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Maraîchage à Balleyara : La rente permanente du paysan de Tagazar

En cette période d’harmattan, c’est la verdure contrastée du chou, des plans de la pomme de terre, du moringa, du manioc et de la salade qui fait le décor des jardins un peu partout autour de la ville de Balleyara, commune rurale de Tagazar. A « la terre de l’eau » où l’on marche à quelques 3 à 6 mètres (selon les endroits) sur une nappe phréatique estimée à des milliards de m3, toutes les périodes sont propices au maraichage. Les paysans ne manquent jamais de quoi mettre sur le marché.    

Originaire de l’Arewa âgé de 44 ans, Abdoul Karim Oumar est dans le maraichage depuis presque 20 ans. Il est venu pour le travail de la terre, et fonder sa famille, après une mésaventure à l’exode. « J’ai fait la Libye, l’Algérie, je n’ai pas eu mieux que ce j’ai trouvé ici à mon arrivée. Je suis venu auprès de mon frère ainé. Je faisais au début le petit commerce, avant de me lancer dans le jardinage. Mon frère me prêtait des parcelles d’irrigation. Je me suis donné à fond. Il m’a soutenu encore en me payant cet espace de 4 parcelles équivalant à 0,16 ha que j’ai transformé en jardin, il y’a trois ans de cela », confie Abdoul Karim Oumar. D’après lui, il est le premier à semer de ce côté nord-est de la sortie de la ville de Balleyara. « Tous ceux-là que vous voyez sont venus après moi. Ils ont vu que l’espace est irrigable et fertile », a-t-il dit. Le système d’irrigation ici, auquel d’ailleurs Abdoul Karim est devenu spécialiste par expérience en installation, entretien et dépannage, est celui de forage traditionnel. Le mécanisme consiste, en effet, à perforer de la main un tuyau dans le sol humide. La nappe phréatique étant beaucoup moins profonde, à 3 ou 6 mètres maximum de la surface il est connecté à l’eau. Le tuyau est ensuite relié à une petite machine de pompage qui alimente la tuyauterie de l’irrigation. Dans un seul jardin, l’on peut avoir plusieurs points de pompage. « Le système est beaucoup plus facile pour le jardinier et efficace pour l’irrigation. J’utilise 3 litres d’essence pour deux séances d’arrosage », précise-t-il.

« Ma poche n’est jamais vide. Présentement, j’ai du moringa en réserve. Le manioc est presque mûr. Quand j’aurais besoin d’argent, je cueillerais l’un ou l’autre. J’ai déjà l’argent du chou, il était dans les mêmes planches que mon moringa. Je viens d’engrainer une planche exclusive de choux semé il y’a deux semaines », confie Abdoul Karim. 

Daouda Guéro, habitant d’un quartier périphérique au sud-est de la ville, où les plants jonchent les habitations, nous évoque une certaine cherté de semences et engrais. Cela amène les maraichers à introduire l’engrais organique ou naturel. Quoi semer et quand le faire ? c’est une question de choix, ou de pari diront les producteurs. « L’année dernière, nous avons tous misé sur la pomme de terre et nous avons vécu la mévente. La même production est encore disponible. Sur le marché, tantôt c’est le chou qui fait l’affaire, souvent c’est le manioc ou la salade », explique Guéro. Les paysans s’observent ainsi et tentent de produire en diversité. Mais le moringa, lui a sa portion de périmètre partout et en tout temps.

Du moringa partout et en tout temps

Les semences du moringa proviennent de la région de Maradi. Quand les plans sont mûrs, ils fleurissent de feuilles chaque deux semaines. Et lorsqu’on ne cueille pas tout au même moment, l’on a des cueillettes toujours au besoin. Le grand sac appelé communément 100 kg se vend à 15.000FCFA. Après trois mois d’exploitation, les plans devraient être déracinés et remplacés.   

