Sahel Terrorisme : Un espace de grands désordres
Le Sahel est une région devenue instable avec les aléas climatiques et les caprices d’une nature incapable de répondre aux besoins alimentaires et en eau des populations qu’une avancée du désert est en train d’éprouver. Cet ensemble géographique, pour autant, n’est pas un espace pauvre car naturellement doté de richesses immenses que certains analystes estiment d’ailleurs sous-estimées pour mieux comprendre les enjeux des crises qu’il vit aujourd’hui et les convoitises dont il est l’objet de la part de puissances étrangères qui y sont revenues pour se battre plus pour leurs intérêts que pour les intérêts des population de cet espace qui, à l’instar d’autres parties du continent, notamment du centre, est un scandale écologique.
A l’origine, il y avait les crises environnementales…
Le Sahel, depuis des décennies fait face à des perturbations climatiques qui ont profondément modifié la stabilité des saisons telles qu’on les a connues dans cet espace car désormais personne ne peut délimiter temporairement les saisons devenues aléatoires, incertaines. Cela fait des années que cet espace a connu des sécheresses cycliques qui ont profondément marqué et changé la vie des populations, somme toute résiliente, obligées d’adopter de nouvelles stratégies d’adaptation, ou par la mobilité, l’exode, la migration ou en réorientant leurs activités économiques quand l’agriculture et l’élevage qui en constituent les plus importantes sont tributaires des aléas climatiques qui ont drastiquement affecté la production agricole et décimé les cheptels. Or, les différents gouvernements qui se sont succédé n’ont pas été capables de mettre en place des politiques courageuses, pour prévenir les situations difficiles auxquelles les exposent ces faits nouveaux, inconfortables. Et depuis, certains clichés sont associés à la représentation de cet espace qu’on voit toujours à travers ces images de mendiants qui tendent partout dans les rues les mains et la sébile, ces animaux amaigris si ce n’est des ossements d’animaux que la sécheresse a détruit, des enfants gravement squelettiques, souvent au ventre ballonné, malades et mourants. C’est ainsi que, famine, misère sont associées au nom et à l’image fabriquée du Sahel. Mais, d’autres facteurs sont venus aggraver cette situation.
La mauvaise gouvernance….
L’autre problème qui a précipité le Sahel dans le chaos est la mauvaise gouvernance que l’on peut relever dans presque tous les pays de cet espace et ce depuis la décennie 90 où, sous le prétexte d’une démocratie – importée elle aussi – on en fit hypocritement l’option pour mieux gérer les Etats, dans la rigueur et la transparence, dans la justice et la responsabilité. Dans presque tous les pays de l’Afrique de l’Ouest, et donc au-delà du Sahel, la démocratie est dévoyée, les élections truquées pour imposer aux peuples des dirigeants peu aimés, plus pour avoir des gouvernants plus acquis à la cause de la force impériale que des peuples dont ils sont censés défendre les intérêts. On observe sur cet espace depuis des années un certain recul démocratique et un divorce entre les dirigeants et les peuples, et même, face aux déceptions, un dégoût des peuples vis-à-vis de la politique et de la démocratie si bien que souvent, des peuples sont amenés à préférer l’exception à cette piètre démocratie que des intellectuels souvent sans éthique imposent à un peuple que l’ère post-conférences nationales avait fait rêver de renouveau. L’Afrique n’a jamais été aussi mal gouvernée que sous cette démocratie qui a donné à une race de politiciens rapaces qui s’en est servi à légaliser le vol, le pillage et les détournements massifs, au nom de majorités tout aussi volées que les fortunes amassées, illicites.
Par une telle gouvernance, et les injustices qui s’en sont suivies, l’on a provoqué des frustrations et des colères, mais aussi les conditions de révoltes sociales auxquelles, aucun des Etats ne saura résister. Avec une école à la dérive, une jeunesse abandonnée à elle-même, sans perspectives, noyée dans le chômage, l’on ne peut que s’attendre à des explosions sociales qui pousseront, comme dans le contexte français en 1789, à de grands chamboulements qui vont disloquer la société et provoquer une refondation d’une société promise à un nouvel ordre. C’est sans doute pour cela que l’ancien président français, Feu Jacques Chirac en visite au Niger, sous Tandja Mamadou, s’inquiétait pour le Niger lorsque, traversant la ville, partout, il ne voit que des jeunes et des enfants qui venaient l’accueillir, exprimant ses appréhensions pour l’avenir du pays, lorsque, dans les regards profonds et absents des enfants, les politiques ne réussiront pas à répondre à cette nombreuse jeunesse qui arrive qu’il peut même assimiler à une bombe sociale qui pourrait, demain, exploser. Les malaises qui se vivent aujourd’hui au Sahel ont aussi leurs racines dans cette donne politique de laquelle l’on tient pourtant très peu compte. On comprend que certains, pour leurs intérêts mesquins, s’en servent à abuser de la misère et de l’ignorance des nôtres en important sur l’espace sahélien un terrorisme qui ne pose officiellement, pour justifier sa violence, aucune revendication, ni politique ni religieuse.
Un terrorisme importé pour recoloniser ?
Le terrorisme, n’est-il pas un autre moyen de détourner l’Afrique de ses enjeux de développement, de ses priorités et donc de ses vrais combats pour la distraire dans cette guerre imposée dont elle aurait pu se passer pour canaliser ses efforts et ses moyens dans le redressement des économies, dans l’intégration des peuples et des économies, dans la consolidation des unités nationales et, plus idéalement, de l’unité africaine avortée depuis la mort de l’OUA ?
