Crise politique dans l’Afrique francophone / Inéligibilité des opposants : la nouvelle pandémie des démocraties tropicales
Les démocraties francophones en Afrique de l’ouest sont dans l’impasse. La nouvelle génération de leaders qui l’anime, dans ses phobies et son bannissement des principes de bonne gouvernance auxquels elle ne peut se conformer, brutalise les convenances, violente la démocratie, porte atteinte gravement à la paix civile, et à la stabilité institutionnelle. L’Afrique francophone est mauvaise élève de la démocratie, et peut-être que la France tutrice en est heureuse de produire sur le continent, par ses politiques arriérées de relégation des anciennes colonies qu’elle continue de maintenir dans un système de domination auquel des indépendances ne peuvent mettre un terme, trouvant toujours le moyen de les perpétuer par l’asservissement de dirigeants qui ne peuvent s’émanciper de son tutorat, redevables plus de la France que des peuples desquels ils prétendent détenir le pouvoir qu’ils exercent. L’Afrique francophone ne peut donc pas être libre et la démocratie qui voudrait que les peuples se choisissent librement leurs dirigeants ne peut ouvrir la nouvelle ère qui avait fondé bien de rêves et d’espérances aujourd’hui avortés. Après les indépendances qui décevaient, voilà que la démocratie, mise en boite et importée et servie aux Africains, comme un remède miracle que l’Occident lui offrait pour se guérir de ses maux, ne réussit pas la thérapie car conçue loin des réalités propres du continent et donc aussi, de ses préoccupations urgentes. Depuis trente ans que cette Afrique- là évolue dans la démocratie, l’on ne vit rien de ce qu’elle apporte si ce n’est des élections au rabais, quelques libertés vite confisquées. Les déceptions vis-à-vis de la démocratie et de tout ce par quoi on la vantait, comme en d’autres temps vis-à-vis des indépendances, sont énormes au point où, bien d’Africains vont jusqu’à regretter l’exception.
Depuis 1990, on fait et défait, on fait et refait sans jamais se satisfaire des modèles choisis. Le Niger par exemple, avait tout expérimenté, à l’exception du régime parlementaire, lui-même vécu d’une certaine manière sous la transition de Cheffou Amadou, avec un HCR qui avait les pleins pouvoirs en face d’un président diminué, presque mis en marge dans la marche d’un pays qui amorçait son virage vers la démocratie après des décennies d’exception. L’élite que le vent d’est avait propulsée au-devant du champ politique, très bavarde, a déçu car après trente années de démocratie, l’on continue à avoir des coups d’Etat, des répressions que l’on a jamais vues même sous les dictatures, des hommes qui s’accrochent au pouvoir, ne voulant le céder à aucun autre, des troisièmes mandats par lesquels, des hommes qui se croient irremplaçables, oubliant qu’ils ne sont que des mortels, tentent de s’attacher au pouvoir pour ne jamais le laisser à un autre, et ce jusqu’à la mort, peuton le penser. Qui n’avait pas ri quand, par une argumentation farfelue, le président ivoirien voudrait faire croire que parce que son pays aura changé de constitution et donc de république, lui qui vient de finir deux mandats, pouvait encore se représenter et que cela ne ferait pour lui, qu’un nouveau mandat dans une nouvelle république, oubliant que lui reste le même, même si par ses soins, le pays change de texte fondamental. Est-ce franchement une ruse ? Gbagbo ne pouvait-il pas aussi le faire ? Sur ce plan il est évident que le président nigérien est à saluer, même si l’on peut relever que partir ne suffit pas, s’il faut imposer à un peuple un successeur pour assurer une continuité, non une alternance crédible, voulue par le peuple. La continuité que veut imposer le Pnds Tarayya aux Nigériens, n’en est pas très différente car il s’agit, à y regarder de près d’un troisième mandat par procuration qui ne trompe personne quant au refus des socialistes de laisser au peuple la latitude de choisir de manière souveraine ses prochains dirigeants. La malice, comme chez Ouattara et chez Alpha Condé, ne convainc personne et il est dommage que le président français qui se réjouissait il y a quelques mois de l’annonce de Ouattara de ne pas briguer un troisième mandat sous le prétexte ridicule qu’il n’est plus dans la même République, ne puisse pas avoir l’audace de lui exprimer sa réprobation depuis l’annonce de sa candidature à la suite du décès du candidat du parti comme si le parti devait manquer de cadres valables, audelà de sa personne, pour décider de répondre à l’appel d’un peuple instrumentalisé. Emmanuel Macron, peut-il se faire comprendre dans le monde, en se cachant derrière une volonté suspecte de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des Etats ? Non, l’Afrique cherche des chemins, et il faut aider les peuples à les retrouver et à faire en sorte que les peuples d’approprient la démocratie, la reconfigurent à ses goûtes, à ses réalités, à ses préoccupations.
