Manifestations en France : Un peuple fier quand même
Depuis quelques jours, la France est traversée par une vive tension consécutive à la mort, par fusillade policière d’un jeune de dix-sept ans, Nahel, à Nanterre. L’annonce de la mort du jeune Français avec des vidéos qui ont circulé, montrant les circonstances de la tragédie, a mis en émoi tout le peuple français, y compris sa classe politique et ses dirigeants qui ont tous été indignés par un acte qui a toutes les allures d’une bavure policière intolérable dans le maintien d’ordre. Spontanément, avant que la famille de Nahel n’appelle à une marche blanche le vendredi, les Français s’étaient mobilisés à travers la France, cassant et brûlant pour exprimer leurs colères débordantes face à une nième bavure que rien ne peut justifier. Et Issoufou Mahamadou qui, pour discréditer les luttes sociales menées par la société civile de son pays, prenant en exemple la France pour dire qu’on ne mène pas des manifestions nocturnes, et que s’entêter à le faire n’est que motivé par des relents subversifs, en a eu pour son grade : la France depuis des jours, et dans beaucoup de ville est en feu au point d’alerter le pouvoir français qui est, depuis des jours, sur le qui-vive, inquiets des retentissements que peuvent avoir tant de colères massives. Aussi Issoufou, trouvait-il là le moyen de condamner les luttes menées dans son pays, incapable de comprendre qu’il n’y a ni heure, ni jour préétablis pour que des colères explosent tant que des situations les provoquent.
Emmanuel Macron, lui a compris : ce crime cache mal bien d’autres malaises profonds dans sa France. L’ONU n’a d’ailleurs pas tardé à relever dans un tel événement, comme dans d’autres, quelques fondements racistes. La France, nonobstant la diversité dont elle est désormais tissée, est malade, toujours incapable de la sublimer et de la revendiquer comme une part entière de son identité. La France, elle-même prend du temps à comprendre les mutations qui l’ont traversée depuis qu’elle allait en aventure dans le monde et avec le monde, perdant beaucoup de sa France dont elle garde encore les illusions de la constance quand, pourtant, il ne lui en reste rien que son altérité, vivant une France métissée, en tout cas, devenue une autre. Et elle ne peut plus être celle que l’on veut préserver.
Comment ne pas être admiratif de ce peuple qui peut, sans se demander qui est Nahel, et surtout de quel parti peut-il être, ni même s’interroger sur sa famille, se mobiliser, défendant des valeurs et la vie humaine sacrée quand le nôtre ne voit en tout que politique, même quand le tonnerre gronde ? C’est donc le peuple et lui seul qui protège le peuple, défend les valeurs qu’il incarne. Et même si le politique appelle en France à ne pas manipuler le crime à des fins politiques, il sait que les colères sont légitimes et cherche les moyens de les contenir. On apprend d’ailleurs qu’une nouvelle cellule de crise se tient à l’Elysée après les violences nocturnes où les forces de maintien de l’ordre font face à des jeunes révoltés, la grogne contaminant plusieurs villes du pays. L’embrasement de la France consécutif au crime a obligé l’Elysée à créer une cellule de crise, et au président français à écouter sa visite à l’extérieur et même à renoncer sine die à une autre en Allemagne. Quand la France se porte mal qu’a-t-il à chercher ailleurs ? N’est-ce pas la paix de la France qui l’autorise à aller se balader chez les autres, dans le monde ? Cela aussi, s’appelle la responsabilité politique. On ne l’a pas toujours chez nous. Même en temps de deuil qu’il a luimême décrété, on a vu Issoufou prendre son avion et partir loin du pays. Les larmes de son peuple n’étaient pas les siennes. Il n’a que faire de ses douleurs. Mais il est socialiste.
