Skip to main content

Accueil

Interview exclusive avec Mahaman Laouan Gaya

 

Interview exclusive avec Mahaman Laouan Gaya «Je ne pense pas qu’une simple décision (prise quelque peu à la légère) puisse mettre en péril l’industrialisation des économies pétrolières africaines...» A la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) tenue à Glasgow (Ecosse), du 1er au 13 Novembre 2021, 24 pays et institutions ont pris l’engagement de suspendre le financement des projets d’énergies fossiles (charbon et pétrole) dans le monde. ‘’Le Monde d’Aujourd’hui‘’ a approché M. Mahaman Laouan Gaya, Spécialiste des questions pétrolière et énergétique, ancien Ministre et ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO) pour en savoir plus.

1- Le Monde d’Aujourd’hui : Que vous inspire cette décision qui peut être grave de conséquence sur les économies des pays africains producteurs d’hydrocarbures ?

Mahaman Laouan Gaya : En effet, en marge de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) tenue à Glasgow (Ecosse), le 04 Novembre dernier, et à l’initiative du Royaume-Uni à l’occasion de la ‘’Journée de l’énergie‘’, une vingtaine de pays et institutions se sont collectivement engagés à mettre, à partir de la fin de 2022, un terme au financement des combustibles fossiles, si les projets d’industrialisation de ces hydrocarbures ne sont pas accompagnés de technique de capture de carbone. ‘’Investir dans des projets liés aux combustibles fossiles non assortis de systèmes de capture du carbone comporte de plus en plus des risques sociaux et économiques‘’, indiquent en substance les signataires de la déclaration. Par ailleurs, le 11 novembre 2021, une autre coalition de pays appelée ‘’Beyond Oil and Gas Alliance‘’ (BOGA) promettait de sortir du charbon, du pétrole et du gaz d’ici à 2030 ou 2040. Ces nations s’engagent à ne plus octroyer de nouvelles concessions et licences pour l’exploration et la production de pétrole et de gaz, avec effet immédiat. Seulement, à voir la liste des signataires de ces deux déclarations qui sont entre autres, le Canada, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Nouvelle-Zélande, le Portugal, la Banque Européenne d’Investissement, etc.… ; des pays dont les économies ne pourront au grand jamais se démarquer des énergies fossiles, l’on ne peut que douter de la pertinence de cette décision. C’est justement dans ces pays, que se trouvent les plus grands lobbyistes mondiaux des énergies fossiles, très intégrés dans toutes les strates politique et économique, sponsors de toutes les classes politiques dirigeantes occidentales et grands abonnés des sommets de Davos. Accompagnés par les puissances pétrolières mondiales (pays de l’OPEP+), ces indétrônables puissants magnats lobbyistes (au nombre desquels, il y a les plus grandes multinationales pétrolières et parapétrolières, les plus grands traders mondiaux de matières premières, les plus grands fonds spéculatifs du monde, les méga institutions bancaires et financières d’investissement, les grosses sociétés d’assurance, les plus grandes firmes automobiles et aéronautiques,….) ne se font aucune illusion sur l’impossible applicabilité d’une telle mesure. Les combustibles fossiles représentent aujourd’hui 84,3% du bilan énergétique de la planète (avec 33,1% du pétrole, 27% du charbon, et 24,2% du gaz naturel), les énergies renouvelables (y compris l’hydroélectricité et la biomasse) 11,4% et l’énergie nucléaire 4,3% ; ce n’est donc pas de sitôt que cette tendance pourrait être inversée. Selon le bilan annuel du Global Carbon Project (GCP), publié le 4 novembre 2021 (en pleine COP26), les émissions mondiales de CO2 dues à la combustion d’énergies fossiles et à l’industrie devraient ‘’rebondir en 2021 près du niveau d’avant COVID après une baisse sans précédent en 2020‘’ ; et ces émissions de carbone pourraient s’élever à 36,4 milliards de tonnes (Gt) en fin 2021. Ce niveau serait supérieur de 4,9% à celui de 2020 (34,8 Gt CO2) et légèrement inférieur à celui de 2019 (36,7 Gt CO2).