« J’ai vendu hier seulement 4 petits sacs à 12.000FCFA. Pendant le mois de Ramadan particulièrement, la cueillette se fait par semaine, pour 25.000 environ », confie Abdoul Karim Oumar. Effectivement, le mois de Ramadan est la période de forte consommation du moringa. C’est alors pour ne pas risquer la mévente que les paysans organisent leurs cueillettes selon « l’équilibre du marché ».

Selon certains producteurs, le bon moringa est celui fait exclusivement à base d’engrais organique et non chimique. A l’en croire, la différence est nette au goûter. Fort heureusement, Balleyara a également un important potentiel pastoral d’où les maraichers de la zone ne manquent jamais d’engrais organique.

La pomme de terre, semée à tout prix et vendue à vil prix

Bien que Balleyara soit une référence en matière de production des produits agricoles, le maraîchage se faisait dans cette zone à petite échelle par les producteurs qui se contentent des moyens de bord pour la pratiquer. M. Yahaya Alassane est un producteur de la pomme de terre et de chou. Il exploite un jardin juste derrière sa maison au quartier Agou 2. Rien que pour la première campagne de cette saison, Yahaya Alassane a récolté 1700 Kg de pomme de terre sur son petit espace de 400 m2. Pour la deuxième campagne, il espère en récolter plus. Selon lui, le maraichage de la pomme de terre est très important. « Nous avons tiré beaucoup de bénéfice dans cette activité. La réussite d’un producteur réside dans la première étape de la production qu’est la préparation du sol. A partir de cette étape, nous restons rassurés que la récolte sera bonne. Pour cette pomme de terre que vous voyez ici, nous avons fait la mise à terre vers fin novembre. Nous utilisons des petites pommes de terre germées que nous achetons à 26.000 FCFA, le sac de 25 kg. Et 1100FCFA, le Kg chez les détaillants pour ceux qui ne peuvent se procurer le sac. Et en début de janvier, on a déjà commencé la récolte.  Maintenant, c’est le début de la récolte, dans quelques jours, nous allons innonder les marchés de notre pomme de terre. Je suis surpris de voir comment la pomme de terre a donné cette année. Chaque jour, j’arrache une vingtaine de kg pour aller vendre au marché. Aujourd’hui seulement, j’ai vendu pour 18500FCFA. Et cela juste sur quelques mètres carrés. Je suis vraiment heureux. Nous sommes très satisfaits » a témoigné M. Yahaya Alassane.

Une autre préoccupation des producteurs, c’est la question de conservation de certains produits agricoles. Pour le cas de la pomme de terre, certains producteurs n’ont aucun moyen de la conserver. Cette situation regrettable provoque parfois des pertes énormes aux producteurs. « La plupart des producteurs qui tournent à perte. Les semences et les intrants sont très chers. Et pendant la récolte, nous le vendons à vil prix. Nous déplorons la hausse des prix des semences qui nous bloque dans nos activités. Nous achetons ces semences pendant la période de soudure très cher. Ces semences proviennent des pays voisins. Il y a des opérateurs économiques de la localité qui essayent d’accompagner les producteurs en cassant les tubercules de la pomme de terre. Mais généralement, ces gens arrivent en retard. Ils cassent les prix pendant qu’on a dépassé le stade de plantation. On ne peut pas les attendre, parce qu’ils nous mettent en retard et ce n’est pas intéressant. Quand la récolte va véritablement commencer, vous allez voir les gens vont venir acheter la pomme de terre, le chou, etc. à vil prix. Certains producteurs vendent leurs produits à des prix dérisoires par manque de moyen de conservation. Il y a beaucoup de producteurs qui ne gagnent pas de bénéfice sur les produits saisonniers » explique M. Yahaya Alassane.

