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Les internats pour filles issues du milieu rural : au-delà d’une révolution dans l’éducation nationale : Interview avec le Ministre de l’Education Nationale du Niger, Professeur Ibrahim Natatou

La population du Niger manque cruellement d’accès à une éducation secondaire de qualité, surtout dans les milieux ruraux et nomades. Lors du Sommet sur l’Education à New York en septembre 2022, le Président Bazoum rencontrera les bailleurs de fonds pour présenter sa vision d’investissement dans le capital humain. Il s’agira de soulever des questions de fonds pour construire 100 internats dans un premier temps sur les cinq prochaines années. L’objectif de ce projet d’envergure est d’offrir une éducation secondaire de qualité aux filles et de les maintenir à l’école. Indirectement, cette stratégie aura le potentiel de prévenir les mariages et grossesses précoces et de rompre le cercle vicieux combinant pauvreté, haute fertilité, mortalité maternelle et infantile.
Une équipe du Fonds des Nations Unies pour la Population s’est entretenue avec le Professeur Natatou pour discuter des tenants et aboutissants de ce projet. Cet article relate les points saillants de ses propos.

Monsieur le Ministre, présentez-nous s’il vous plaît la faisabilité de ce projet d’internats.
Le projet de construction des internats de jeunes filles dans les collèges ruraux est une émanation de l’engagement pris par SEM Bazoum Mohamed, Président de la République, Chef de l’Etat dans son programme de renaissance Acte 3.

Le premier internat pilote, d’une capacité de 144 places, est implantée à Kellé dans la région de Zinder et il est fonctionnel depuis un an. Sur les 129 filles admises à la rentrée scolaire 2021-2022, aucun abandon n’a été enregistré. En ce moment, les élèves sont en vacances et des travaux d’extension sont en cours pour augmenter sa capacité d’accueil.

Suite au bilan établi par mes services compétents, je peux vous dire que cet internat fonctionne très bien et qu’une prise de conscience a été observée au niveau des jeunes filles qui se préoccupent de leurs études même pendant les congés de Noël et de Pâques.

Toutefois, dés la rentrée scolaire 2021-2022, l’internat de Kellé a atteint sa capacité après avoir accueilli 129 filles admises en 6ème. C’est pour cela, que nous avons entrepris des travaux d’extension pour accueillir les nouveaux élèves de 6ème au titre de l’année scolaire 2022-2023.

Pourquoi se concentrer sur la formation des filles ?
Au prime abord, nous pouvons noter que mon pays, le Niger, est l’un des pays qui a le taux de fécondité le plus élevé du monde (6,2%). Aussi, comme vous le savez, Il a un taux de croissance annuel de plus de 3.9%. Cette forte croissance démographique, combinée à une forte représentativité numérique des femmes dans la population nigérienne et au poids économique qu’elles représentent, font qu’un focus particulier doit être fait sur la formation des filles et des femmes.
Cependant, cette formation des filles au niveau des collèges ruraux est assujettie à plusieurs contraintes.

Aujourd’hui, on constate que tous les gros villages ont des écoles primaires mais qu’il n’y a pas assez de Collèges d’Enseignement Général (CEG) dans ces villages. Donc les élèves se déplacent parfois sur plus de 5 kilomètres pour se rendre dans un collège et revenir à la maison. Ou bien, ils sont obligés de se déplacer de leur village à un autre village là où aussi il faut chercher un tuteur pour les accueillir.

Au regard des différents risques liés aux navettes ou au séjour hors de la cellule familiale auxquels les élèves sont exposés, en premier lieu les filles, beaucoup de parents préfèrent garder leurs filles avec eux. Une fois, ces filles retirées de l’école, elles restent généralement à la maison à ne rien faire et à l’âge de 14 ans-15 ans, elles contractent leurs premiers mariages pour avoir 4 ou 5 enfants autour de 25 ans.

Il est donc urgent de mettre en place au niveau de nos collèges ruraux, un cadre qui puisse donner des garanties suffisantes aux parents pour laisser leurs filles continuer les études.

Pour nous, les conditions de vie et d’études mises en place au niveau d’un internat, font que l’internat est ce cadre tant recherché pour fidéliser les parents, sécuriser et éduquer tous le élèves.

