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Interview : Moussa Hamadou Djingarey, cinéaste- réalisateur nigérien : «Nous demandons aux autorités la création d’un fonds d’aide à la production audio-visuelle et d’un centre de formation aux métiers du cinéma», reclame le cinéaste

Pourquoi, vous avez optez pour la fiction ?

J’ai commencé d’abord avec le documentaire, avec une œuvre que j’ai réalisée en 2005 intitulée « la mystérieuse croix d’Agadez ». C’était sur l’histoire de cette croix, car pour moi le cinéma doit servir à éduquer et à sensibiliser. Cette croix était le logo des 5èmes jeux de la francophonie que le Niger a organisé. Le documentaire de 26 mn que j’ai réalisé a été diffusé sur la télévision nationale tout le long de ces jeux. C’était mes débuts dans la production des films d’auteurs.

Vos longs métrages, racontent des histoires tristes, émouvantes… Qu’est ce qui explique cette tendance ?

On ne peut pas se lancer directement dans la fiction sans maitriser le terrain, c’est un peu complexe, et c’est pour cela que j’ai commencé par le documentaire. Pour la fiction, j’ai commencé en 2007-2008 avec un court métrage de 13 mn qui s’intitule « Casting pour un mariage ». C’est un film qui a représenté le Niger au festival Clap Ivoire en 2008 et qui a eu le deuxième prix. Après, j’ai estimé que j’étais prêt pour affronter le long métrage. J’ai écrit le scénario du film « Hassia, amour ou châtiment ». Ce film était inspiré d’une histoire vraie et je me suis senti obligé de le réaliser. Je réalisais un documentaire de commande dans la région de Maradi, où je filmais dans un Centre de Santé Intégré lorsque j’ai vu une petite fille qui avait à peine 13 ans et qui était enceinte. Ça m’a tellement touché que je me suis dit qu’il faut vraiment qu’on en parle. J’ai continué à investiguer, j’ai été au niveau de sa famille, j’ai posé des questions. La fille a reconnu que son mariage était forcé. J’ai écrit donc le scénario du film, et au début j’avais voulu en faire documentaire. Mais les témoignages étaient difficiles à avoir. La personne même qui m’a inspiré s’est rétractée, refusant de témoigner. Ce qui illustre un autre problème, celui du silence de la femme. J’ai dû alors transcrire tout le scénario du documentaire pour l’adapter à la fiction et j’ai financé moi-même ce film que j’ai réalisé. Il a eu un grand succès et c’est le film qui m’a fait connaître. Il a été projeté partout au Niger, et dans beaucoup de grands festivals jusqu’à Montréal.

«Le pagne», votre dernier film porte sur l’excision, la déscolarisation, les grossesses précoces et non désirées, la séquestration des femmes, l’homicide… N’est-ce pas là un tableau trop noir de notre société?

Le film « Hassia » m’a donné une mission. Ce film m’a permis de comprendre qu’ici au Niger, on a vraiment besoin du support audio-visuel pour éduquer et sensibiliser. Il y a tellement de problèmes et des souffrances dans ce pays et le cinéma peut être un support pour sensibiliser les gens et les éduquer. C’est ce qui fait que tout ce que je produis en matière de fiction long métrage, traite des sujets qui portent sur des faits de société, surtout des problèmes de femmes, de santé. Je cherche à pouvoir apporter ma contribution, à montrer les souffrances de cette société pour que les gens puissent en prendre conscience et trouver des solutions. Pour ce qui de mon dernier film « Le pagne », il a été aussi inspiré d’une histoire vraie. Le film traite de l’excision, de la scolarisation de la femme, de certaines pratiques traditionnelles néfastes. C’est un film que j’ai réalisé pour montrer à la population que c’est bien d’avoir des traditions, mais celles qui vont à l’encontre de la dignité et de l’honneur de la femme sont à abandonner. Le film se caractérise par le silence de l’actrice principale qui ne parle pratiquement pas,   supportant sa douleur dans le silence. Ce qui illustre le silence de la femme dans notre tradition où elle n’a pas toujours droit à la parole. Elle est souvent dans une position où elle doit écouter et obéir dans le foyer, la famille… Et le film dénonce le problème pour que les gens puissent prendre conscience que la femme aussi est capable de bien réfléchir, et apporter sa contribution dans la gestion de nos foyers.

Et pourquoi le choix de Maradi pour le tournage du film ?