Pour autant, même redoutant que d’autres ne s’en servent pour manipuler la grogne et le deuil, jamais le gouvernement français n’a pris la décision liberticide d’interdire les manifestations, laissant des foules se rassembler spontanément et manifester, et même la nuit où l’on a plus de casses. Mais Issoufou Mahamadou, l’ancien président du Niger pour qui, jamais dans ce pays, des manifestations n’ont lieu la nuit, peut être surpris de voir ces images qui font le tour du monde pour comprendre que la violence n’est pas nègre ; elle est humaine, liée à notre part animale que nous ne saurions nier. Le problème c’est d’être démocrate et de croire en la démocratie et à tout ce qui la fonde. Devant ce qui n’est pas normal dans la République, tous s’accordent à le reconnaître et à le dire : ça s’appelle la responsabilité. Qui, en France, n’a pas reconnu, que le contrôle tel qu’on a vu avec les images qui ont circulé, ne peut justifier qu’on tue ? Sous nos Tropiques, sans doute que mécaniquement, pour défendre un gouvernement, l’on va tout suite à la condamnation du jeune, de son refus d’obtempérer à une autorité de police. Ce n’est pas la démocratie !
Même si les Français, condamnent des violences qui s’en prennent à des biens privés et publics, il reste qu’ils reconnaissent la légitimité des colères dans une France où certains actes ne doivent plus avoir cours pour ne pas souiller la France et son image de démocratie séculaire foisonnante d’opinions divergentes et de diversités harmonieuses même si par des individus isolés, elles peinent à se réconcilier et à s’accepter. Mais comment ne pas être séduit par l’attitude de cette jeunesse qui se réveille et dit «Non», dans la République à de tels crimes qui ne peuvent être en phase avec la France car ils ne sont pas France ? C’est donc une France qui est scandalisée, indignée, non un clan de la patrie des Droits de l’homme.
Dans un pays, les gens doivent savoir ce qu’ils aiment, ce qui fonde leurs convictions démocratiques, leurs valeurs de vie. Et la révolte continue de s’exprimer, dans la rue, et toujours les nuits où les hommes sont plus libres, quand même Zaki, l’ex-président du Niger peut ne jamais le comprendre. Peut-il d’ailleurs comprendre que laisser de tels actes se poser, ne pas les contrarier, c’est permettre à la démocratie de respirer mieux pour s’éviter des «constipations» par lesquelles, le peuple accumulant des colères qu’il ne peut exprimer, finit par en exploser par son trop-plein ? Manifester dans une démocratie, permet de réguler les tensions, de rabaisser le niveau du thermomètre des crises sociales et politiques. Un pays qui n’a pas de jeunesse débout n’a pas d’avenir. Cette charmante jeunesse combattante de France porte les symboles de la vitalité et du dynamisme de sa démocratie, et des espérances de la nation. Quand, dans un pays, au lieu de cette jeunesse virile et responsable, consciente de ce que l’avenir est sien pour savoir se mettre débout, l’on a une jeunesse peureuse et corrompue, avide d’argent facile et de bonne vie, aspirant elle aussi, comme les aînés déroutés, à l’embourgeoisement, alors ce pays ne peut plus compter sur sa jeunesse qui, elle, n’aura plus d’avenir.
Se battre est l’essence des sociétés humaines sans lequel l’on ne peut avoir de transformations qui les rendent progressistes, plus portées vers un avenir radieux. Les luttes sociales sont fondamentales aux transformations sociales. Une société qui perd le goût à la lutte et au sacrifice est vouée forcément au rabaissement et souvent, hélas, à l’asservissement.
Ce pays – le Niger – a besoin aujourd’hui de se regarder. Ses hommes ont besoin de se regarder, de regarder leurs peurs, leurs lâchetés et surtout de l’hypocrisie, de voir dans cette Afrique naguère guerrière, pour comprendre qu’eux aussi peuvent relever la tête et croire qu’ils portent les mêmes ADN des guerriers du passé qui ont fait leur gloire et leur fierté. Peuvent-ils déjà oublier qu’ils sont les descendants de Kourandaga, d’Idriss Alaoma, de Sarraounia Mangou, la reine sorcière, d’Issa Korombé, de Sony Ali Ber, et de tant d’autres figures tutélaires de leur histoire ?
Non, les Nigériens ne peuvent pas être la risée de l’Afrique : ils sont une dignité à revendiquer, une grandeur à assumer. Comme dans cette France que nos dirigeants veulent, en tout, prendre pour exemple.
A.I