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Filière volaille : Les épidémies successives de grippe aviaire mettent à rude épreuve le développement du secteur

L’élevage de volailles est une tradition dans les familles au Niger, qu’elles vivent en ville ou en milieu rural. Ces dernières années, avec l’urbanisation accélérée et la multiplication des groupes d’éleveurs sur les réseaux sociaux, les fermes conventionnelles et les élevages semi intensifs dans les basses cours et les jardins des particuliers ont pris de l’ampleur. Malheureusement, le non-respect des mesures de biosécurité par certaines fermes et les amateurs de l’élevage handicape sérieusement l’essor du secteur.

Depuis le point de presse du mardi 3 janvier dernier animé par Dr Abdou Issiako, directeur général des services vétérinaires, l’épidémie de grippe aviaire a progressé pour toucher plusieurs zones à travers le pays. Les pertes se chiffrent à plusieurs dizaines de milliers de sujets, morts de la grippe aviaire ou abattus par précaution selon les normes sanitaires en la matière. Aujourd’hui, par simple entêtement de certains éleveurs, c’est tout un groupe qui pâtit des conséquences de la grippe aviaire sur le secteur. Dans certains villages, c’est entre 40 et 50 ans d’effort pour améliorer les races locales qui est anéanti à la vitesse d’un claquement de doigt.

Actuellement, détaille le directeur général des services vétérinaires, des foyers de grippe aviaire sont observés le long de la frontière avec le Nigeria, dans les régions de Diffa, Maradi et Zinder qui entretiennent une intense relation commerciale avec le grand voisin du sud. Toutefois, a poursuivi ce technicien qui a mis ses équipes sur le qui-vive depuis que l’alerte est donnée, la surveillance est de mise pour limiter la rentrée dans le pays de la volaille en provenance du Nigeria.

Pour M. Moussa Zada Ibrahim, jeune entrepreneur et promoteur de la ferme « La Maison du Fermier » à Niamey, le compte est déjà salé. Avec une commande hebdomadaire moyenne de 50 cartons de poussins avant l’épidémie de grippe aviaire, soit 2.500 sujets par semaine, ses commandes ont drastiquement chuté à 5 ou 6 cartons. Il en est de même pour ses ventes d’aliments pour volailles qui chutent de 10 sacs par jour à seulement 2. Cette réticence des clients à s’approvisionner entraine un exercice négatif dans les comptes de la ferme qui exerce dans l’informel comme la plupart des structures du secteur à Niamey.

La baisse des chiffres d’affaires ne concerne pas seulement la vente de poussins et d’aliments. Elle concerne également l’importation, la production locale et la vente de divers matériels utilisés par les fermes et les éleveurs de volailles. Depuis qu’on a annoncé la grippe, a expliqué M. Moussa Zada Ibrahim, beaucoup d’éleveurs ont vendu leurs poules avant que la grippe ne rentre dans leurs fermes et leur cause des pertes énormes. Il va de soi qu’avec moins de sujets, soupire-t-il, toute la chaine d’approvisionnement s’effondre et jette les acteurs dans une situation précaire.

Malgré les mesures restrictives prises, la volaille circule dans le pays

A Niamey et dans les grandes villes du pays, on consomme une très grande quantité de viande de volaille. La peur des consommateurs de voir la viande de volaille se faire rare, et par conséquent de devenir plus chère, n’a jamais préoccupé. Malgré les restrictions et les appels répétés du directeur général des services vétérinaires du Niger, les importations de sujets vivants n’ont jamais cessé, y compris de zones de foyers déclarés à l’extérieur du pays. Déjà, dans son point de presse du 3 janvier dernier sur la situation de la grippe aviaire dans le pays, Dr Abdou Issiako insistait sur la mise en œuvre et le respect des mesures préconisées en pareilles circonstances.

Le jeune entrepreneur et promoteur de ferme dans le secteur de la volaille, M. Moussa Zada Ibrahim, consent  que c’est plutôt la méfiance des acheteurs de poussins et non les difficultés d’importation qui a entrainé la chute des revenus. Car, les routes d’approvisionnement sont restées les mêmes. « Les poussins nous viennent du Nigeria et le matériel d’élevage nous parvient de la Chine, quand c’est une grosse commande et du Burkina Faso, quand c’est des achats en détail. Mais, en cas de rupture de stocks de matériels, c’est le ravitaillement à partir du Nigeria qui est privilégié », précise-t-il. Il n’en démord pas contre ce qu’il appelle « le temps de la fermeture » qui a « carrément tout stoppé ».