Le film a été tourné à 100% à Maradi. Le choix s’explique d’abord par le fait que le personnage principal même vit à Maradi, certains des acteurs sont concernés directement ou indirectement par le problème que pose le film. Aussi, nous avons voulu utiliser le décor naturel et des acteurs de la région. Avec également la proximité et l’influence du Nigeria, il est plus facile et adapté de tourner un film à Maradi que dans les autres régions. Il y a la disponibilité des gens, l’ouverture des autorités traditionnelles.

Vous voulez faire des films qui sensibilisent, éduquent, mais il y a aussi le problème de la distribution. Cette situation ne constitue-t-elle pas un obstacle par rapport aux objectifs que vous visez ?

On est dans un pays où après un début un peu glorieux il y a plus de trente ans, la production cinématographique a repris véritablement dans les années 2000 avec l’avènement du numérique. La chaine de la production du cinéma est vaste. Il n’y a pratiquement aucune société de distribution au Niger, et le réalisateur est obligé de jouer lui-même le rôle de distributeur. Avant l’ouverture récemment de la salle Olympia, le Niger n’avait pratiquement plus de salle de cinéma. On se contente du Palais des Congrès qu’on loue très cher pour pouvoir montrer nos œuvres. Rien ne fait plus mal à un producteur que de faire un film de qualité et d’être incapable de montrer cette œuvre au public auquel elle est destinée. Après la production je me convertis moi-même en distributeur, j’organise moi-même mes projections au Palais des congrès, des rencontres avec les sociétés pour pouvoir donner les publicités dans les films, faire les copies DVD à bas prix, et vendre pour que la population puisse voir les œuvres. C’est le grand problème que nous rencontrons, puisqu’il n’y a aucune maison de production au Niger.

Est ce que les cinéastes nigériens peuvent vivre de leur art ?

C’est très difficile, nous aussi nous arrivons à survivre grâce aux films de commande que nous faisons souvent. C’est un pays qui vient de reprendre dans le domaine, et même la population nigérienne n’est pas « trop cinéma». Sur 100 copies de DVD à peine on vend les 50. On est obligé de continuer comme ça, tout en ayant des petits boulots pour joindre les deux bouts et continuer pour que le cinéma nigérien ne meurt pas.

Je voudrais saisir cette opportunité pour demander à nos autorités la création d’une école de formation en cinéma, et d’un fonds d’aide à la production audio-visuelle à l’image des autres pays. Nous voulons la création de cette école pour qu’il y ait de vrais techniciens et surtout de vrais réalisateurs, que le Niger puisse se faire entendre sur le plan international dans le domaine du cinéma. Je pense que le gouvernement a la capacité et la volonté d’aider le Niger à avoir cette structure de formation et de production fiable. À part le problème de formation, il y a aussi celui du financement. La production audio visuelle n’est pas financée au Niger. Un Centre National de la Cinématographie a été créé, avec un budget de fonctionnement, mais il y n’a rien pour la production des films alors que ce centre a pour mission de promouvoir le cinéma. Nous demandons donc aux autorités la création d’un fonds d’aide à la production audio-visuelle à l’image des autres pays, comme le Sénégal qui cette année a doublé le fonds, et d’un centre de formation aux métiers du cinéma. Quelle que soit la qualité d’un réalisateur, s’il n’ya pas de fonds il est limité en matière de production, de créativité

Avez-vous des perspectives malgré les problèmes de manque de moyens dont vous parlez ?

Bien qu’on manque toujours de moyens, l’essentiel c’est de ne pas laisser tomber. Et pour septembre 2017, j’ai un long métrage de fiction à produire sur les problèmes de l’immigration à travers le Sahara. C’est pour dénoncer un peu la pratique de l’immigration clandestine qui a court à travers le désert nigérien avec son cortège de drames, des cadavres, des histoires de réseaux des passeurs... C’est un fléau qu’on ne doit pas ignorer. La meilleure façon de combattre ce fléau c’est la sensibilisation. Il faut faire comprendre aux candidats que ce n’est pas le voyage qui est interdit, mais c’est la façon dont il est fait. J’aimerai apporter ma contribution grâce au cinéma, illustrer ces souffrances là pour que la jeunesse nigérienne, africaine puissent prendre conscience et arrêter ces voyages périlleux…

Interview réalisée par Souley Moutari(onep)

27 juin 2017
Source : http://lesahel.org/