Ceux qui, depuis quelques années, venaient de loin, notamment d’Afghanistan, de Syrie, pour semer le désordre au Sahel, après l’effondrement de l’Etat libyen par les Occidentaux qui s’y engageaient plus pour leurs intérêts que pour la démocratie qu’ils prétendaient y apporter, ont-ils des raisons qui peuvent justifier les tragédies qu’ils imposent aux populations sahéliennes ? L’on avait appris à un moment que Bazoum Mohamed entamait des négociations avec les terroristes qu’il recevait, selon ses propres aveux au palais de la présidence, consentant même à libérer certains de leurs prisonniers pour aider à la paix, mais peut-il avoir le courage de dire aux Nigériens les raisons d’une telle initiative et surtout, les revendications posées pour lesquelles, il consentait à négocier avec des gens qui ont les mains tachetés de sang quand, il ne peut pas avoir les mêmes élégances avec d’autres – des adversaires politiques en l’occurrence – qui ont pourtant fait le choix d’inscrire leur combat, à visages découverts, dans le champ politique avec les moyens que leur donnent les textes de la République ? Faut-il donc tuer pour se faire entendre dans nos démocraties ? La question est tragique mais, hélas, pertinente.
Cette autre épreuve imposée au Sahel, ne vise, peut-on le comprendre, qu’à mettre en retard le Sahel dont on peut prendre le prétexte de courir à son secours, mais plus pour légitimer l’occupation militaire de ses territoires, pour poursuivre la mission inachevée de l’exploitation du continent que pour le sauver du terrorisme et de ses violences. C’est d’autant vrai qu’aujourd’hui l’on sait les potentialités minières – avec notamment des métaux rares et précieux – dont regorge ce vaste espace visiblement pauvre mais potentiellement riche pour nourrir tant de convoitises avec des puissances attirées par les mêmes richesses quand elles peuvent en manquer cruellement, se servant de dirigeants peu patriotes, investis plus pour le combat de la France pour faire mal au continent. L’on sait, que pendant des siècles de gloire, cette partie du continent regorgeait d’or, presqu’à surface de terre et toute cette partie du continent de ce qu’on appelle aujourd’hui la bande des trois frontières jusqu’à la Gold-Coast, le Ghana actuel, étaient riche en or et les souverains de l’époque, à l’image de Soumangourou Kanté, quand ils partaient à la Mecque se déplaçaient avec des quantités énormes d’or, si bien que pendant leur séjour le prix de l’or ne valait plus que celui de cacahouète. Quelle quantité, le colonisateur pouvait-il alors avoir convoyée dans un tel contexte sur son territoire pour se faire des réserves inépuisables, et avoir les avances par lesquelles, aujourd’hui, il nous méprise et continue de nous exploiter ? De grands textes historiques le disent mais, à dessein, cette part de l’Histoire, a été cachée pour que les Africains n’aient pas conscience de leurs atouts et de leurs richesses et ce afin que, l’idée qui les détruit intérieurement et selon laquelle on leur fait croire qu’ils sont pauvres et qu’ils sont appelés à le demeurer comme s’ils seraient frappés de malédiction, puisse s’incruster dans leur esprit et dans leur mémoire violée. Si les Africains ne se battent pas pour défendre le peu qui reste de leurs ressources pillées pour construire leur avenir et l’avenir des générations futures, alors ce continent n’aura pas d’avenir. C’est cela l’enjeu. La lutte, la dernière qui reste aux Africains à mener.
Ce qui est grave est de voir une certaine jeunesse, hier aux avant-postes des luttes sociales et politiques, comme certains de leurs aînés tapis aujourd’hui dans les organisations syndicales qu’ils animaient en d’autres temps pour servir des agendas politiques connus de tous. Comment comprendre aujourd’hui, alors que l’heure est grave, ces silences troublants d’une USN qui a trahi son héritage et ses combats, qui a trahi aussi une jeunesse et ses rêves ? Où sont toutes ces centrales qui, sous Tandja, pour des incidences financières desquelles elles ne parlent que peu aujourd’hui, prêtes alors à remuer ciel et terre pour menacer le gouvernement de l’époque ? Aujourd’hui, chacun sait qui est chacun pour que personne ne vienne gruger un autre. Il y en a qui n’ont plus aucun combat à mener dans le pays. Ils savent qu’ils se sont compromis et qu’ils ne peuvent plus avoir la confiance perdue des Nigériens.
Lorsque, nous l’avons souvent noté, Samuel Laurent, dans son essai, Sahelistan, voit, pour ce Sahel riche et victime de ses richesses le même sort qu’a connu l’Afghanistan aux mains des occidentaux incapables de gagner les guerres dont ils prennent prétexte pour aller s’y battre avec leurs soldats et leurs armes qui trouvent là des terrains d’expérimentation notamment pour celles qui n’ont pas encore servi dans les conflits armés depuis qu’elles avaient été conçues. La guerre sert donc cet enjeu de ses potentialités qui ont en filigrane, des enjeux géostratégiques lorsqu’on sait que ces richesses sont indispensables pour les progrès de la technologie, de la modernité nouvelle qui met de nos jours les puissances du monde en compétition, avec l’entrée en scène, des pays émergeants qui gênent leur hégémonie.
Comme on le voit, le problème du Sahel est profond et l’on ne saurait le limiter à une affaire de coopération, de relations partenariales. C’est encore et toujours les mêmes rapports de forces qui régissent les relations Nord-Sud pour lesquelles, l’on est aujourd’hui condamné à comprendre la lutte des peuples, aspirant enfin, à avoir le contrôle de leurs destinées et de leurs richesses.
C’est un rendez-vous de l’Histoire que l’on ne saurait manquer au risque de disparaitre.
A bon entendeur…
ISAK