Pour cette première phase, nous avons choisi les internats de jeunes filles parce que, tout simplement, les filles sont plus vulnérables que les garçons. Si l’expérience est concluante et que nos moyens s’améliorent, notre souhait est d’étendre le projet aux garçons.

Si nous arrivons à faire fonctionner correctement ces internats de jeunes filles dans les villages, ce serait une bonne chose car cela nous permettra d’aller vers une transition démographique. En effet, les conditions de vie et d’encadrement au niveau de ces internats favorisent l’épanouissement des jeunes filles et leur réussite scolaire à l’école. Ce qui les éloignerait du spectre des mariages précoces et qui les préparerait à leur futur rôle de pilier de la famille. C’est aussi un autre moyen de lutte contre le poids démographique et une façon intelligente de maîtriser la démographie car on jouera sur les perceptions et les comportements de la communauté éducative en générale et des filles en particulier sur le plan de l’éducation et de la procréation. Ce qui permettra d’améliorer la rétention des filles et de gagner au moins quatre à cinq ans par rapport à une fille qui n’est jamais allée à l’école ou qui a été déscolarisée.

Une amélioration de la scolarisation et du maintien des filles va booster de façon significative tous nos indicateurs scolaires, c’est à dire le taux brut de scolarité, le taux brut d’admission, le taux d’achèvement, etc., parce que toutes les statistiques sont en défaveur des filles. Donc pour nous, il n’y a rien de plus honorable et de plus légitime que ces internats de jeunes filles au Niger car c’est l’éducation qui fait la différence entre les pays. Un pays ne peut pas se développer sans système éducatif performant. Vous venez de l’Asie, vous dites [ndlr : un des interviewers vient du Vietnam], par exemple, le Japon a des ressources minières limitées, mais aujourd’hui le Japon, c’est une grande puissance économique du monde, et c’est dû à l’éducation (…)

C’est important pour montrer aux bailleurs de fonds et aux personnes intéressées que ce modèle est bénéfique. C’est vraiment une anecdote très forte que les filles refusent de rentrer. Au niveau financier qui soutient les finances ? La gratuité des cours est-elle assurée pour la communauté ? Combien est ce que la communauté doit payer ? Cet aspect est fondamental car il faudra présenter un projet avec un budget. Les bailleurs de fonds vont demander quel est le coût de tout ça et quels sont les bénéfices à court et à long terme.

Pour ce qui est du coût des infrastructures, il est déjà chiffré, à travers nos services compétents. Nous avons fait trois modèles d’internat : les modèles qui vont prendre 250 places, ceux qui vont prendre 300 et des modèles qui vont prendre 350 places. Chaque modèle a été chiffré. Ces modèles chiffrés accompagnés des plans de masse et des superficies nécessaires sont disponibles au niveau de nos services compétents. A titre d’exemple, la construction d’un internat de 350 places coûte environ 394 991 926 FCFA. La prise en charge au niveau des internats est gratuite pour toutes les filles. Dans le cadre de la décentralisation et de la participation communautaire, les collectivités territoriales et les parents d’élèves soutiennent de façon volontaire ces internats.

Très bien. Si on continue à parler de Kellé, l’expérience est-elle positive ? Quels seraient les éléments négatifs ? On sait par exemple que les grandes barrières telles que l’accès géographique, l’accès financier, la qualité des cours des enseignants, le contenu des cours et le système d’examens sont un problème, pas seulement pour le Niger, mais dans la région en général. Comment est-ce que ces problèmes-là sont traités dans le système d’internat ?

Comme vous l’avez constaté vous-même, nous sommes d’accord que les acquisitions scolaires des élèves sont faibles au niveau de nos pays comme l’atteste le rapport PASEC 2019 et les résulta des examens scolaires. Par exemple, cette année, en ce qui nous concerne, le taux de réussite au BEPC est de 27,18% et celui du Baccalauréat est aussi inférieur à 30 %. Cela démontre clairement la pauvreté des apprentissages dans notre pays.

