Skip to main content

Accueil

M. Issaka Maga Hamidou, Démographe-sociologue, Enseignant-chercheur au Département de sociologie, FLSH/UAM : «En principe, les conditions du dividende démographique existent actuellement en milieu urbain»

Issaka Maga HamidouNotre pays s’apprête à célébrer mercredi prochain, la Journée Mondiale de la Population. Un évènement important au regard des défis liés à la croissance démographique au Niger et dans plusieurs pays africains. Cette situation maintes fois évoquée par les autorités de notre pays demeure encore une préoccupation malgré les efforts qui sont déployés pour permettre au Niger d’atteindre le dividende démographique. M. Issaka Maga Hamidou, Démographe-sociologue, Enseignant-chercheur au Département de Sociologie, FLSH/UAM explique en quoi, l’évolution de la population nigérienne constitue, aujourd’hui, une préoccupation et donne quelques pistes qui puissent permettre au Niger d’atteindre le dividende démographique.

Le 11 juillet prochain, sera célébrée partout dans le monde, la journée mondiale de la population. Combien sommes nous aujourd’hui au Niger et combien seront les Nigériens dans dix, vingt ans ?

Vous savez que selon le dernier recensement, le Niger comptait environ 17 millions d’habitants avec une croissance démographique moyenne de 3,9% par an. Selon les projections de l’INS comme des Nations Unies, le Niger devrait compter en 2018 au moins 21 millions d’habitants. En 2030, le Niger pourrait compter au moins 34 millions. Selon les dernières projections des Nations Unies qui vont un peu plus loin, la population nigérienne pourrait atteindre environ 51 millions en 2040 et 68 millions en 2050, sur la base de baisses modestes de la fécondité et de la mortalité.

Concrètement avec donc son rythme actuel, la population du Niger connaitra une importante augmentation ?

Sans aucun doute et dans les conditions normales, la population du Niger sera de plus en plus importante au cours des prochaines décennies.

Selon vous pourquoi et en quoi, l’évolution actuelle de la population constitue aujourd’hui une préoccupation importante au Niger ?

Vous avez raison de parler de préoccupations car lorsque la population augmente, nous savons que les besoins également augmentent dans tous les domaines essentiels notamment l’alimentation, la santé, l’éducation, l’emploi, le logement, l’eau, l’électricité, etc. Avec une augmentation rapide de la population, ces besoins seront encore plus importants. Il faudrait qu’on puisse les satisfaire. Pour les pouvoirs publics, il s’agit de défis importants, dans les conditions économiques actuelles qui sont difficiles. En clair, actuellement et depuis plusieurs décennies, l’Etat n’est pas en mesure de bien satisfaire les besoins de base de la population et sur le plan alimentaire notamment, les productions agricoles du milieu rural ne suffisent pas souvent à bien satisfaire les besoins de l’ensemble des habitants.

La population nigérienne se caractérise aussi par sa jeunesse. Quels sont selon vous, les défis qui peuvent à ce niveau se poser à notre pays ?

Effectivement, nous avons sans doute la population la plus jeune au monde, selon les statistiques nationales et internationales. En effet, les moins de 15 ans représentent plus de 50% et les moins de 25 ans, environ 70% de la population totale. Nous avons donc une population extrêmement jeune dont la contribution économique est relativement faible. En fait, la plupart des jeunes produisent peu et sont dépendants des adultes. En réalité, l’augmentation des besoins provient davantage de la population jeune à travers les naissances, la scolarisation, l’emploi, l’alimentation, etc. Ceci implique que chaque année, on a besoin de produire sur le plan agricole, on a besoin de plus d’enseignants, de classes, d’emplois à créer, de plus de personnel de santé, etc.

Mais la jeunesse de la population n’est elle pas un atout pour atteindre le dividende démographique tant prôné ? Au fait, qu’est ce que le dividende démographique et quels sont ses avantages pour le Niger ?