Quand les exodants en prennent conscience et s’y attachent

Selon les maraichers que nous avons rencontrés dans les jardins de Tagazar, la jeunesse s’adonne de plus en plus à la terre. Avant, les jeunes avaient goût à l’exode (Ghana, Cote d’Ivoire, Libye, Algérie etc.) mais aujourd’hui, ils sont en train de prendre conscience de l’énorme potentiel agricole du bercail. « Aujourd’hui, aussi riche que soit la personne ici, elle investit dans la terre. On peut être partout dans ses affaires ou fonctions et avoir des manœuvres pour ses jardins»

L’attachement de ses paysans à la terre  n’est plus à démontrer. La plupart, comme nos interlocuteurs,  y passent toute la journée, de l’aube à la tombée de la nuit. « Je viens juste après la prière de Fajr et je ne rentre qu’après Isha’i », affirme Abdoul Karim qui n’avait pas du tout l’air épuisé jusqu’aux environs de 15 h, ce dimanche 9 janvier 2022. Il déterre même un pied de manioc pour notre équipe de reportage. « Mon souci c’est surtout de travailler mon jardin que d’aller au marché. Je préfère confier ce que j’ai à vendre à mon neveu. Je l’appelle, il vient avec un chariot pour transporter au marché, à son retour je le gratifie », dit-il.

Issa Illiassou, un autre producteur, aura lui connu le métier de taximan durant 5 ans à Niamey, en plus d’une mésaventure comme immigré. Il est arrivé dans le maraichage à Balleyara à la même époque qu’Abdoul Karim Oumar. « Depuis que j’ai commencé le maraichage, Dieu merci, j’arrive à me réaliser. Je me retrouve surtout lorsque je fais de la tomate. Ce n’est pas sa période propice actuellement. En un mois, j’ai eu à vendre de la tomate d’une valeur de 1.000.000FCFA, ici même à Balleyara. Je l’ai produite sur cet espace de 1000m 2 », affirme le maraicher du haut de ses 53 ans.

Marié et père de deux filles et deux garçons, Illiassou vit de la terre. Certes chacun à ses ambitions et ses aptitudes, mais il estime que « pour réussir, il n’y a pas mieux que chez soi ». 

A la limite des moyens et des espaces aménagés

Avec la fertilité du sol et la nappe qui est très proche, les producteurs sont tout le temps occupés dans leur jardin. Ils n’ont aucun problème d’irrigation. Cependant, il y a suffisamment de terre qui ne sont pas encore exploitées. « Le problème qui se pose est qu’il n’y a pas d’argent et les semences coûtent cher. En temps normal, moi personnellement, je peux exploiter un terrain cinq fois plus vaste que cette petite parcelle dont l’irrigation ne me prend pas deux heures de temps. Mais vraiment, c’est le manque de moyens qui nous bloque » nous disait Illiassou Alkassoum. 

M. Amadou Abdou Panga a mis le champ familial à la disposition des jardiniers pendant cette saison sèche pour promouvoir la culture de contre saison. « Nous avons mis ce terrain à la disposition des jardiniers. Je ne veux pas que ce terrain reste vide. Il y a plus de 50 pères de famille qui y travaillent » a-t-il notifié. Sur ce site, situé à Habou Tagui (la sortie de la ville de Balleyara) sur la route de Filingué, la verdure des produits saute aux yeux. La cinquantaine de producteurs qui déploit ses efforts sur le site de Habou Tagui se livre à une course infernale vers une bonne production. Ici, le produit de prédilection, c’est le chou. Les jardiniers en ont suffisamment produit. Dans ce jardin le chou reste visible à perte de vue.

M. Abdoulaye Alkami que nous avons trouvé au milieu de ses 80 planches d’exploitation est très préoccupé par les salades qu’il vient de planter, il y a à peine deux jours. A la date du dimanche 9 janvier 2022, lors de notre passage, M. Abdoulaye Alkami est à sa deuxième campagne de production pendant cette saison. Il a déjà récolté une première fois. Les retombées des 8 planches sur les 80 reviennent au propriétaire du site. « Le grand travail, c’est l’aménagement du terrain. Nous sommes très nombreux à travailler ici. C’est quelqu’un qui a mis cet espace en location à la disposition des producteurs. Même quand un producteur n’a pas les moyens d’acheter un terrain, il peut venir exploiter et donner quelque chose en contrepartie pendant la récolte. Nous travaillons en parfaite harmonie et les producteurs s’entraident » affirme M. Abdoulaye Alkami. 