Pour renverser la tendance, plusieurs réformes sont envisagées.
La première réforme concerne l’enseignant car nous sommes conscients d’une chose : le moteur de l’école c’est le maître. Quand le maître n’est pas bon, les élèves ne peuvent pas être bons. S’agissant de la formation des maîtres, le Niger a opté pour un relèvement du niveau de recrutement. C’est-à-dire que les enseignants qui vont enseigner dans les jardins d’enfants et les écoles primaires, seront désormais recrutés non pas à partir du BEPC mais à partir du BAC. Cette disposition a été mise en application depuis la rentrée scolaire 2021-2022 et nous venons de lancer le processus de recrutement de la deuxième promotion.

La deuxième réforme concerne les programmes d’enseignement.
Actuellement, aux niveaux préscolaire et primaire, nous sommes en train de faire une réforme curriculaire dont le point d’entrée est l’enseignement de nos langues nationales et pour laquelle, nous avons produit les supports du préscolaire et des quatre premières années du primaire (CI, CP, CE1 et CE2).

Pour soutenir notre entrée par les langues nationales, je vais vous donner un exemple — c’est une anecdote. A l’école primaire, on a appris des chansons, des récitations comme « vive l’eau ». A l’époque, quand on demande à un élève c’est quoi « vive l’eau », il ne sait pas ce que cela veut dire. Mais il reconnaît la consonance, il récite sans connaître la signification. C’est seulement arrivé au collège ou au lycée qu’il comprend la signification. Et c’est pourquoi, nous allons privilégier l’entrée par nos langues. Plus on avance, plus la langue administrative, le français, est introduite et prend la relève. Comme vous le savez aucun pays au monde ne s’est développé avec une langue étrangère. Par exemple au Japon, on parle le japonais, au Vietnam on parle le vietnamien, en Angleterre on parle l’anglais, etc. Nous devrions également avoir cette vision. Nous avons 5000 écoles, qui sont en train d’expérimenter ce système de bilinguisme et les résultats sont meilleurs que ceux des classes où on enseigne uniquement en français, pouvant aller du simple au double.

Dans cette vision holistique, les programmes des écoles normales sont en train d’être arrimés aux programmes du préscolaire et du primaire axé sur les langues nationales.

Au niveau des universités, écoles et instituts de formation des professeurs de l’enseignement secondaire général, nous avons entrepris en collaboration avec le ministère de l’Enseignement Supérieur, un vaste chantier d’harmonisation de leurs programmes d’enseignement.

En effet, en dehors de l’Ecole Normale Supérieure de Niamey, les facultés des sciences de l’éducation de Tahoua et de Zinder forment des enseignants du collège et du lycée.

Tous ces établissements recrutent des bacheliers qu’ils forment en trois ans et leur délivre une licence professionnelle. Ces enseignants sont utilisés au niveau des collèges ù ils enseignent généralement deux disciplines.

Désormais, il ne s’agit plus de former pour le plaisir de former. La formation professionnelle de nos enseignants a été définie à partir d’un besoin. Nous savons quel type d’enseignants nous voulons. Il faut que ces centres de formation d’enseignants s’adaptent à nos besoins.

Au courant de ce mois, une réunion est prévue entre tous les directeurs de ces écoles et les doyens de ces facultés avec les responsables du ministère de l’Education Nationale et ceux du ministère de l’Enseignement supérieur, pour dégager un profil type de ce qu’on appelle un enseignant du collège, du lycée. Le président de la République en est informé. C’est lui-même qui a suscité cette réunion.

Au delà de cette harmonisation des programmes de formation des professeurs de collège et lycée, nous sommes entrain d’envisager d’autres alternatives pour la formation de nos enseignants du secondaire.

Par exemple, pour la formation des professeurs de collège, les étudiants des facultés de lettres et de sciences, après un enseignement fondamental de deux ans dans leurs facultés, vont passer un concours pour accéder à l’école normale supérieure ou aux facultés de sciences de l’éducation, là où ils vont suivre des cours de pédagogie et de didactique pendant un an. Ce qui leur conférerait un niveau de licence professionnel conformément au système LMD (licence, master, doctorat), auquel le Niger est inscrit depuis 2007.