«Je ne pense pas qu’une simple décision (prise quelque peu à la légère) puisse mettre en péril l’industrialisation des économies pétrolières africaines...»

Rappelons par ailleurs que le pétrole a été le moteur du fulgurant développement du monde ces 150 ans dernières années ; il l’a été et il le demeure aujourd’hui. Il a participé aux révolutions industrielles, à l’avènement de la société de consommation, à l’émergence de puissances économiques et aux victoires militaires lors des grands conflits de l’histoire ; il est et demeure encore pour très longtemps, le leader incontesté de toutes les ressources énergétiques. Le pétrole et ses dérivés sont pour l’heure, les combustibles les plus utilisés dans les transports et les industries et comme matières premières dans la synthèse pétrochimique (fabrication de millier de produits). Pour encore des dizaines d’années à venir, le transport aérien n’aura de substitut autres que les produits pétroliers (carburéacteur,…). Il est et reste à la base de notre bien-être. Déplacer les énergies fossiles (charbon, fuel, gas-oil,…) à la base de la production d’électricité vers des énergies propres (énergies renouvelables, énergie nucléaire) représente aujourd’hui le plus grand défi de la transition énergétique. Il faut donc garder à l’esprit que même si le pourcentage des énergies renouvelables augmente considérablement, techniquement, elles ne pourront jamais fournir la même quantité d’énergie que celle fournie par les énergies fossiles ; le ‘’roi‘’ pétrole en tête. Pour leur part, les pays africains, sans trop s’inquiéter de cette décision, doivent néanmoins participer activement à la lutte contre le changement climatique, mais en ayant à l’esprit le développement des énergies alternatives propres ; l’arrêt brutal et systématique de la production des énergies fossiles paraissant pour l’instant peu ou pas envisageable en Afrique. Aussi, les africains, ne doivent pas observer être les dindons de la farce, après que durant de longues décennies, leurs ressources extractives ont été systématiquement pillées par ceux-là même qui proposent la fin du financement des projets d’énergies fossiles ; décision qui s’apparente ‘’à jeter la peau de l’orange après l’avoir entièrement pressée‘’.

2 - Le Monde d’Aujourd’hui : Si cette décision venait à être mise en oeuvre, ne va-t-elle pas compromettre l’industrialisation des économies pétrolières africaines ?

