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Interview du cinéaste Djingarey Maïga : «J’ai été très touché par l’histoire de ces filles albinos, racontant la stigmatisation dont elles font l’objet dans leur société, surtout quand il s’agit de mariage», déclare M. Djingarey Maïga

C’était en 1970 quand il y a eu la première confé­rence sur la francophonie à Niamey. Aimé Césaire, étant un ami de Jean Rouch, nous avait rendu visite à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH) où nous travaillions. Nous étions à l’époque tout jeune, Moustapha Alassane et moi. Nous avions installé nos caméras, et dès que Cé­saire a vu ces caméras d’un ancien modèle, qui n’existaient en Afrique qu’au Niger, il a dit, « ça ce sont des caméras de la négritude ». Puis il a dit « jeunes hommes, dans tout ce que vous faites, n’oubliez pas le mot noir ». Ensuite, je ne sais pas pourquoi, il m’a donné une tape sur l’épaule et m’a dit : « tu vas être un bon cinéaste ». Cela est resté dans ma tête, et deux ans après, en 1972, j’ai commencé à réaliser mon long métrage, « l’étoile noire», qui est sorti en 1976. J’étais seul sur le film. Il fallait quémander la pellicule, et les autres matériaux avec des coopé­rants français, qui m’ont aussi aidé, avec aussi Diouldé Laya, et moi aussi j’ai joué dans le film. J’ai choisi le titre «l’étoile noire », tout en pensant à ce qu’Aimé Césaire m’avait dit. Et, le titre est aussi lié à l’actrice principale, une nigérienne du quartier Gawaye. Mais je ne rêvais pas de continuer, puisque ça a été difficile. 

C’est donc ce conseil du grand représentant de la négritude qui vous inspire concernant les titres de vos films, dont le dernier en finition, est « un coin du ciel noir » ? 

Oui, en quelque sorte puisque à chaque fois que je fais un film je pense à ce que Aimé Césaire m’a recommandé et je continue à travailler dans ce sens, là. Malheureusement je n’ai plus jamais eu l’occasion de le revoir, jusqu’à sa mort. Quand j’ai fait mon dernier film, « Cerveau noir », je me suis dit que j’arrête, puisqu’étant fatigué de faire des films, sans moyens. J’avais donc dé­ cidé d’arrêter. Je l’ai dit à tout le monde, avec ce huitième film là j’arrête ! 

Qu’est ce qui vous a amené à revenir sur votre décision ?

Un jour regardant la télévision nationale, (que je regarde toujours), j’ai vu un documentaire, parlant de la vie des albinos dans un pays africain. J’ai été très touché par l’histoire des filles albinos, racontant la stigmatisation dont elles font l’objet dans leur société, surtout quand il s’agit de mariage. Après, j’ai rencontré à tout hasard la pré­ sidente des albinos du Niger, qui me dit qu’elle me cherchait pour me proposer de faire un film sur « elles ». Mais cela ne suffit pas car il faut avoir des moyens pour réaliser un film. Après, lors de mon voyage au festival de Carthage en octobre 2016, j’ai rencontré un grand cinéaste africain, M. Aberahamane Cissoko, qui m’a dit que « Aubes noires », un de mes films qu’il a vu, lui a beaucoup plu. Je lui ai dit que malheureusement j’ai arrêté. On a quand même parlé du scénario de « Un coin du ciel noir », et là il m’a encouragé à le faire, promettant d’appuyer le projet. De retour à Niamey j’ai cherché un peu de crédit à la banque pour commencer le film. J’ai trouvé l’actrice principale, une fille albinos, et avec les personnes avec lesquelles j’ai l’habitude de travailler, on s’est lancé dans le tournage. Mais ce sont deux grands avocats de notre pays qui m’ont surtout beaucoup aidé pour ce film. En fait dans le film, il y a un personnage, un jeune avocat qui fait partie des principaux acteurs. 

Mais quelle est cette histoire que vous voulez raconter dans ce film et pour lequel vous vous engagez avec beaucoup de volonté ? 

Pour faire court, le sujet, c’est un jeune avocat qui va aimer une jeune albinos, élève dans un lycée, très intelligente, mais issue d’une famille pauvre qui a des difficultés pour prendre en charge ses études. Heureusement que le jeune avocat qui va la rencontrer va l’aider, et malgré tous les pré­ jugés, et les obstacles qui se dressent devant eux, ils vont se marier, et avoir un enfant, qui n’est pas albinos. 

A vous entendre on croirait qu’il s’agit d’une sorte de plaidoyer, de sensibilisation. Et on peut aussi se demander si le film est une commande ou une initiative personnelle ? 

On peut dire que c’est un film de sensibilisation, mais l’idée, le scénario vient de moi. Comme pour tous les autres films que j’ai faits. Et dans ce film dont j’espère la diffusion dans un mois, ou quelques semaines, il n’y a pas d’assassinat, d’enlèvement d’albinos. Il est plutôt question d’amour, de mariage… D’ailleurs, je suis en train de penser à une suite pour ce film. 

Vous promis d’arrêter de faire le cinéma après votre 8ème film, qu’attendez vous de la nouvelle génération de cinéastes nigériens ?

Il n’y a pas beaucoup de jeunes qui s’intéressent à la fiction ici. Il y a un jeune qui a le même nom que moi, Moussa Djingarey, il y a aussi mon fils qui s’est lancé dans ce genre ciné­ matographique. Aujourd’hui ils ont plus de facilités, avec la technologie. Je les encourage à faire des films de fiction qui peuvent faire honneur au pays. Mais il faut aussi la connaissance, il faut la formation. Il y a des gens qui se sont lancés dans le cinéma sans savoir ce que c’est, et quand vous voyez les films il y a beaucoup de défauts. Ces formations sont nécessaires. Moi, j’ai travaillé six ans comme assistant réalisateur, assistant caméraman avant de réaliser mon premier film. Et je dois dire que j’ai eu aussi la chance d’avoir la possibilité d’apprendre ici au Niger, en France etc.…

Ne pensez vous pas aussi que la question de la production est un obstacle pour le développement du cinéma nigérien, et africain ? 

Je suis mon réalisateur, je suis mon producteur depuis que j’ai commencé. C’est pour cela que je n’ai pas de valeur chez certains occidentaux, même dans les festivals. Je connais ce problème. Presque tous les films qui ont des prix, même au Fespaco, sont produits, co­produits ou co­réalisés par des occidentaux. Ce n’est pas la peine de rentrer dans les détails. On voit souvent des films africains primés, et qui ne racontent aucune histoire intéressante, juste parce qu’ils sont soutenus par un lobby de producteurs… Mais il y a des réalisateurs qui travaillent seuls, sans moyens, sur de bons sujets. 

Interview réalisée par Souley Moutari

24 mai 2017
Source : http://lesahel.org/