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Interview : Le Directeur de l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants(OCRTIS) « La drogue n’est pas qu’en lien seulement avec le terrorisme, elle a aussi d’autres connexions avec le trafic d’armes et le trafic de migrants »

La relation entre le trafic de drogue et le terrorisme est plus que jamais établie. En effet, plusieurs études d’organisations sous régionales comme le G5 Sahel que vous évoquez et d’organisations internationales comme l’ONUDC ont établi ce lien entre le trafic de drogue et le terrorisme. Cette connexion s’établit à plusieurs niveaux : Dans beaucoup de cas, les cartels de drogues actifs dans les pays du sahel payent des droits de passage aux groupes terroristes dans les zones contrôlées par ces dernières ou qui sont sous leur influence. La drogue qui traverse l’espace désertique de notre pays (qui est une drogue essentiellement en transit vers le Maghreb et l’Europe) est même escortée par des groupes armés étrangers. Grâce à l’intensification des patrouilles militaires dans le Sahara nigérien par les forces armées nationales et la force barkane, l’organisation des déplacements de ces convois de drogue est actuellement désarticulée et leur présence sur notre territoire s’est considérablement amenuisée. Dans d’autres cas, les fonds générés par le trafic de drogue financent directement les activités terroristes en donnant la possibilité aux groupes armés et aux organisations terroristes de s’équiper en armes, en munitions et autres matériels connexes de guerre de dernière génération. La drogue est également utilisée pour la mise en forme des agents terroristes qui en consomment avant de passer à l’action. Considérés comme les drogues du combattant, le Tramadol et le captagon sont les substances psychotropes les plus fréquemment utilisées par les organisations terroristes. Mais la drogue n’est pas en lien seulement avec le terrorisme, elle a aussi d’autres connexions avec le trafic d’armes et le trafic de migrants notamment. Le trafic de drogue est surtout la base architecturale du blanchiment des capitaux dans les pays du sahel.

La mission assignée à l’OCRTIS est noble et difficile et nécessite beaucoup de moyens financiers, matériels et humains. Est-ce que l’OCRTIS est bien outillé pour faire face aux cartels qui veulent faire de notre pays un couloir de passage de la drogue destinée aux pays du Nord ?

Effectivement, comme vous l’avez souligné, la mission de l’OCRTIS requiert beaucoup de moyens. Pour y faire face et afin d’avoir une implantation nationale, la direction de l’OCRTIS a initié un véritable maillage territorial qui consiste, conformément à l’ordonnance 99-42 du 23 Septembre 1999, relative à la lutte contre la drogue au Niger et le décret précité, à créer des antennes dans toutes les régions et les autres entités stratégiques du Niger. C’est ainsi que nous avons créé des antennes régionales à Niamey, Dosso, Tahoua, Maradi, Zinder et Agadez. Très prochainement d’autres antennes seront créées à Diffa et Tillabéry ainsi qu’une cellule aéroportuaire anti trafic (CAAT) à l’aéroport international Mano Dayak d’Agadez avec l’appui de l’ONUDC. L’aéroport international Diori Hamani est déjà doté d’une CAAT qui est devenue une référence en Afrique au regard des saisies exceptionnelles de drogues, de devises et d’or effectuées. A ce niveau, il est important de dire aux populations que la sortie de fonds et d’or est soumise à une réglementation. Il faut tout simplement les déclarer aux autorités douanières.

D’autres antennes sont créées dans les départements d’Arlit et de Bilma (à Dirkou plus précisément) et quatre unités frontalières sont opérationnelles à Gaya, Makalondi, Yassane et Petalkolé. A cela, il faut ajouter notre présence dans toutes les gares de transport moderne à Niamey.

Il faut dire que la composition mixte de l’OCRTIS est un véritable atout. En effet l’office est composé de plusieurs forces : la Police Nationale, la Gendarmerie Nationale et la Garde Nationale du Niger. Les Douanes nationales devraient faire partie de nos effectifs conformément aux textes. Je ne comprends toujours pas pourquoi ce maillon essentiel de la lutte contre les divers trafics manque à notre structure. Leur participation à nos activités est vivement attendue. Cela devra se traduire par l’affectation à l’office d’un certain nombre de fonctionnaires des douanes sélectionnés sur la base du volontariat. L’idée est d’avoir une équipe intégrée, engagée et motivée. S’agissant des autres moyens (matériels et financiers notamment) il faut mentionner que nous avons toujours bénéficié du soutien des plus hautes autorités nigériennes à savoir le Président de la République, le Premier Ministre, chef du gouvernement et le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Publique, de la décentralisation et des Affaires Coutumières et Religieuses qui ne ménagent aucun effort pour nous accompagner dans l’accomplissement de notre mission. L’accompagnement des partenaires mérite aussi d’être souligné. Il s’agit entre autres de l’Ambassade de France, Eucap Sahel et de l’ONUDC.

Que pensez-vous de la législation nigérienne sur la répression du trafic illicite de drogue et des stupéfiants ? Ne pensez-vous pas qu’elle annihile vos efforts de lutte contre ce phénomène ?

Le texte de base en matière de lutte contre la drogue, est l’ordonnance 99- 42 du 23 Septembre 1999. Or dans un domaine aussi stratégique que la lutte contre le trafic de drogue qui est d’ailleurs au cœur de toutes les autres formes de criminalité, le texte en la matière doit s’adapter aux réalités du moment. En effet l’ordonnance susvisée doit être revue et complétée afin de tenir compte de la nécessité de frapper le délinquant dans son patrimoine. A l’image de beaucoup d’autres pays, des dispositions doivent être prises pour appauvrir les trafiquants de drogues en les privant de leur capacité de se relancer dans le trafic après leur sortie de prison. Ces mesures doivent consister à la confiscation des biens mobiliers et immobiliers ainsi que de très fortes amendes sans préjudice des peines privatives de liberté.

Par ailleurs, dans beaucoup de pays en proie au phénomène de drogues, des dispositions législatives et réglementaires ont été prises pour permettre aux services d’application de la loi de fonctionner avec des moyens à la hauteur de ceux que déploient les trafiquants. En France par exemple, 70 % des revenus issus de la vente des biens saisis sur les trafiquants de drogues sont concédés à l’office central de lutte contre les trafics illicites des stupéfiants et à d’autres services luttant aussi contre les trafics afin de leur permettre de s’auto gérer et d’entretenir efficacement les sources (informateurs). Actuellement, les biens vendus aux enchères publiques par la justice sont constitués de presque 80% des saisies liées à la drogue, donc essentiellement effectuées par notre service à Niamey et à l’intérieur du pays. Pourtant, aucun texte ne nous permet de bénéficier des revenus de ces ventes. Ce sont toutes ces insuffisances que nous demandons à corriger afin que l’OCRTIS ait les moyens qu’il faut pour faire face à la menace d’installation dans notre pays des cartels de la drogue.

Réalisée par Oumarou Moussa

29 juin 2018
Source : http://lesahel.org/