Ces deux façons d’apprivoiser la démocratie, de la domestiquer pour en faire la chasse gardée d’un clan, ne peuvent avoir sur les Etats et leur stabilité que les mêmes conséquences. Aujourd’hui, l’Afrique de l’ouest déjà envahie par des terroristes sans foi ni loi, reste la zone la plus incertaine du continent et les choses, face à une communauté internationale passive, si d’ailleurs elle n’est pas complice, ne peut que s’aggraver pour conduire à des situations ingérables pouvant déstabiliser davantage un espace en proie à des défis multiples et multiformes.
L’Afrique francophone, en plus de la pandémie de la Covid-19 qui frappe le monde, vit sous l’emprise d’une autre maladie, un autre virus, une Covid politique 20 qui fait vivre à l’espace ouest africain des convulsions politiques porteuses de grandes agitations qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la vie des populations et sur le sort de démocraties balbutiantes. Mais puisque le seul choix de se représenter ne saurait être une garantie suffisante, depuis quelques années, la trouvaille de dirigeants qui ne veulent pas quitter le pouvoir, ou en se maintenant par quelques subterfuges on en tentant de laisser le pouvoir en legs à un héritier de leur choix, sans aucun souci pour ce que devraient être les pays après des choix imposés, loin des aspirations des peuples qu’on voudrait mettre devant le fait accompli, il va sans dire que par ces égoïsmes et ces calculs mesquins, l’on xpose les pays à de graves turbulences que des gouvernants insouciants pourraient ne pas gérer avec hauteur. Depuis quelques temps, pour s’assurer une victoire somme toute non crédible, les gouvernements en place, abusant du pouvoir, ne peuvent qu’exposer la sous-région à des situations dangereuses qui vont davantage reporter aux calendres grecs l’entrée de ces pays dans le progrès, et dans la modernité juridique et économique.
Partout dans ces républiques bananières, l’on assiste à une pratique éhontée autant qu’injuste qui consiste à bricoler une condamnation pour justifier l’inéligibilité d’adversaires politiques qui gênent. C’est le Niger qui a servi de grand laboratoire pour inventer cette solution qui vise à simplifier les compétitions électorales en mettant hors-jeu des candidats dont on connait l’envergure et donc qui peuvent constituer une sérieuse entrave à la réalisation des ambitions de gouvernants qui se savent en panne de leadership. Puis, la trouvaille nigérienne a fait des émules avec partout des présidents sortant qui s’inspirent de la pratique nigérienne qui fait école alors, pour pousser des adversaires politiques dans des procédures judiciaires interminables et trouver par de telles manipulations, le moyen de les jeter en prison et pouvoir par la suite prononcer leur inéligibilité. Ceux qui soutiennent de telles pratiques abjectes peuvent un jour en être les victimes.
Dans la vie, il faut savoir défendre, quel que soit celui à qui cela profite, la vérité, le juste. Il faut reconnaitre que la manière n’est ni morale ni intelligente, car qui peut ne pas voir une telle idée pour se débarrasser d’adversaires gênants ? Tout le monde en est capable mais tout le monde sait aussi qu’une telle pratique ne saurait être honorable pour s’en servir à s’éviter une concurrence âpre dans les compétitions électorales. Ces manières rétrogrades de concevoir la démocratie sous nos tropiques sont humiliantes pour l’Afrique francophone.
Pour une région déjà en proie à l’insécurité, sous la menace terroriste qui prend des proportions, malgré une accalmie qui trompe sur la réalité et l’acuité du problème qui reste aujourd’hui encore une menace sérieuse pour les Etats mais aussi pour le monde, il y a à prendre au sérieux ces dérives dangereuses.
Il est donc regrettable que les institutions régionales, africaines et internationales, face à la généralisation du phénomène et au pourrissement de la situation, manquent de réactions appropriées pour maitriser alors qu’il est temps des situations qui pourraient dégénérer. Dans presque tous les pays francophones, la pandémie fait rage avec aujourd’hui des processus électoraux explosifs peu rassurants.