Pour ce qui est des enseignants du lycée, l’école normale supérieure et les autres centres de formation d’enseignants vont recruter à partir de la licence des étudiants qui vont suivre l’enseignement pédagogique pendant deux ans. Cela correspond au grade de master en respect au LMD.

Maintenant, c’est donc bilingue ?
Oui. Cet enseignement bilingue sera appliqué au préscolaire, au primaire et dans les écoles normales afin de faire progresser les acquis scolaires des élèves.
Nous allons progressivement et de façon raisonnée étendre l’enseignement bilingue à toutes les écoles préscolaires et primaires du Niger. Déjà une feuille de route a été élaborée cet effet.

Si je comprends bien, les internats s’inscrivent dans une grande réforme générale sur le curriculum au niveau du bilinguisme, sur la formation des enseignants et vous l’avez très bien décrit. Revenons aux internats à Kellé. Est-ce que ces changements ont déjà été mis en place à Kellé ou Kellé est sur l’ancien système ? Dans la mise en œuvre des internats, est-ce qu’on aura au Niger la masse critique d’enseignants pour enseigner à chaque niveau ?

Notons d’abord que les internats des filles que nous envisageons, ne sont pas des services isolés. Ce ne sont pas des services destinés à dérouler un curriculum d’enseignement particulier. Ils sont créés au niveau des collèges pour soutenir la scolarisation des filles en améliorant leurs conditions de vie et d’étude.
Pour ne pas perdre les dividendes de ces internats, nous avons déjà mis à la disposition du premier établissement à internant un nombre suffisant d’enseignants capables d’aider tous les élèves à progresser. Toutefois, au regard de l’impact négatif de la contractualisation sur le rendement des enseignants et pour satisfaire nos besoins, nous avons lancé un recrutement de 2150 enseignants et enseignantes du secondaire et un autre recrutement de 344 enseignants scientifiques pour combler le gap d’enseignants.

La réorganisation de nos centres de formation des enseignants du secondaire nous permettra de faire face à nos besoins.
Quels sont les autres avantages si vous deviez promouvoir ces internats auprès des bailleurs de fonds ? Par exemple au niveau de la sécurité ou de la nutrition ?
Nos internats de jeunes filles ne seront implantés que dans les zones sécurisées. Sur le plan sécuritaire, toutes les dispositions nécessaires sont prises avant de créer un internat. Pour le moment, il y a suffisamment de centres ruraux qui correspondent à ce profil de sécurité. À la rentrée scolaire 2022-2023, plusieurs internats dont Moujia, Jiga, Tesker, Belbédji ouvriront leurs portes. Pour le fonctionnement de ces internats, nous avons défini des normes pédagogiques, sécuritaires et de gestion.

Au niveau administratif, une équipe assermentée sera mise en place pour gérer l’internat et des mécanismes de suivi-évaluations seront instaurés.
La réussite de ce projet d’internat est fortement liée à l’adhésion des communautés locales et à leur participation à la gestion de l’internat. Il s’agit de démontrer à la population que l’internat et au-delà l’école ne relèvent pas que de l’Etat. L’internat doit être compris, comme un cadre partenarial entre l’Etat, la collectivité et la communauté pour soutenir la scolarisation de la jeune fille. Déjà, à Kellé, premier internat type, la collectivité et la communauté participent à l’alimentation des élèves. Pour les internats programmés à ouvrir, la collectivité et la communauté sont prêtes à accompagner l‘Etat par rapport à l’alimentation des élèves.

Donc il semble qu’il y ait une demande sur la base de votre expérience à Kellé. Pourriez-vous élaborer un peu plus sur cette demande ? Quels seraient les avantages perçus par les familles et quelles seraient les barrières ou les résistances, y compris le prix qu’ils doivent payer?

Comme je vous l’ai annoncé dans les points précédents, l’expérience de Kellé a été une réussite.