Pour M. Abdoulaye Alkami, il y a suffisamment de terres emblavées qui ne sont pas exploitées. « Tu peux commencer à travailler sur un terrain dégradé. Tu vas travailler jusqu’à emblavé le terrain. Deux ans plus tard, quand la terre devient fertile, tu vas voir les propriétaires vont retirer leur terre pour ne rien faire avec. Même si tu veux travailler, si tu n’as pas les moyens, c’est un peu difficile. Nous avons besoin d’appui en pesticidés pour lutter efficacement contre des insectes nuisibles », souhaite M. Abdoulaye Alkami avant de lancer un appel à l’endroit de l’Etat en subventionnant l’engrais et rendre effective la vente à prix modéré des vivres.

Les paysans dénoncent le détournement des projets

La plupart des producteurs rencontrés se plaignent de détournement des projets. Selon M. Amadou Abdou Panga, le détournement des projets et programmes est devenu monnaie courante. Il a rassuré que les producteurs travaillent sur fonds propres. « Nous n’avons aucune aide de l’Etat et des bailleurs. Parfois, il y a des gens qui viennent ici, pour se renseigner. Ils nous prennent en photo, ils nous posent des questions, etc. Il y a des projets qui interviennent dans le domaine agricole qui nous demandent de leur exprimer nos besoins. Et généralement nos besoins tournent autour des appuis en formation de renforcement de capacité, en engrais, en motopompes, en semences, etc. Et quand les financements arrivent au profit des jardiniers, on ne voit rien. Même l’engrais qu’on dit que l’Etat a subventionné, ce n’est pas vrai ! L’engrais ne se vendait plus à un prix modéré ! Je lance un cri de cœur aux autorités et aux responsables des projets et programmes. Si les subventions ou les appuis viennent au bénéfice des producteurs ‘’Dan Allah’’ de prendre attache directement avec les responsables des groupements et coopératives des jardiniers. Chaque fois quand les dons arrivent, il y a des intermédiaires qui ne sont même pas des producteurs qui s’en approprient. Même quand les partenaires initient des formations, vous allez voir que ce ne sont pas les vrais producteurs qui en bénéficient » a déploré M. Amadou Abdou Panga.

Commercialisation des produits maraîchers, l’apanage des femmes

En cette période de grande récolte, le marché de Balleyara est inondé de produits saisonniers. En effet, le marché à étalage constitue une bonne occasion d’affaire pour les commerçants ainsi que les producteurs. Malgré la disponibilité des produits, ces derniers restent encore un peu chers à Balleyara, surtout les jours du marché. La vente des produits est l’apanage des femmes. Elles jouent un rôle majeur pour écouler les produits maraîchers.

Selon Mme Hassane Fati, chaque jour du marché, les prix de certains produits augmentent. A la date du dimanche 9 janvier 2022, le sac de 100 kg de chou se vend à 5500 f CFA, le kg de la pomme de terre varie de 350 à 500 f CFA, la tasse moyenne de l’oignon est à 1250 f FCA, le sac de 100 kg de moringa est vendu àc a15.000 f CFA. Etc. « Nous intervenons principalement au niveau de la vente des produits. Nous nous rendons dans les jardins pour acheter les produits à crédit auprès des producteurs. Après le jour du marché, nous remboursons l’argent aux jardiniers et nous gardons les bénéfices. Quand nous n’arrivons pas à écouler les produits ici, nous les envoyons à Niamey, à Fillingué et Abala où, nous avons des clients » a indiqué Mme Hassane Fati vendeuse de produits maraîchers au marché de Balleyara. 

Par Abdoul Aziz Ibrahim(Onep) et Ismaël Chékaré(Onep), envoyés spéciaux

28 janvier 2022
Source : http://www.lesahel.org/