Pour les autorités sanitaires, l’observance des mesures sanitaires permet de circonscrire rapidement les foyers déclarés et de venir à bout de l’épidémie dans les meilleurs délais. Ils s’agit « d’empêcher les mouvements de sortie et d’entrée des volailles à l’intérieur des localités infectées, même au niveau des marchés à volailles, de désinfecter les matériels et poulaillers et d’abattre tous les sujets malades, et les enfouir dans une fosse avec une couche de chaux vive », a souligné le directeur général des services vétérinaires, Dr Abdou Issiako.

Le chercheur et académicien, Dr Ibrahim Maman Laminou, Chercheur au Centre de Recherche Médical et Sanitaire de Niamey et Professeur associé à la faculté de science et technique de l’université de Tahoua rappelle que le H5N1 est considéré comme un virus hautement pathogène et contagieux. D’où la nécessité, dit-il, de renforcer les mesures pour empêcher à la maladie, une fois déclarée, de s’étendre à d’autres élevages pour ne pas ruiner les éleveurs. Dans les zones où la maladie est bien ancrée, comme en Asie du Sud Est, poursuit-il, on privilégie plutôt la vaccination dans le cadre des activités de prévention. Ce chercheur qui affectionne l’élevage, souligne qu’à un stade, cette activité ne doit pas être une affaire d’amateur et l’éleveur doit se professionnaliser pour soutenir le développement du secteur et non être la probable source qui va affaiblir la filière.

Renforcer la prévention et promouvoir la sensibilisation et la vaccination

Le gouvernement, insiste Dr Ibrahim Maman Laminou, doit prendre toute la mesure de cette pathologie qui a une grande conséquence économique, afin de l’éradiquer grâce à des mesures appropriées. « En effet, si toutefois cette maladie s’installe de façon définitive dans notre pays, les pertes économiques seront nombreuses, donc tout le secteur sera affecté », prévient-il. Le chercheur insiste aussi sur le rôle important que doit jouer le ministère de l’élevage dans la formation continue des éleveurs, surtout en biosécurité. Car, selon les constats, la majorité des éleveurs de volailles exercent dans un cadre informel au Niger, d’où la difficulté de toucher l’ensemble des acteurs du domaine. « Arrivé à un certain niveau, l’élevage ne dois plus être l’apanage des amateurs, mais des professionnels », fait aussi savoir Dr Ibrahim Maman Laminou, mettant en exergue le risque que fait courir certains « gros éleveurs » qui exercent en appliquant les mêmes règles qu’un éleveur de basse-cour.

Comme pour faire échos aux préoccupations de Dr Ibrahim Maman Laminou, dans son bulletin N°4 publié dans la deuxième décade du mois de février, la direction générale des services vétérinaires du ministère de l’élevage, faisait cas de la difficulté de contrôler les fermes traditionnelles et les exploitations familiales. Ces dernières surtout, se sont développées très rapidement et de manière dissemblable, grâce au développement de la téléphonie mobile et des réseaux sociaux. Non recensées, il est presque impossible de faire appliquer par ces structures informelles logées majoritairement dans les maisons, des mesures de biosécurité. Ce qui, de l’avis de tous les techniciens et chercheurs, pose un risque de propagation de la grippe aviaire, en cas de contamination, vers d’autres secteurs saints.

Des initiatives louables des autorités existent dans ce sens. Déjà, quelques jours avant l’annonce officielle de l’épidémie de grippe aviaire, le ministère de l’élevage a mis à disposition des éleveurs de Niamey, une importante quantité de vaccins contre le coryza des volailles. Sceptique, malgré la grande campagne de sensibilisation autour du thème, et frustré par la décimation de sa ferme par la maladie de Newcastle juste avant l’apparition de l’épidémie de grippe aviaire, M. Moussa Zada Ibrahim, fermier amateur promoteur de « La Maison du Fermier », dit considérer les deux maladies comme étant la même chose. «S’ils (ndlr : les services vétérinaires) peuvent faire les campagnes de vaccination chaque année, vaut mieux commencer dès Octobre et non attendre que la saison froide s’installe sur le pays », s’agace-t-il encore.

