambulé dans le marché tout en flottant entre l’espoir et le désespoir, entre le présent et le passé jusqu’à ce qu’elle retrouve sa mère et sort du marché pour ne pas tuer les gens et elle avec. C’est de la bravoure, de l’amour…c’est un grand sacrifice !
Ce film est aussi un cri de cœur pour les adultes, qui à cause de leur frustration, se servent ou tuent des enfants. Chaque enfant a le droit de vivre. N’imposons pas des choses atroces à ces innocents, arrêtons d’infliger cette souffrance aux parents surtout aux mères. Dans le film, quand Fatima est revenue, sa mère ne s’y attendait pas, parce qu’il y a très peu qui reviennent ; peut-être elle a déjà fait le deuil de sa fille. Mais voilà cette fille est de retour, sa mère ne peut même pas la prendre dans ses bras parce qu’elle porte une bombe. La fille fuit alors pour ne pas tuer sa mère, les deux sont restées impuissantes. C’est très dur, comme retrouvailles.
Pourquoi la référence à Dieu pour le titre d’un film racontant une histoire de kamikaze ?
D’après ce qu’on connaît ou ce qu’on entend, sur le concept des djihadistes qu’on a au Niger, au Tchad et au Nigéria par exemple, ils disent agir au nom de Dieu…pour endoctriner les gens, ils parlent de Dieu….Alors d’après eux, une kamikaze est une envoyée de Dieu parce qu’elle est bien préparée pour aller mourir en tuant les mécréants. Aussi, une kamikaze est choisie pour accomplir une mission divine, avec des promesses qu’elle ira directement au paradis. Je trouve vraiment que c’est absurde. Est-ce que le paradis là même n’est pas rempli à l’heure-là ? (rire)
De par son sujet, votre film pourrait avoir pour contexte toutes ces zones qui vivent ces derniers temps des situations difficiles. Quel est le message que vous tenez à passer à travers «L’envoyée de Dieu» ?
Effectivement, le film «L’envoyée de Dieu» parle du djihadisme – terrorisme… Au regard du contexte sécuritaire dans lequel nous vivons depuis plusieurs années dans le Sahel (Mali, Niger, Tchad & Burkina Faso), il est vraiment nécessaire d’en parler, que chacun en parle à travers ce qu’il fait. Il faut dénoncer, il faut aider l’Etat dans ce combat, bien que l’Etat ce n’est pas l’autre, c’est nous-mêmes, c’est moi, c’est vous.
Mais le film est traité d’une autre manière sans montrer le sang, les attaques et autres que tout le monde connaît, c’est traité avec beaucoup de subtilité. En effet c’est l’histoire d’une petite fille kidnappée et une nuit, elle est choisie au hasard. On lui attache une ceinture d’explosif marquée 10mn. On la prévient qu’elle va accomplir une mission divine. Par la suite, on la dépose dans un marché pour tuer les «ennemis» d’Allah.
Je me pose toujours la question de savoir c’est au nom de quel «DIEU», que ces gens-là agissent ? Et pourquoi est-ce qu’ils envoient des innocents, les enfants des autres pour commettre un tel crime ? Pourquoi est-ce qu’ils n’envoient jamais leurs propres enfants ?
Oui, le contexte sécuritaire dans le Sahel est très préoccupant du moment où personne n’est épargné, aujourd’hui on tue ton voisin, demain peut-être c’est toi qui sera tué, donc pour moi c’est une affaire de tous et à prendre très au sérieux. Selon moi ce n’est pas seulement les militaires qui doivent combattre cela. Oui vous me diriez que c’est à eux de le faire car ils ont été formés pour ça, je suis d’accord mais, nous les civils et tout le monde pouvons contribuer à notre manière et moi c’est à travers des films que je le fais. Je pense que je peux apporter ma modeste contribution à travers mon cinéma. Mais, du côté des femmes et des enfants qui sont kidnappés et devenus des bombes humaines c’est une manière de leur dire il y a toujours une possibilité. Concernant cette histoire de djihadisme-terrorisme, j’ignore quand, mais ça va finir un jour ; et bientôt je pense. J’ai espoir.
Quel sentiment vous anime à la veille de la 28ème édition du FESPACO où vous êtes l’unique représentante du Niger en compétition officielle avec votre film ?
Oui c’est vrai, «L’envoyée de Dieu» est l’unique film qui représente le Niger en compétition officielle à cette 28ème édition. C’est un honneur pour moi de représenter mon pays à cette rencontre panafricaine. Il y a un petit stress de temps en temps (rire), sinon, je suis tranquille, à l’aise. Je veux dire que j’essaie d’avancer dans mes futurs projets.
Entretien réalisé par Souley Moutari(onep)
Source : http://www.lesahel.org