Mais pourquoi ?
Pour mieux comprendre, les raisons, intéressons-nous à la question : « Qu’est ce qui empêche les parents dans les villages de laisser la fille aller un peu plus loin dans l’éducation. » et quels rôles pourrait jouer l’internat ?
Dans un premier temps, il y a ce problème de sécurité. Si la fille doit parcourir en aller-retour huit kilomètres pour aller à l’école ou bien cinq kilomètres, elle peut être vulnérable. Et même si ce n’est pas ce cas, si elle se déplace complètement pour vivre chez un tuteur, un parent ou une connaissance, les conditions ne sont pas toujours réunies pour son plein épanouissement. Il faut aussi savoir qu’un tuteur n’est généralement pas comme un père biologique et parfois, il n’est pas dans les conditions pour accueillir des élèves. Très souvent, la fille devient alors vulnérable. Mais si les parents savent que la fille est dans un environnement sécurisé où il y a la restauration, où elle est logée où elle a toutes les commodités de vie, je vous assure, les parents n’hésiteront jamais à laisser les filles aller à l’école.

Deuxièmement, Il ne faut pas voir l’internat comme un simple bâtiment physique. Il faut voir l’aspect psychologique des choses. C’est quoi l’aspect psychologique ? D’abord il y a ce regroupement qui va permettre à ces jeunes filles de sympathiser, de cultiver le nationalisme, c’est-à-dire l’appartenance à un même pays, à une même communauté de destin. Cela va convaincre les parents qui sont encore réticents d’envoyer leurs filles à l’école.

Au niveau financier, les parents n’ont aucun engagement, hormis, les engagements volontaires pris dans le cadre communautaire ou associatif. Pour certaines familles, le seul prix à payer sera le coût d’opportunité lié à la scolarisation de la fille.

C’est votre perspective pour combattre la démographie galopante. Mais comment vous le transmettriez aux familles, aux communautés pour leur mettre l’eau à la bouche. Quels seraient quelques messages clés ?
Nous avons des centres d’intérêt au niveau de ces internats. Au delà des activités académiques qui se dérouleront désormais dans des classes en matériaux définitifs construits en priorité selon un modèle alternatif, nous allons faire aussi la promotion des activités professionnelles. Par exemple, les filles vont apprendre à faire la couture et d’autres métiers. Cela va leur permettre d’avoir une autre activité qu’elles pourront pratiquer. Même si demain, elles finissent effectivement leur cycle à l’école, elles ont, en dehors de leur bagage intellectuel qui est bien formaté à l’évolution de la société, appris à pratiquer des activités professionnelles. Ce sont des femmes qui ne vont jamais être des « femmes-bras-croisés », c’est-à-dire qui attendent tout de la nature ou de leurs maris. C’est notre vision pour les internats que nous comptons mettre en place. L’internat est un lieu sûr, sain et sécurisé qui va permettre aux filles d’avoir des apprentissages professionnels à coté des apprentissages académiques. Cela est très bénéfique pour notre société.

Quelles sont vos expériences en matière de ce que les familles doivent mettre sur table ? Est-ce que ces familles contribuent aussi ?
Pour l’internat de Kellé en expérimentation, les familles, à travers les structures communautaires ont effectivement contribué de façon volontaire à l’alimentation scolaire des élèves par des dons de vivres. C’est le conseil régional et la mairie de Kellé qui ont apporté l’essentiel de l’accompagnement nécessaire pour le bon fonctionnement de l’internat. Mais, au regard de notre ambition de vulgariser le projet, il faut que nous puissions convaincre les parents pour qu’ils s’impliquent activement dans la gestion des internats, contribuer à leur financement et changer de comportement face au dénier publique. C’est cela notre stratégie.
Je vais vous raconter une anecdote. Il y a un village qui dispose de classes en paillote construites avec des tiges de mil. En période de sécheresse, les ânes partent brouter ces classes en paillote. Un paysan de passage, ayant vu l’âne brouter la classe, ne l’a pas chassé mais il s’est plutôt rendu chez le chef de village pour l’informer de ce qu’il a vu.

