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Interview : Pr Oumarou NAREY, Premier Président de la Cour des comptes

Pr Oumarou NAREY, Premier Président de la Cour des comptes

M. le Premier Président, votre Institution a publié son Rapport Annuel de contrôle financier dans les institutions et services publics qui reçoivent les subventions de l’Etat. Dans ce Rapport qui a fait l’écho dans l’opinion nationale, plusieurs irrégularités et récidives ont été relevées. Pouvez-vous  nous situer le contexte dans lequel la Cour des comptes élabore ce Rapport ?

Pour situer ce contexte, il convient tout d’abord de rappeler que le Rapport Général Public est élaboré conformément aux dispositions des articles 5 et 149 de la loi organique n° 2020-035 du 30 juillet 2020 déterminant les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes.

Ce Rapport traite des différentes observations faites à l’occasion des diverses vérifications effectuées pendant l’année précédente ainsi qu’à la gestion et aux résultats des entreprises contrôlées par la Cour. Ce Rapport est remis à leurs Excellences Messieurs le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre. Il est rendu public.

Ensuite, il faut rappeler que le Code de transparence des finances publiques de l’UEMOA transposé au Niger par la loi n° 2014-07 du 16 avril 2014, exige également de la Cour des comptes de : rendre publics tous les rapports qu’elle transmet au Parlement, au Gouvernement et à Son Excellence Monsieur le Président de la République ; publier ses décisions particulières sur son site web s’il en existe et dans au moins deux grands journaux nationaux de grande diffusion ; d’assurer un suivi de ses recommandations et de porter régulièrement à la connaissance du public les résultats de ce suivi.

Le Rapport Général Public est finalement un document qui permet à la Cour des comptes de suivre ses recommandations et de publier les résultats de ses activités de contrôle. C’est l’outil privilégié d’information des citoyens sur la gestion des finances publiques.

 {xtypo_quote}« Le domaine de compétence de la Cour est très large (…). Mais les ressources humaines et financières mises à la disposition de la Cour des comptes sont très insuffisantes au regard de son vaste domaine d’intervention ».{/xtypo_quote}

M. le Premier Président, la principale préoccupation de l’opinion à chaque fois que de tels manquements sont mis en lumière, surtout par rapport à l’utilisation des finances publiques, c’est le manque de sanctions, les récidives ou encore la non application des recommandations de la Cour. Quelles sont les limites des pouvoirs de la Cour des comptes par rapport à ces cas ?

Les limites s’observent à un triple niveau de l’exercice par la Cour de sa compétence : La compétence juridictionnelle par laquelle elle juge les comptes des comptables principaux de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics appliquant les règles de la comptabilité publique. Cette compétence lui permet également de juger les comptes des comptables de fait et de sanctionner les fautes de gestion. Ainsi, la sanction de la Cour des comptes se matérialise par la mise en jeu de la responsabilité des comptables patentés et des comptables de fait ainsi que par l’amende infligée aux coupables de fautes de gestion ;

La compétence de contrôle par laquelle la Cour des comptes s’assure du bon emploi des fonds publics. Il s’agit d’un contrôle qui porte sur tous les aspects de la gestion des entités soumises aux contrôle de la Cour (Etat, collectivités territoriales, établissements publics quel que soit le régime juridique, entreprises publiques, sociétés d’Etat, etc.). Cette compétence permet également à la Cour de contrôler les comptes des partis politiques et les déclarations de biens des personnalités assujetties. Elle permet en outre à la Cour de donner un avis sur les rapports annuels de performance des administrations en charge des programmes, de certifier les comptes de l’Etat, de participer à l’évaluation des politiques publiques, d’auditer et de publier le rapport sur la situation globale des finances publiques, et en particulier la situation du budget de l’Etat et de son endettement, préparé par le Gouvernement dans les trois (3) mois suivant l’élection présidentielle. Par rapport à cette compétence, il y a lieu de noter que le législateur organique n’a pas donné un pouvoir de sanction à la Cour. Cette dernière agit en qualité d’auditeur auprès des entités assujetties, leur fait des recommandations pour leur permettre d’améliorer leur gestion en assurant un suivi desdites recommandations.

Par ailleurs, la Cour des comptes est habilitée à faire des référés aux Ministres concernés ou ceux de tutelle. L’innovation introduite par la nouvelle loi organique est que le Premier Président de la Cour peut porter à la connaissance de son Excellence Monsieur le Président de la République l’absence de réponses dans les délais impartis et lui signaler, le cas échéant, les questions pour lesquelles les différents référés n’ont pas reçu de suite satisfaisante.

