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Interview du mathématicien et député français, Pr Cedric Villani : « Ce que peuvent apporter de fondamental des scientifiques comme moi ou d’autres, c’est de dire aux jeunes, vous aussi, vous pouvez être dans l’aventure intellectuelle », estime Pr Cedric

Pr Villani, y a-t-il selon vous des raisons d’espérer en ce qui concerne les grands défis, politiques, démographiques, les bouleversements environnementaux, sociétaux et technologiques qui affectent le monde et que l’humanité doit affronter en ce 21ème siècle ?

Parmi les raisons d’espérer il y a le fait que le partage de l’information soit là, et impossible à arrêter. Evidemment il y a de la manipulation parfois, avec ce phénomène des fake news, de la haine sur les réseaux sociaux ; mais il y a aussi la partie positive qui permet aux uns et aux autres de traiter des problèmes. Il y a certaines prises de conscience mondiale sur la réalité de la crise environnementale, sur le besoin de redonner de la confiance aux politiques. Et même si les solutions sont lentes à émerger il y a quandmême ces prises de conscience qui arrivent. Depuis des années je suis engagé pour défendre les idées européennes, sur l’importance de mettre en place une grande organisation européenne avec plus de politiques que maintenant et même si le progrès est très lent en la matière, je vois qu’il arrive de temps en temps les projets qui sont au bon niveau d’ambition ; des intellectuels, des philosophes, des économistes qui disent il faut voir les choses en grand. En bref, même si nous n’arrivons encore à avoir les solutions il y a des visions, et on voit de plus en plus apparaitre des appels à la coordination, à la raison, au progrès.

Vous êtes présenté comme un homme qui s’intéresse à l’Afrique subsaharienne, avec la volonté d’aider les jeunes. En quoi consistent précisément vos actions à ce sujet ?

J’ai découvert l’Afrique subsaharienne en 2010, juste avant ma médaille Fields, grâce à un de mes collègues béninois, qui avait organisé un colloque au Bénin avec un grand panel de scientifiques. Nous sommes restés proches, et je suis retourné plusieurs fois au Bénin, j’ai fait de nombreux voyages au Sénégal, au Cameroun, puis épisodiquement au Rwanda, au Burkina Faso. Dans ces voyages j’ai donné des cours à beaucoup de jeunes, mais aussi j’ai organisé des débats. Parmi les choses les plus importantes qu’on peut donner aux jeunes, c’est du rêve, juste la volonté, qu’ils aient la conscience d’une grande carrière à faire, peut-être, des aventures, d’aller regarder au-delà. Et, aussi, apporter aux jeunes l’idée qu’il faut se dépasser, et qu’il ne faut pas non plus que tout le monde reste dans l’utilitaire ; bien sûr qu’on a besoin que plein de gens travaillent sur les choses qui sont directement utiles, mais on a besoin aussi que les gens cherchent à aller au-delà. Quand les américains sont allés sur la lune ce n’était pas pour de l’utilité, ça faisait aussi partie d’un grand combat de réussir tout, mais c’était un rêve à réaliser. C’est un exemple que j’utilise régulièrement ; un jour dans un débat, c’était au Cameroun dans une institution qui accueille des jeunes étudiants de beaucoup de pays, j’ai parlé des expériences des ondes gravitationnelles, et un jeune m’a dit : « je serai fier qu’on puisse faire des expériences comme ça dans mon pays, mon continent ». Ah oui ! Ce n’est pas que ça va nourrir la population, mais ça veut dire que le continent cherche à participer à l’aventure de la connaissance mondiale et de la recherche de haut niveau, réaliser quelque chose de grandiose. Et je pense ce que peuvent apporter de fondamental des scientifiques comme moi ou d’autres, c’est de dire aux jeunes : vous aussi vous pouvez être dans l’aventure intellectuelle, les projets à faire avec les autres. Evidemment, si on veut aller voir tout le monde, c’est un puits sans fond, mais si on sème quelques graines qui peuvent diffuser, on peut contribuer à propager ses idées.   Il y a l’exemple d’un jeune que j’ai fait venir en France pour se former en intelligence artificielle et que je vais suivre après en tant que scientifique. J’espère qu’il y aura d’autres, et ainsi de suite.

Une question qui fait l’actualité est la mesure du gouvernement français concernant la forte hausse des frais d’études pour les étudiants qui sont hors de l’espace communautaire, les africains particulièrement. Quelle est votre appréciation concernant cette décision en tant qu’homme politique et scientifique ?

C’est une décision qui m’a surpris. Je ne l’attendais pas. Au départ ce n’est pas comme cela que je songeais prendre le problème. Mais, c’est une décision, si elle est bien prise pourrait s’avérer bénéfique. En premier il y a quelque chose dont je suis convaincu : c’est que nous avons besoin davantage d’accueillir d’étudiants africains en France. Et c’est quelque chose que je dis depuis des années. Il y a tellement de besoin de formation, qu’on est très en dessous. Le plan du gouvernement n’est pas si simple à comprendre que ça, parce que d’un côté, il hausse les frais d’inscription, mais de l’autre côté il augmente le nombre de bourses, et il donne aux universités le choix de mettre en place des exonérations. Autrement dit, une université qui accueille déjà des étudiants africains et souhaite de continuer à accueillir le même nombre pourra décider d’exonérer tous les étudiants qui viendront de l’université de Niamey, de l’université Cheik Anta Diop, etc. C’est autorisé par le gouvernement. Simplement il faut s’entendre sur la façon dont on calcule la dotation que l’Etat donne à ces universités et quel est le résultat final. L’idée c’est que les étudiants qui en ont les moyens payent, ceux qui n’ont pas les moyens sont exonérés et soient acceptés quand même. C’est une stratégie qui va être plus compliquée à mettre en œuvre, mais l’idée est qu’à la fin il y ait plus d’étudiants, et l’argent qui aura été obtenu grâce aux étudiants qui ont les moyens venant des pays dans lesquels le niveau économique est élevé soient utilisés pour faire venir les étudiants qui n’ont pas les moyens. C’est une stratégie qui va demander du doigté, du contrôle, et d’ailleurs le parlement que je représente dans un certain sens, vient de se saisir d’une mission d’évaluation, pour cette mesure du gouvernement. Avec la conviction du parlement que la stratégie prise comme un tout doit se traduire à la fin par une augmentation du nombre d’étudiants accueillis.

Réalisée par Souley Moutari(onep)

12 février 2019
Source : http://www.lesahel.org/