Ce genre de comportement met en lumière le fait que la communauté ne se sent pas concerné par les problèmes de l’école et pour elle, ceux-ci concernent uniquement le chef de village qui représente l’Etat. Ce n’est pas une école communautaire, mais plutôt une école d’Etat. Mais si le paysan sait que lui-même, il a contribué, s’il voit un âne, il ira lui-même le chasser. C’est une anecdote qui est un peu révélatrice et c’est cette anecdote que nous visons à enrayer. Donc, ce ne sont pas que des classes, mais ce sont des classes derrière lesquelles il y a une philosophie. Il faut que la communauté s’approprie tous les investissements faits à son profit

Vous avez parlé de modèle alternatif. Est-ce que les bailleurs de fonds vous ont demandé de proposer des internats ? Est ce qu’il y a d’autres modèles que vous avez considérés ?
Pour remplacer nos 36 000 classes en paillottes, nous avons opté en priorité pour un modèle alternatif de construction de classe. C’est une structure évolutive de construction de classe. Par exemple, l’Etat ou un partenaire va effectuer les tâches de terrassement, de fabrication de poteaux et d’élévation de murs jusqu’à une hauteur de 1 mètre. Il va aussi fournir les toitures en tôles. Après, la communauté en fonction des matériaux locaux disponibles prend en charge les accessoires et les murs de remplissage.

Par exemple, à Zinder, Maradi et Dosso, le banco peut être utilisé et à Tahoua, des pierres taillées pour achever les classes.
Avant, l’adoption du modèle alternatif, une classe classique de 9 m sur 7 m, soit 63 m2 nous coûte entre 11 à 12 millions. Aujourd’hui le modèle alternatif le plus cher avec le travail des communautés est autour de 5 millions. Donc, le coût d’un modèle classique peut nous permettre de construire deux classes en modèle alternatif. En plus c’est deux fois plus pédagogique parce que tout simplement la communauté a intervenu et a compris que l’école appartient à tous et pas seulement à l’Etat.

La Banque mondiale est prête à financer ce projet parce que c’est un projet intégré. A la fin du projet, les parents, la communauté, vont comprendre que l’école n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, c’est pour eux d’abord et qu’ils doivent contribuer à l’éducation de leurs enfants. Ils auront ainsi une compréhension beaucoup plus nette de l’école. L’École doit être un contrat social entre l’Etat, les collectivités et la communauté. Les organismes internationaux ne peuvent qu’accompagner l’Etat, ce n’est pas à eux de faire cette politique de l’éducation.

D’ici cinq ans, dix ans, dans les milieux ruraux, au niveau collège, quelle serait votre vision des choses ? La proportion de l’internat, la proportion de classe de modèle alternatif. Comment vous voyez la distribution de ces différents modèles ?
Notre souhait le plus absolu, est que dans les 5 ans de ce régime, de 2021 à 2026, que nous puissions construire au moins 100 internats de jeunes filles et au moins 36 000 classes, en modèle alternatif dans le milieu rural.

Pour cette année, nous avons programmé la construction de 2050 classes en modèle alternatif et nous allons le faire. Dans moins de trois semaines, les chantiers vont commencer. Notre budget de 2023 a augmenté de 37 % et le volet le plus important, est celui des infrastructures. A coté de cette volonté manifeste de l’État à changer radicalement l’éducation, mon espoir est que les partenaires que vous êtes le FNUAP, le PAM etc., accompagnent l’Etat dans cette politique.
Dans les grands centres urbains compte tenu de la densité de la population nous allons construire des classes en modèle classique ; pas toutes classiques, il y aura même à Niamey quelques classes en modèle alternatif mais pas aussi important que dans les villages. Notre espoir, c’est qu’avant 2026 nous ayons ces 36000 clases en modèle alternatif. Mais attention, je suis un scientifique. Compte tenu du taux de natalité qui est de 6,9 enfants par an, si aujourd’hui, par miracle du ciel, on se retrouve avec 36 000 classes disponibles, je vous assure qu’à la rentrée prochaine, il nous faut encore des classes en paillote, parce que chaque année, il y a un delta qui varie entre 120 000 et 150 000 élèves de plus. Et même si on considère 50 apprenants par classe, il nous faut 3000 nouvelles classes, il faut en tenir compte. C’est pourquoi je prévois toujours large car je sais qu’il y a cet écart. En termes de besoins je les évalue à 40 000 ou 45 000 classes pour tenir compte de ce gap.