La compétence consultative par laquelle la Cour assiste l’Assemblée Nationale en élaborant le rapport sur l’exécution de la loi des finances et la déclaration générale de conformité et en menant à sa demande toutes enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques. La Cour des comptes peut être consultée par le Gouvernement ou l’Assemblée Nationale sur des questions économiques, financières ou de gestion des services de l’État. A ce niveau également, la Cour des comptes ne dispose pas de pouvoirs coercitifs à l’encontre de ses assujettis.

Au total, des trois (3) compétences de la Cour des comptes, le législateur ne lui a conféré le pouvoir de sanctionner qu’en matière juridictionnelle. Pour les deux autres (compétence de contrôle et compétence consultative), elle ne peut que faire des suggestions pour améliorer la gestion ou émettre un avis sur telle ou telle question relevant de sa compétence.

M. le Premier Président, on constate que le travail que mène votre institution conformément à ses missions nécessite d’importants efforts, des besoins en ressources humaines et financières surtout. Est-ce que la Cour à les moyens qu’il lui faut ?

Le domaine de compétence de la Cour est très large car il couvre les comptes de tous les organismes du secteur public et, au-delà, les comptes des partis politiques, les déclarations des biens ainsi que ceux des organismes faisant appel à la générosité publique. Mais les ressources humaines et financières mises à la disposition de la Cour des comptes sont très insuffisantes au regard de son vaste domaine d’intervention.

M. le Premier Président, tout récemment la Cour a fait sa rentrée judiciaire 2020-2021 et lancé officiellement le plan stratégique 2020-2024. Quelles sont, de manière résumée, les objectifs de ces activités ?

La rentrée judiciaire effectuée par la Cour des comptes consiste, d’une part, à sacrifier à une tradition bien établie en milieu judiciaire et, d’autre part, à accueillir les nouveaux membres afin de partager avec eux la manière dont l’Institution a accompli et continuera d’accomplir son office. En effet, en tant que gardienne de la bonne utilisation des deniers publics, la Cour des comptes participe, au quotidien, à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie.

Les objectifs poursuivis par la Cour à travers le plan stratégique 2020-2024 vise à améliorer la qualité des contrôles de la Cour des comptes ; améliorer la confiance des parties prenantes envers la Cour des comptes par l’appropriation de ses travaux ; faire de la Cour une Institution modèle intégrant la prise en compte du genre.

Quels sont les grands défis, les enjeux et les perspectives de votre Institution dans les années à venir ?

Le défis que la Cour des comptes doit relever sont notamment : la couverture de son champ de compétence au regard de la modicité de ses ressources humaines, matérielles, logistiques et financières ; le renforcement des relations avec les parties prenantes.

Les enjeux tournent autour de l’actualisation de certains outils de gouvernance (stratégie de communication, plan stratégique de gestion des ressources humaines, code de déontologie etc.) ; la mise en œuvre du plan stratégique 2020-2024 ; la mise en pratique de son autonomie financière.

Les perspectives sont les suivantes : le respect et l’application des dispositions de la nouvelle loi organique ainsi que la mise en œuvre des outils de gouvernance (plan stratégique 2020-2024, stratégie de mise en œuvre des normes internationales des Institutions supérieures de contrôle des finances, la stratégie d’implication des parties prenantes de la Cour etc.) offrent à la Cour l’espoir de réaliser avec succès ses missions.

Quelles sont les attentes vis-vis des pouvoirs publics et des acteurs concernés par le travail et les missions de votre institution ?

Les attentes de la Cour par rapport à ses parties prenantes sont nombreuses. Ainsi à l’égard du pouvoir législatif (Assemblée Nationale), les attentes de la Cour sont : exploiter les rapports de la Cour en vue d’assurer la mise en œuvre des recommandations dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale ; produire à la Cour les documents légalement requis (compte de gestion du Payeur de l’Assemblée Nationale par exemple).

Vis-à-vis du pouvoir exécutif (plus précisément du Gouvernement), les attentes de la Cour sont notamment : produire à la Cour les documents légalement requis et dans les délais fixés par les lois et règlements en vigueur ; mettre en œuvre les recommandations de la Cour ; créer un cadre de rencontres périodiques avec les ministères et surtout ceux qui fournissent les informations utiles au travail de la Cour, notamment les Ministères en charge des Finances et de l’Intérieur ; doter la Cour de ressources humaines, financières et matérielles suffisantes.

En ce qui concerne les entités soumises à son contrôle, la Cour attend d’elles : la production des documents légalement requis ; la mise en œuvre de ses recommandations ; l’application des règles de bonne gestion des finances publiques.

En outre, la Cour attend des médias (publics et privés) et des organisations de la société civile, une large diffusion du contenu de ses rapports, surtout le Rapport Général Public.

Enfin, la Cour attend des partenaires au développement de contribuer au financement de ses activités programmées dans son ambitieux plan stratégique 2020-2024.

Réalisé par Ali Maman

20 novembre 2020

Source : http://www.lesahel.org/