Le Mali, vit aujourd’hui les moments les plus incertains de son histoire post-conférence nationale depuis le coup d’Etat ; une situation pourtant prévisible malheureusement que la CEDEAO gère de manière assez passionnée au point de créer au peuple malien plus de problèmes qu’elle n’en résout. Le Burkina Faso déjà ravagé par une insécurité qui a profondément éprouvé le peuple du pays de Sankara, depuis des jours, alors que là aussi la fièvre électorale monte, l’on apprend que l’ancien premier ministre Izak Zida, en exil au Canada, ne peut briguer la magistrature suprême de son pays, laissant se développer d’autres tensions dans un pays déjà traversé par plusieurs malaises.
Au Sénégal l’on sait les déboires de l’ancien maire de Dakar et de Karim Wade, dont l’inéligibilité a été prononcée par une Justice aux ordres qui répond non du droit mais des volontés d’un système politique qui ne peut faire sa promotion par la dialectique des idées sinon qu’à persécuter des adversaires. Les Nations-Unies s’en étaient d’autant indignées qu’elles avaient demandé instamment au gouvernement sénégalais de revenir sur une telle décision inique. Il y a quelques jours, l’on apprend que Karim Wade serait en passe de recouvrer ses droits civiques qu’il perdait à la suite d’un procès controversé. La Côte d’Ivoire, l’un des pays les plus incertains, reste lui aussi confrontée aux mêmes problèmes avec la radiation des listes électorales de deux acteurs incontournables de l’échiquier politique ivoirien et le rejet de bien de candidatures à la présidentielle sur des motifs fallacieux qui ont alourdi davantage le climat politique dans le pays. Il ne faut pas oublier que ce pays revient de loin et qu’il a besoin des attentions particulières et d’une sagesse de la part de ses dirigeants pour consolider les acquis d’un début d’apaisement et de réconciliation qu’un vertigo risque d’emporter pour exposer le pays aux mêmes violences et aux mêmes dérives destructrices. Se peut-il qu’Ouattara pense qu’il puisse contenir tant de colères pour passer en force alors que sa candidature divise jusque dans ses rangs ? Comment peut-il croire qu’il ait le droit d’empêcher à d’autres Ivoiriens de briguer la magistrature suprême de leurs pays ? Peut-il penser que parce qu’il l’aura ainsi voulu Guillaume Soro, Laurent Gbagbo et d’autres acteurs politiques en Côte d’Ivoire, ne pèsent plus rien, pour les exclure du débat politique et avec eux des millions d’Ivoiriens certainement ? C’est dangereux. Cette option pour une Côte d’Ivoire est dangereuse ce d’autant que le président sortant, après avoir perdu bien de ses alliés, fait aujourd’hui face à une opposition renforcée capable de mobiliser des foules qui pousseront le pays dans des turbulences que beaucoup d’observateurs redoutent. Le président français, il y a quelques semaines, notait que la Côte d’Ivoire est fragile et qu’il faut faire attention. Faut-il qu’un troisième mandat soit à ce prix ? Heureusement que les Nations ont compris les risques certains vers lesquels court le pays, pour envoyer dans l’urgence un émissaire afin d’appeler au dialogue pour éviter au pays des situations dangereuses, potentiellement explosives. C’est la même chose au Niger, où se congratulant d’un système qui divise, les socialistes poussent à aller dans des élections conduites sur toute la ligne en solo par un pouvoir qui croit avoir le droit d’imposer tout aux Nigériens.
Au Niger, comme pour témoigner du machiavélisme du régime, et de l’immoralité de sa gouvernance, on sacrifie pour la vraisemblance des familles proches du système. Ainsi on pousse l’adversaire le plus craint dans une affaire des plus abjectes que les convenances morales, éthiques, ne peuvent permettre d’exposer dans un cadre marital, dans la place publique même lorsque l’allégation est fondée, a fortiori lorsqu’on l’invente pour faire mal.
Là également, à la cérémonie d’accord entre la CENI-maison et l’Union Européenne, l’on a bien noté que l’UE appelait à aller au dialogue, seul moyen d’éviter au pays des situations difficiles qui pourraient compliquer le sort d’un pays et d’une démocratie mal en point. Les menaces de l’Opposition face à tant de surdité sont pourtant à prendre au sérieux.
Encore une fois, il faut faire attention : on ne joue pas avec le destin des peuples.
A.I