Mahaman Laouan Gaya : Je ne pense pas qu’une simple décision (prise quelque peu à la légère) puisse mettre en péril l’industrialisation des économies pétrolières africaines, d’autant plus que malgré les 12 à 13% que représentent la part de l’Afrique dans la production pétrolière mondiale, le continent ne participe qu’à peine à 3 ou 4% de la consommation mondiale de pétrole, et là aussi, une bonne partie de produits pétroliers que nous consommons nous est importée d’Europe (l’Europe qui ne produit pratiquement plus de pétrole brut ! ... c’est donc le pétrole brut africain exploité pour l’essentiel par les compagnies étrangères, qui est exporté, raffiné et reversé en produits raffinés sur les marchés africains). Le commerce intra africain des hydrocarbures n’étant quasiment nulle, seule une très faible quantité de produits raffinés fait l’objet de commerce transfrontalier. Pourtant, le potentiel en hydrocarbures (pétrole, gaz, charbon) africain peut très largement subvenir au besoin énergétique des 1,2 milliard d’habitants du continent et de ce fait, l’Afrique n’a aucunement besoin de l’extérieur pour installer une véritable industrie pétrolière. C’est dommage que cette réalité n’ait attiré l’attention de personne au point où cela soit passé inaperçu dans la conception de la ZLECAF. Au demeurant, l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO), est dans la perspective d’entreprendre avec l’Association des Raffineurs et Distributeurs Africains (ARA) une étude sur la création d’un marché physique africain du pétrole brut et des produits pétroliers ; et j’ose bien espérer qu’après la mise en place de ce marché physique, l’on puisse migrer plus tard vers sa financiarisation. On peut bel et bien concevoir une bourse de valeurs pétrolières en Afrique, comme c’est le cas dans certaines régions du monde et procéder à la cotation d’un pétrole africain de référence. Je rappelle que les pétroles bruts du Golfe de Guinée (exemple du Bonny light du Nigeria) sont de qualité supérieure au Brent et au WTI (les deux pétroles de référence mondiale). Vous convenez qu’avec un potentiel pétrolier aussi important, un marché de plus d’un milliard de consommateurs et une bonne organisation, l’Afrique peut faire face à toutes décisions allant à l’encontre de ses intérêts. Voilà en somme une très belle occasion (ce n’est pas encore tard) de se pencher sur ce que je peux appeler la ‘’ZLECAF - volet Pétrole‘’ qui peut être un appendice du marché africain des matières premières extractives. Malheureusement, l’extraversion des économies pétrolières africaines n’est pas un effet du hasard ; elle s’inscrit dans un programme précis, dans lequel s’impliquent individuellement et collectivement toutes les puissances étrangères. Les pays africains producteurs ou pas de pétrole reconnaissent qu’aucun pays au monde ne puisse parvenir à la prospérité ni à un niveau de vie décent pour ses citoyens sans s’être doté d’un secteur industriel solide. C’est d’ailleurs pour cette raison que depuis les années 1960, les dirigeants africains n’ont de cesse de souligner l’importance du développement industriel pour assurer une croissance inclusive et résiliente et le rôle de l’industrialisation du continent a été maintes fois entériné dans de nombreux plans stratégiques. Rappelons pour mémoire, les 1re, 2e et 3e Décennies du Développement Industriel de l’Afrique (IDDA), lancées depuis 1980 par des organisations régionales africaines avec l’appui de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), mais qui malheureusement se sont toutes soldées par un échec, faute d’appropriation et de financement, mais beaucoup plus par égoïsme national et manque de volonté politique. L’Agenda 2063 et la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF), cadres stratégiques de l’Union Africaine pour la transformation socio-économique du continent, appellent à promouvoir promouvoir des plans sectoriels et de productivité, ainsi qu’à développer des chaînes de valeur régionales et de produits de base pour appuyer la mise en oeuvre de politiques industrielles à tous les niveaux. Là également, sans être afro pessimiste, l’on a l’impression que les bases qui sous-tendent ces stratégies laissent penser que les promesses risquent fort de ne pouvoir être tenues. L’Afrique a été et reste encore victime d’un modèle ‘’d’esclavage colonial‘’ qui maintient depuis plus de 60 ans les pays du continent dans un système économique mortifère les obligeant à produire des matières premières (agricoles, animales, extractives,…) et à les exporter à l’état brut. Cela explique pourquoi l’Afrique commerce aujourd’hui plus avec le reste du monde qu’avec elle-même.

La part du continent dans le commerce mondial est tombée d’environ 4% en 1980 à moins de 2% aujourd’hui (le pétrole constitue l’essentiel des exportations africaines). Si elle est corrigée et pleinement mise en oeuvre, la ZLECAF permettrait de réorganiser les marchés et les économies du continent et stimuler la production dans les secteurs des services, de l’industrie manufacturière et des ressources naturelles. Les défis à relever pour industrialiser l’Afrique (économies pétrolières ou pas) sont nombreux, et les bénéfices larges et à portée de main.

3 - Le Monde d’Aujourd’hui : Selon les conclusions de la COP26, l’on peut dire que les pays africains producteurs de pétrole se retrouvent dans un dilemme : le nécessaire développement économique, l’accroissement de la consommation énergétique des populations et le respect des trop contraignants engagements climatiques. Les pays du continent en ont-ils les moyens de s’en sortir ?