L’idéale serait, pour les techniciens et les chercheurs, d’arriver à sensibiliser et former l’ensemble des éleveurs de volailles du Niger sur la biosécurité, qu’ils soient des fermiers professionnels ou amateurs. Il faudra aussi acquérir du matériel de protection et désinfection et le mettre à disposition des  cadres de terrain qui sont dispersés sur le vaste territoire nationale. Combinées avec l’indemnisation que les autorités mettent à disposition des éleveurs de volailles impactés, ces actions permettent de mieux circonscrire toute épidémie de grippe aviaire et d’y mettre un terme dans les plus   brefs délais. « Jusqu’à présent les déclarations sont faites puisque les fermiers savent très bien qu’ils seront indemnisés en cas d’abattage par nos services. Je précise bien que seuls les sujets abattus par nos soins sont indemnisés », explique Dr Abdou Issiako.

Développer la filière locale de la volaille pour mieux lutter contre la grippe et les autres maladies infectieuses

Les acteurs formels et informels du secteur, de même que les techniciens, sont unanimes dans la réponse à apporter aux différents problèmes que rencontre le Niger dans le secteur de la volaille. Il faut, disent-ils, dans les plus brefs délais, améliorer davantage le secteur local de la volaille et l’ériger en véritable vecteur d’inclusion et de développement. « Le but est d’arriver avant tout à assurer la résilience du secteur par son autosuffisance ou presque ». Les acteurs se félicitent donc de l’inscription de la « Production de volaille et de pintades » dans le groupe des sept (7) programmes phares du gouvernement contenus dans sa Déclaration de politique générale (DGP).

« Tant que le besoin se fera sentir, nous sommes dans l’obligation d’importer, surtout à partir du Nigeria. Il n’y a pas pour l’instant d’alternatif. Il faut comprendre que sans production d’œufs féconds et de poussins à l’échelle, on n’arrivera jamais à interrompre le cycle des importations », prévient M. Moussa Zada Ibrahim. Pour atteindre l’objectif voulu, c’est-à-dire une production locale suffisante, le secteur nigérien de la volaille doit pouvoir s’approvisionner localement. Tous les contours autour du développement du secteur, assure pour sa part Dr Haboubacar Maman Manzo, Conseiller principal du Premier ministre et chef du département économie rurale et environnementale, sont pris en compte par le programme phare de Production de volaille et de pintades.

Pour mieux atteindre l’objectif de développement du secteur de la volaille, plaide M. Djibo Moussa Abdoulaye, président de l’Association nationale des éleveurs de volaille (ANEV), les autorités doivent impliquer davantage les associations d’éleveurs dans la mise en œuvre des plans et programmes qui permettent de développer le secteur et de mettre définitivement un terme à l’importation des maladies sur le sol nigérien. « La plupart  des gens, dit-il, exercent dans l’informel. C’est pourquoi les associations et les groupements sont les canaux les plus utiles possibles qui puissent exister au Niger, actuellement, pour les atteindre ».

Pour les intervenants approchés, avec une bonne coordination il est possible d’atteindre l’objectif d’autosuffisance dans le secteur de la volaille. Ils rappellent tous qu’à un moment de l’histoire, le secteur, sous l’impulsion de l’Etat est arrivé à se créer un nom dans la sous-région. M. Djibo Moussa Abdoulaye en appelle aux différentes directions du ministère de l’élevage pour qu’ils intègrent pleinement la dimension associations-groupements dans leurs efforts en faveur du développement du secteur. « Nous leur demandons d’approcher les associations et groupements, ne serait-ce que de donner un seul technicien par groupe pour mener des animations périodiques qui vont regrouper les acteurs de l’association dans leurs groupes sur les réseaux sociaux. Cela permettra de leur faire cas des différentes mises à jour possibles, de les sensibiliser et de les outiller à leur tour pour véhiculer le message à travers tout le pays », a-t-il souligné.

Par Souleymane Yahaya(onep)

Source : http://www.lesahel.org