En fait, brièvement, le dividende démographique, c’est la croissance économique ou les richesses produites, grâce à l’augmentation non pas des personnes très jeunes, par exemple les moins de 15 ans, mais de la population en âge de travailler, soit les personnes âgées entre 15 et 64 ans révolus. Donc, la première condition pour qu’un pays puisse prétendre bénéficier du dividende démographique, c’est d’abord d’avoir une population âgée de 15-64 ans ou 15-59 ans majoritaire. Concrètement, il faudrait avoir une situation démographique où les producteurs d’âges actifs sont beaucoup plus importants que les personnes d’âges inactifs, notamment les plus jeunes. Or, nous avons une population âgée de moins de 15 ans plus importante. En clair, si on se place sur un plan démo-économique, nous avons plus d’inactifs que d’actifs. Potentiellement, le PIB par tête ne peut pas être important et c’est le cas. Dans les pays où les actifs sont plus importants que les inactifs, le PIB global mais aussi par tête est considérable, dans certaines bonnes conditions comme celles d’emplois suffisants, la santé, l’éducation moderne généralisée et aussi la bonne gouvernance globale sur divers plans, notamment politique et économique. Pour me résumer, le dividende démographique c’est un bonus économique mais aussi social supplémentaire pour un pays qui réussit à passer d’une situation où les moins de 15 ans donc les plus jeunes sont majoritaires à une situation démographique où les personnes d’âges actifs, soit les 15-64 ans, sont nettement majoritaires. Sur le plan démographique, c’est l’un des principaux défis actuels du Niger.

Il semble que le Niger est sur le point de franchir la première étape de sa transition démographique, avec la baisse rapide du taux de mortalité mais, la deuxième étape de la transition démographique ne s’est pas encore concrétisée. Est-ce à dire que notre pays n’atteindra pas de si tôt le dividende démographique ?

Le Niger est effectivement dans sa deuxième phase de la transition démographique, selon le schéma établi en quatre phases. Au cours de cette deuxième phase, c’est la mortalité en général qui commence à baisser et c’est le cas au Niger comme dans tous les pays du monde, à conditions sociopolitiques normales. Tandis que dans la première phase, les indicateurs démographiques de base sont très élevés et stables dans le temps. Au cours de la troisième étape, la fécondité ou la natalité commence à baisser à son tour jusqu’à ce qu’on arrive beaucoup plus tard à une situation où les taux de mortalité et de natalité se rapprochent voire se confondent, c’est l’étape 4 de la transition démographique. Je pense que le Niger doit rapidement chercher à entrer dans cette phase 3 où la fécondité va commencer à baisser, c’est en ce moment que la fameuse fenêtre dite du dividende démographique potentielle va commencer à s’ouvrir pour être plus importante, autour de 4 enfants par femme, alors que nous sommes à 7,6 selon l’enquête démographique et de santé de 2012. Nous sommes loin des 4 enfants par femme, nombre véritablement plus favorable au dividende démographique, parce que la population des 15-64 ans sera en ce moment beaucoup plus importante que celle des très jeunes. Cette transformation de la structure de la population pourrait davantage booster l’économie nigérienne et contribuer à l’amélioration générale des conditions de vie des populations.

Quelles sont, selon vous, les stratégies à mettre en œuvre pour permettre au Niger de tirer partie du dividende démographique ?

Comme je l’avais dit, il est nécessaire d’abord que la fécondité baisse de manière significative pour permettre que la population âgée de 15-64 ans ou 15-59 ans commence à être plus importante que celle des moins de 15 ans. Donc, il faudrait en fin de compte que le Niger dispose de plus de producteurs que de dépendants économiques. Mais pour faire baisser la fécondité, il n’y pas mille solutions, c’est principalement la planification familiale. Ceci n’est pas un péché, mais une décision de bon sens adoptée depuis fort longtemps par les couples musulmans d’autres pays, notamment en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Il revient à chaque couple de se fixer un nombre d’enfants raisonnable conforme à ses ressources économiques et son bien-être général aussi bien en milieu rural qu’urbain où la fécondité est déjà en train de baisser. Nous sommes autour de 5 enfants par femme en milieu urbain aujourd’hui contre sans doute plus de 7 dans les années 1970. En principe donc, les conditions du dividende démographique existent actuellement en milieu urbain. Mais au niveau national ce n’est pas le cas notamment en milieu rural où vit environ 80% des Nigériens. Il nous faut donc des mesures pour renforcer la planification familiale notamment le recours aux contraceptifs modernes, réduire le mariage des enfants mais également renforcer l’allaitement maternel prolongé qui joue un rôle de contraceptif plus ou moins efficace au moins pendant quelques temps. Pour ce faire, une politique de population audacieuse est nécessaire notamment en direction du monde rural.

Par Idé Fatouma

06 juillet 2018
Source : http://lesahel.org/