Mahaman Laouan Gaya : Votre question est très pertinente, et elle révèle que l’Afrique est à la croisée des chemins, parce que confrontée à des nombreux objectifs a priori contradictoires. L’on se pose la question de comment réagir face à la tendance actuelle (développement des industries pétrolières et charbonnières) dans le contexte d’un infernal cercle vicieux ‘’croissance/énergie/climat‘’. Quelles stratégies doivent adopter les pays africains pour sortir de cet imbroglio ? En effet, l’Afrique a besoin de satisfaire une demande croissante en énergie pour assurer la croissance économique à une population relativement jeune, sans cesse croissante et estimée à plus d’un milliard d’habitants, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre pour solutionner le problème du dérèglement climatique. L’accès à l’énergie et plus particulièrement à l’électricité est un préalable au développement ; et des régions entières du continent en sont privées. Cette situation se résume à une urgence sociale, parce que sans cette énergie, il n’y a pas de lumière, pas d’accès ni à l’eau potable, ni à la santé, ni à l’éducation, ni à un minimum d’infrastructures. Force est aussi, de reconnaître que fort de son énorme potentiel en ressources fossiles, l’Afrique entend assurer son développement économique et les pays africains producteurs ou futurs producteurs de pétrole et de gaz, n’entendent pas pour l’instant renoncer au développement de l’industrie pétrolière en dépit des recommandations de la COP26. Arrêter ou même limiter le développement des projets liés aux énergies fossiles (ce qui suppose renoncer au développement socio-économique et à la lutte contre la pauvreté !?), aurait un impact économique profondément négatif, avec son corollaire de tensions sociales ingérables. Il y a là une urgence économique. Les africains ne sont pas responsables de la crise climatique actuelle, parce qu’avec 17% de la population mondiale, le continent ne contribue qu’à seulement 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Pallier les carences de l’exploitation des hydrocarbures en assurant une transition vers les énergies propres reste néanmoins un objectif possible ; à condition que les pays du Nord, responsables depuis trois quarts de siècle du pillage des ressources fossiles du continent et responsables de toutes sortes de pollutions (torchage des gaz, pollutions pétrolières maritimes, déversements de produits pétroliers toxiques,…) assument pleinement leurs promesses. En effet, lors de la COP15 de 2009 tenue à Copenhague, l’ensemble des parties s’étaient engagées à mobiliser 100 milliards de dollars par an (environ 55.000 milliards FCFA), dès 2020, pour aider les pays en développement à faire face au dérèglement climatique. L’Afrique entend bien respecter les engagements de contenir le réchauffement climatique à 1,5°C, mais il lui faut absolument des ressources financières additionnelles extérieures. Mais un rapport de l’OCDE affirme que l’objectif de mobilisation de 100 milliards de dollars par an ne serait pas atteint en 2020 ; et peut-être ne le sera jamais ! L’Afrique ne doit indéfiniment pas continuer à compter sur la ‘’communauté internationale‘’ pour voler à son secours. La seule et unique leçon qu’elle doit tirer (une fois pour toute) est qu’elle doit avant tout compter sur ses propres forces (…. et ce n’est pas ce qui lui manque). Au-delà du besoin en financement, nos pays doivent promouvoir les énergies de substitution, accroître substantiellement l’efficacité énergétique, être très strict et intolérant vis-à-vis des sociétés étrangères responsables de diverses pollutions, créer les conditions avec des partenaires extérieurs (crédibles et sérieux) pour un transfert des technologies de captage et de stockage du carbone et la multiplication des initiatives de restauration de l’environnement (reforestation). Etant dans un contexte irréversible d’une très rapide croissance démographique, d’un énorme besoin de lutte contre la pauvreté et de recherche de développement économique, d’une très grande ambition de lutte contre la pauvreté énergétique et d’accès aux énergies modernes, des politiques nationales et régionales de l’énergie, avec un accent particulier sur la réduction de l’intensité énergétique et un déplacement volontaire du mix des combustibles à haut pouvoir d’émission (charbon, pétrole) vers des combustibles à pouvoir plus faible (gaz), voire nul (nucléaire, énergies renouvelables) constituent aussi un levier de salut supplémentaire. Enfin, le développement de la coopération et de l’intégration régionales et continentale permettrait à coup sûr à l’Afrique de surmonter et sortir de l’infernal cercle vicieux ‘’croissance économique/ accès à l’énergie moderne/dérèglement climatique".

Propos recueillis par Amadou Bello