Au sujet de la transition démographique, le taux de fécondité qui était à 7,6 il y a cinq ou six ans est aujourd’hui tombé à 6,2. Nous avons espoir qu’il va baisser à 5,4. Si ce taux continue à baisser, et si la construction des classes en matériaux définitifs se poursuit, un jour viendra où nos deux courbes vont se croiser. C’est suite à cela et pour maîtriser la croissance démographique que le Président a créé ce qu’on appelle l’Office National de la Population.

Et les internats ? Les 100 internats, où les mettriez-vous en particulier ?
Les 100 internats, seront créés en priorité dans les collèges ruraux, c’est à dire dans les villages. Le cycle des collèges est un cycle de 4 ans et si possible nous allons les étendre plus tard au lycée, jusqu’à ce que les filles aient l’âge de 18 ans.
Quelle est la proportion du budget de votre département pour l’éducation par rapport au budget national et quelle est la proportion exacte de la distribution ?
Il est important de noter que le président de la République, Chef de l’Etat, SEM BAZOUM Mohamed a promis d’améliorer la part du budget de l’éducation et de l’amener à pratiquement 25 % du budget. Je vous assure que nous sommes pratiquement aux alentours de ce taux. Cette année, nous sommes aux alentours de 22 % du budget national pour l’ensemble des ministères en charge de l’éducation. Et moi, je suis convaincu d’une chose : si le Niger n’était pas en guerre, nous allons amener le budget de l’éducation à 40 %. J’en suis convaincu.

Il y a cinq ans, quel était le taux par rapport au budget ?
La part du budget de l’éducation était aux alentours de 15% du budget national, il y a cinq ans de cela. Aidez-nous à arrêter la guerre, quand on va l’arrêter, ce taux sera à 40% (…) Aujourd’hui, le Niger a la chance d’avoir à son sommet un Président de la République qui croit à l’éducation par le seul fait qu’il soit enseignant. Et donc, il sait qu’un pays ne peut pas se développer sans un système éducatif performant. Ce qui se passe au ministère de l’Education nationale, chaque jour le président en est informé. Pour vous dire moi-même en tant que ministre, dans certains domaines, il est plus informé que moi. Certaines informations, c’est de lui-même que je les reçois. En 2026, à la fin de son mandat, l’un des principaux points sur lesquels, on va le juger, c’est l’éducation. C’est pour cela qu’Il a fait de l’éducation la cheville ouvrière de son programme et nous, notre mission c’est de mettre en œuvre son programme.

Qu’est-il de la déscolarisation forcée des élèves mariées ou enceintes, est-ce que cela va changer ?
Notons d’abord que si la fille est maintenue à l’école dans un environnement très sûr, elle ne va jamais accepter de se marier très tôt. Le mariage devient une charge pour elle. Elle va se marier, mais plus tard et elle prendra soin de sa vie intime car dans les curricula, il y a des aspects d’éducation à la santé de la reproduction qui l’aideront dans ce sens.

Au cas contraire, si elle n’est pas allée à l’école, si elle ne dure pas longtemps à l’école, qu’est ce qui va se passer ?

À l’âge de treize ans, quatorze ans, elle sera déjà mariée. Mais à quatorze ans, c’est encore une mineure. Si elle est mariée avant quinze ans, à seize ans, elle aura déjà deux enfants et à 25 ans quatre ou cinq. C’est pourquoi on trouve des femmes qui ont onze, douze, treize enfants. C’est la conséquence du manque d’instruction car elle ne pas programmer sa vie intime. Ainsi, elle ne fait pas d’espacement des naissances et peut contracter une grossesse pendant qu’elle est en train d’allaiter.

Mais si elle est maintenue au moins jusqu’au collège, elle va atteindre l’âge de18 ans, et à 18 ans elle est majeure et a acquis des compétences de vie courante qui lui permettront de gérer sa vie conjugale. Elle courra donc moins de risques au cours de son mariage.

Nous pensons qu’à travers l’application correcte de nos textes en matière de scolarisation de la jeune fille et toutes les mesures d’accompagnement préconisées, nous serions en mesure de garder les filles à l’école.

C’est ce qu’on souhaite avoir avec le système d’internat. Mais présentement, celles qui se retrouvent enceintes à la rentrée, qu’est-ce que les politiques disent ? Vont-elles dire : tu es enceinte, donc tu ne peux plus continuer ta scolarité ?

Le Niger à banni le renvoi des élèves filles enceintes depuis longtemps, Avant, c’était en vigueur mais il y a eu des arrêtés et des décrets qui ont été pris et qui indiquent que même si une fille est enceinte, elle peut continuer sa scolarité. J’ai eu à présider des jurys de BAC où il y avait des filles qui allaitaient leurs bébés. Elles se font accompagner par les nourrices.

Pour les filles qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, il existe également des dispositifs de formation professionnelle et de prise en charge psychosocial tels que les espaces sûrs les foyers et autres.

Dans le cadre des internats de filles, nous avons mis en place des normes pour protéger les filles contre toute forme de violence et des sanctions disciplinaires et pénales sont prises à l’encore des contrevenants.

Dans des pays tels que les pays du Sud-Est de l’Asie, l’éducation a joué un rôle très important. D’autant plus important que ces personnes instruites ont accès à un marché du travail. Vos filles maintenant ont achevé le brevet ou même le bac. Que vont-elles faire ? Il y a eu la prévention de leur mariage pour éviter qu’elles ne tombent enceintes à l’âge de treize, quatorze et quinze ans, quelles sont les perspectives professionnelles ? Quelle est la stratégie pour faire suivre l’éducation avec l’accès au marché du travail afin de contribuer à l’élan économique ?

Il y a plusieurs stratégies dans ce domaine.
En premier lieu, il faut bien regarder les faits, nous sommes au MEN (Ministère de l’Education National) qui s’occupe de la formation du préscolaire jusqu’au niveau lycée en passant par le primaire et le collège. A partir du collège et lycée, les élèves vont aller soit dans des écoles professionnelles – dans ce cas c’est le ministère de la Formation Professionnelle qui prend la relève, soit dans l’enseignement supérieur – dans ce cas, aussi c’est le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui prend la relève. Le Niger a des textes très clairs par rapport à cela même dans le système politique : il y a un quota de 25 % qui est réservé aux femmes. Même au niveau des nominations de l’État.

Deuxièmement, nous voulons développer la formation professionnelle et qu’en 2026, nous voulons que 40 % des jeunes qui auront le bac soient orientés vers des formations professionnelles. Il y a dix ans de cela, le taux était inférieur à 5 %. Pour atteindre les 40 % d’orientation vers la formation professionnelle au Niger aujourd’hui, il y a des systèmes de Petites et Moyennes Entreprises (PME) et des Petites et Moyennes Industries (PMI), mais avec des micros finances qui permettront de financer des petits projets innovateurs. Par exemple, une jeune femme qui s’y connaît très bien en tresses, elle peut trouver un financement dans le domaine des tresses pour qu’elle puisse faire des tresses beri-beri ou autres. Ce programme est aujourd’hui très bien développé au Niger. En plus les foyers qui seront implantées dans les internats vont permettre d’asseoir cette culture professionnelle en dehors même du système (…).

Mais aussi il faut bien comprendre que ces internats de jeunes filles, c’est pour accueillir les filles du milieu rural. Il n’y aura pas d’internat de jeunes filles à Niamey pour le moment, ni à Zinder, ni à Maradi etc. Ma conviction, c’est qu’en dehors même des internats, si nous voulons améliorer certains indicateurs du système éducatif nigérien tels que le taux brut de scolarité, le taux brut d’admission, le taux d’achèvement, il faut que nous contrôlions la santé et l’alimentation scolaire. Il faut que chaque enfant au niveau du village puisse manger à la cantine aux heures indiquées. Et si cela se poursuit pendant 1, 2, 3 ans, les indicateurs vont s’améliorer, parce que même dans les pays développés comme les Etats-Unis, la France, le Canada etc. tous les enfants mangent en cantine aux heures indiquées. Cela représente un intérêt pour nous car il va nous permettre de bien asseoir le système de journée continue et d’améliorer le temps scolaire. En effet, si le système fonctionne, lorsqu’un un parent dépose son enfant à l’école, il ne le reprendra que vers 16h ou 17h étant donné qu’il va manger à la cantine.

Propos recueillis le 4 août 2022 par le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP/UNFPA) au Niger

Source : http://www.lesahel.org/